Sans conviction [2/3]

6 minutes de lecture

Je raccompagne Charlie jusqu'au 32, rue Ballu. Dès que le boulevard bruyant, accompagné de klaxons qui s'élèvent de partout, de travaux, de bouchons et d'un tas de gens pressés et mécontents, est dépassé, nous nous retrouvons dans cette rue adjacente dont l'éthique est tout autre. Silencieuse et peu de monde.

Elle s'arrête devant une porte rouge d'un immeuble :

— Voilà, je suis arrivée.

Près d'elle, ma gibecière en cuir marron de chez Arthur & Aston jetée sur les épaules, je fais semblant de m'intéresser à sa rue et son immeuble. En réalité, je cherche mes mots pour entamer ce délicat sujet et dans l'attente de trouver quoi dire, je remonte mes lunettes :

— Je ne sais pas par où commencer. Si j'avais su que vous étiez mon étudiante, je n'aurais peut-être pas... enfin... passé la nuit avec vous.

— Drôle de façon de dire que vous regrettez.

— Je ne regrette rien. C'est la situation qui m'embarrasse.

— J'en ai la nette impression oui.

— Vous comprenez la déontologie...

— Bon, écoutez, vous cherchez les mots pour simplement dire tout et n'importe quoi. J'ai été autant surprise que vous en arrivant ce matin à vos cours. Mais contrairement à vous, j'ai eu tout le loisir d'y réfléchir, réplique-t-elle froidement. Je n'ai pas à culpabiliser. Vous n'étiez pas mon professeur lorsque nous avons couché ensemble. Nous étions juste deux personnes attirées l'une par l'autre... le temps d'une soirée. On est donc d'accord pour dire qu'on n'en reparlera plus et que notre histoire s'arrête ici. Inutile, dans ce cas, de me faire de belles doléances.

Paf ! Reçois-toi ça en pleine figure. Rien n'est plus clair à mes yeux, je l'ai vexée. Qui plus est, j'ai bien l'impression de m'être emporté sur le type de relation que nous avons partagé. De quoi me cacher dans un trou de souris.

— Vous avez raison. Mais, en aucun cas, je ne voulais vous vexer, reprends-je en me redressant.

— Non, vous avez voulu jouer au prof. Je ne vous en veux pas, lance-t-elle le visage renfrogné, cherchant quelque chose dans son sac.

— Charlie, excusez-moi. Je me suis mal exprimé. J'aurais dû vous dire que mon travail à Paris consistait à enseigner, dis-je d'un ton désolé, mais en aucun cas impressionné.

— Non. Je suis contente que vous ne l'ayez pas dit. Je n'aurais certainement pas passé cette excellente soirée en votre compagnie sinon. On a le droit de le dire ça ? me balance-t-elle en sortant ses clefs de son sac.

— Vous avez le droit. Je reconnais que vous m'avez dit être étudiante et je n'ai pas fait le lien... ou bien, je ne l'ai pas voulu.

— Bon, voilà, l'affaire est réglée. Une bonne partie de jambes en l'air et puis ça s'arrête là. On ne va pas épiloguer pendant une éternité.

Au-devant d'une telle sortie, je n'ai qu'une envie, l'envoyer balader. Au lieu de cela, je m'attarde, comme par automatisme, sur son expression qui laisse entrevoir à la fois son irritation et son insatisfaction. C'est une première ! Ses joues ont pris une teinte rosée, ses yeux sont plissés et elle mordille nerveusement sa lèvre inférieure, sans même oser me regarder.

Intrigué, je contemple chaque trait de son visage et m'attarde sur des marques qu'elle porte à son cou :

— Qu'avez-vous là ? lui demandé-je en lui montrant ces rougeurs qui ressemblent à des suçons.

— À votre avis ?

— C'est moi ?

— Et bien oui. Qui d'autre ? me dit-elle.

Main tendue en sa direction, je caresse les irritations du bout de mes doigts, avant de me rétracter d'un geste brusque. Cet acte est sans doute déplacé.

— Je suis désolé.

— J'ai un très bon maquilleur, ne vous inquiétez pas. Vous, ça va depuis samedi. Enfin, depuis hier ?

— Vous voulez parler de la migraine du lendemain ?

— Des courbatures...

— Des griffures profondes dans le dos...

— Oh non ! s'exclame-t-elle, les mains plaquées contre sa bouche. Je ne vous ai pas fait ça ?

Je soulève mon t-shirt noir et ma chemise courte à carreaux pour le lui prouver ce que j'avançais. À son tour, elle pose sa main sur les plaies, puis la retire après une brève seconde.

— Pardon, s'excuse-t-elle.

— Vous êtes déjà toute pardonnée.

Elle sourit. À la lumière du jour, je peux admirer ses yeux vert olive et ses petites taches de rousseur qui accentuent la couleur de ses yeux. Sa peau blanche telle une poupée en porcelaine est sans artifices. Elle est de cette beauté que personne n'a, car elle n'entre pas dans un moule de stéréotype. Elle plaît ou elle ne plaît pas et le charme qu'elle dégage y est pour beaucoup en fin de compte.

Un jeune maghrébin passe près de nous en saluant Charlie.

— Salut Redouane.

— Salut, toi, tu vas bien ? répond-il d'un air perdu, regardant tour à tour Charlie puis moi.

— Ça va merci, lui dit-elle avant qu'il ne s'engouffre dans l'immeuble. Oh merde ! J'avais oublié ce maudit scooter !

Elle s'avance vers son deux-roues et tente de le refaire démarrer avec sa clef. Je m'approche d'elle.

— Vous voulez de l'aide ?

— Et bien je ne comprends pas pourquoi il ne démarre pas, dit-elle d'un ton désespéré. C'est pour cette raison que ce matin, je suis arrivée en retard.

— Attendez, je vais jeter un coup d'œil.

— Ah, en plus d'être expert en art, vous êtes aussi expert en mécanique ? dit-elle d'un ton ironique.

— Prenez moi ce sac et mettez-vous sur mute, please, réponds-je du tac au tac, sans froideur.

— Je muterai avec plaisir, mais ne vaudrait-il pas mieux aller dans la cour de l'immeuble avec tout ce raffut ? Vous y serez mieux à votre aise, non ?

— Très bien.

Elle enlève l'anti-vol pour me laisser pousser l'engin à l'intérieur du bâtiment. C'est une petite cour en dalle de pierres, décorée de plantes et de fleurs dans des pots positionnés tout autour du cloître. Une entrée d'immeuble avec, en face, un perron paré d'un escalier et garni d'une porte donnant certainement accès sur un autre immeuble élevé un peu plus loin, sur la droite. Je vois aussi à ma gauche une porte avec un écriteau signalant « gardienne ».

Je laisse le scooter de Charlie au milieu de la cour avant de me baisser pour l'examiner.

— Vous auriez un booster ?

— Un quoi ?

— C'est pour contrôler la batterie.

— Euh non, je ne crois pas avoir ça.

— Je crois que ça vient de là, je vais vérifier la bougie.

Soudain, une bonne femme sort du fameux appartement à écriteau et se met à hurler avec un accent portugais, ce qui me stoppe dans mon contrôle technique.

— Vous né pouvéch pas léché cha ichi !

— Mme Garcia on en a pour deux minutes, juste le temps de regarder ce que mon scooter a. Dehors, c'est le bordel et il fait trop chaud sous le soleil, lui dit Charlie.

— Ché né vau pas chavoir ! Vous chalez tout mé chalir.

— Deux minutes ce n’est pas la mer à boire, non plus ! lui crie Charlie tandis que celle-ci tourne les talons en ronchonnant. Quelle emmerdeuse celle-là !

Après quelques bidouillages et tentatives de démarrage pour savoir si ça vient du moteur, de la batterie ou du carburateur, le scooter n'a pas bougé.

— Alors ? Verdict ? me demande-t-elle, impatiente.

— Je suis désolé, mais je crois que c'est le régulateur. Faudra l'amener au garagiste.

— Fait chier !

Les mains sur les hanches, elle lâche le mot avec une telle fureur, que je me désole de ne pas pouvoir plus l'aider.

— En tout cas, merci, James, me soupire-t-elle en se rendant peut-être compte de son impulsivité.

— De rien. Vous n'auriez pas quelque chose pour que je puisse me nettoyer les mains ? lui demandé-je, les mains pleines de cambouis.

— Ah non, dit-elle en cherchant autour d'elle comme si une serviette allait surgir de nulle part, avant de regarder en direction de l'appartement de la gardienne. Elle a bien des chiffons, elle, avec tous ces produits à la con qu'elle utilise pour nettoyer.

Je me relève et patiente avec l'envie de rire face à la situation incontrôlable de Charlie à trouver une solution.

— Venez, montez. Vous allez vous laver les mains chez moi.

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