Sans convictions [3/3]

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La porte, lourde et blindée, fait un premier cliquetis au contact de la clé que Charlie manie, puis un deuxième et un troisième. J'attends, impatient, d'entrer dans l'antre de son sanctuaire, comme si elle m'autorisait à entrer dans sa vie. L'accès enfin ouvert, elle m'invite à m'y engouffrer et m'indique une porte située au fond du couloir.

— La salle de bains est au fond, il y a du savon et une serviette pour les mains, accrochée. Vous ne pouvez pas la manquer.

— Merci.

Je m'avance et prends mon temps, le pas aussi pressé qu'un condamné qui s'avance dans le couloir de la mort. Je passe à côté d'une arcade qui me laisse entrevoir le salon. Sur ma droite, une première porte, puis une seconde. Toutes deux fermées, tout comme celle qui dissimule la salle d'eau où je me rends.

Je l'entrouvre et pénètre dans la pièce qui me rafraîchit aussitôt. Une plaisante odeur d'eau, d'air et d'iode s'engouffre dans mes narines. En la humant, un souvenir me revient à l'esprit. Je me revois petit, avec ma mère en bordure de mer, essayant de fuir la houle des vagues. J'entends encore mes cris de stupeur qui se joignent à mes rires enfantins.

Le lavabo se trouve à côté des toilettes près de la petite douche où était jetée une serviette de bain. Des parfums, des brosses à dents, une crème de corps, recouvrent le support en céramique blanc. C'est une salle d'eau simple et pourtant il y a une touche personnelle qui me plaît.

En sortant, la clarté harmonieuse et certaine qui se dégage de l'ouverture donnant sur le salon, m'aspire comme si je me dirigeais vers un lieu féerique. Cette pièce ressemble à l'un de ces effets de rêve que l'on entrevoit dans les films. Un aspect brumeux dans lequel se confond un mélange de couleurs chaudes. Des murs crépis de jaune qui contraste avec le meublé en bois massif ou le canapé recouvert d'un plaid bordeaux. Une harmonie de couleur qui s'unifie aux rayons du soleil filtrés par de fins rideaux blancs et transparents qui ondulent sous l'entrée d'air des fenêtres laissées entrouvertes. Ce rectangle habitable semble contenir une âme. Une positivité s'en dégage et crée une atmosphère qui soumet quiconque à la paresse et à l'évasion. Je reste debout, béat sous cette voûte, le regard fixé sur la danse des tentures et effleuré par les caresses de la brise. Un arôme d'encens vient me chatouiller le nez. Cette odeur mystérieuse qui personnifie tant Charlie.

J'entends un bruit de verre. Elle est derrière le bar qui sépare le salon d'une petite cuisine qui ne peut servir qu'à ranger quelques conserves et autres sachets de nourritures. De là où je me trouve, je devine un petit évier et peut-être, avec chance, un four à peine plus loin.

Je m'avance en direction du bar :

— Vous voulez quelque chose à boire ? me demande-t-elle.

— Bien volontiers. Un verre d'eau suffira, merci.

Ma gorge est aussi sèche que le désert d'Atacama. Je bois d'un trait avant de reposer mon verre en la remerciant. J'examine à nouveau la pièce. Près de la cuisine, une petite table à manger est agencée en plein milieu et fait ressortir la convivialité de l'endroit. Derrière moi, une bibliothèque, habillée de livres de poche, de livres anciens, petits et grands, de revues, de magazines, d'encyclopédies et d'ouvrages en tout genre qui donnent envie de dévorer leurs contenus. Une porte est entrouverte dans un enfoncement au fond du salon, à l'opposé où nous sommes.

— C'est agréable ici, on y sent une énergie positive.

— Dû sûrement aux couleurs et à l'agencement des meubles. Iban parle de Feng Chui, mais je ne suis pas sûre qu'il ait bien aménagé. Il est décorateur d'intérieur. Enfin, il vient de finir ses études, du moins.

— Iban est votre colocataire ?

— Oui.

— La peinture, c'est lui aussi ?

— Non, ça c'est moi.

— Comment avez-vous fait ? lui demandé-je admiratif.

— En fait, c'est un enduit coloré d'un jaune ocre que j'ai projeté sur la surface du mur avec une taloche et un platoir. Avec des mouvements circulaires, on crée cet effet structuré des reliefs et du motif. Ce sont de grands revers de poignet, explique-t-elle en me montrant avec des gestes.

— Où avez-vous appris cela ?

— Mon père est peintre-décorateur.

— C'est très réussi. Très artistique.

— Merci.

Cette fille ne cesse de m'épater, a-t-elle encore d'autres talents ?

Elle m'examine et je soutiens son regard. On se contemple, s'analyse, se sourit timidement, semblable à une intimité voluptueuse sans toucher ni saveur. Cette fois-ci, je ne tremble pas, je ne suis pas mal à l'aise et j'ai toute ma tête. L'ambiance est douce et mélodieuse entre le bruit du vent, de la goutte d'eau qui tombe dans l'évier et du tintamarre des rues de Paris.

J'ai l'impression de l'avoir toujours connue. La voilà cette sensation que je n'arrivais pas à définir depuis cet instant où la sonnette du café m'a signalé sa présence.

— Je vais devoir redescendre pour remettre en place le scooter, sinon Mme Garcia va encore me prendre la tête.

Yes, of course. De toute façon, je dois y aller aussi.

Au 5ème étage, avoir un ascenseur en panne est une forme de révolte envers la gardienne, les réparateurs, les propriétaires et celui qui l'avait bloqué. Encore qu'en descendant, c'est assez vivable. On est même taquin quand on rencontre ceux qui grimpent. Oui, parce qu'à la montée, j'avais frôlé la déshydratation avec ce que j'avais sué.

Dans la cour, sans rien me demander, Charlie prend ma besace en cuir pour la mettre sur son épaule, alors que j'entreprends de ramener son scooter sur le trottoir, là où sont garés les autres motocycles. Elle tâche de bien mettre son anti-vol et d'un revers de la main, dégage son visage de ses cheveux, avant de se placer devant moi :

— Merci encore professeur. De m'avoir accompagnée mais aussi de m'avoir aidée pour mon scooter.

— Je n'ai pas pu beaucoup vous aider. Merci à vous Mademoiselle Mahé, pour m'avoir laissé me laver les mains et, en prime, m'avoir permis de me réhydrater.

Un silence, l'un de ceux qui parlent d'une réticence entre deux personnes. Une interruption pour savoir si l'un des deux allait craquer. Si l'un des deux avait le courage de passer outre l'éthique universitaire, outre la morale de ceux qui passent à côté de leurs plus belles histoires.

— Je vous dis à jeudi alors ? dit-elle.

— Oui, à jeudi.

Elle esquisse un sourire sincère et bienveillant, avant de se diriger vers l'entrée de son immeuble :

— Bonne soirée, James.

— Bonne soirée, Charlie.

Je tourne les talons pour faire chemin inverse et jette un dernier coup d'œil en sa direction, elle se retourne au même moment.

— Au revoir.

— Au revoir.

Le cœur lourd, je m'enfonce dans les rues parisiennes, maudissant les motards et les piétons.

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