Le féminin sacré

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— Ton père est passé à la galerie prendre de tes nouvelles.

— Il s'est souvenu qu'il avait un fils. Moi qui croyais qu'il n'en avait que pour ses conquêtes féminines.

— Tu ne prends plus de ses nouvelles ?

— J'en prenais déjà peu après la mort de ma mère. C'est Lauren qui voulait que je garde contact. Mais depuis son décès, j'ai définitivement arrêté. On n'a rien en commun et rien à se dire.

— Je n'insiste pas. Ne fais juste pas quelque chose que tu risques de regretter plus tard. L'horloge tourne. On n'a qu'un père.

Mon géniteur a toujours été infidèle. Changeant d'humeur quand il y avait une séparation ou une nouvelle maîtresse. Durant toute ma jeunesse et mon adolescence, j'ai vu ma mère souffrir et l'implorer de rester. Elle avait accepté toutes ses tromperies. Ses trahisons qu'il cumulait jour et nuit. Elle tolérait même ses semaines entières d'absence à faire je ne sais quoi avec je ne sais quelle autre femme. Heureusement que tu es là, me disait-elle. Tu es l'amour de ma vie.

Elle répétait sans cesse que je ressemblais à mon père. J'avais pris les meilleures parties des traits de son visage qui faisaient craquer les filles. Elle disait que j'avais eu la chance de pouvoir être Anglais et Français. J'avais le sens des manières et l'humour de l'Anglais avec le charme irrésistible et provocant du français.

Ceci étant, durant ses longues absences, ma mère et moi étions devenus les meilleurs amis du monde. Elle s'était intéressée de près à ma vie et c'est elle qui m'avait poussé à devenir ce que je suis, se fichant pas mal de l'avis de mon père qui aurait aimé que je sois courtier, ou que j'excelle dans la finance, comme lui. Malgré l'amour aveugle qu'elle portait à mon père, c'était une femme consciente de sa véritable situation. Une épouse déterminée, prête à remuer ciel et terre pour que notre union familiale marche. Elle avait de l'amour à revendre et c'est grâce à elle que je n'ai pas tellement ressenti le manque paternel.

Intelligente et cultivée, elle m'a appris quelques bases d'Histoire et de littérature anglaise. Forte et digne, elle n'a jamais rien laissé voir. Ainsi, dès le pas posé sur le seuil de notre porte pour en sortir, elle était Mme Annette Taylor, épouse de Robert Taylor, heureuse et solennelle.

Elle avait aimé Lauren et elles étaient très proches. Ma mère m'avait dit qu'elle n'était pas étonnée de la femme que j'avais choisie, sans ajouter un mot de plus. Elle était décédée deux ans avant la mort de Lauren et une première fêlure entre mon père et moi s'était faite. Très peu de temps après, il avait déjà refait sa vie, je l'ai même soupçonné d'avoir été avec sa greluche avant que maman meure. Et quand Lauren avait fermé les yeux, le fossé creusé entre nous, était devenu infranchissable. Je ne l'ai plus rappelé et il n'a même pas essayé, jusqu'à ce qu'il vienne à la galerie demander de mes nouvelles.

— Changeons de sujet. Je t'ai laissé un peu en plan hier. Mais bon, tu étais en si bonne compagnie. Alors comment est-elle cette Charlie ?

— Époustouflante. Et je ne parle pas qu'en terme sexuel. Elle me plaît, elle est rationnelle, futée et un talent fou pour la déduction. Tu sais comme j'aime les femmes brillantes.

— À ce point ? À première vue, on voit simplement une belle nana. Comme quoi...

— On peut être belle et intelligente.

— Tu ne crois pas en l'âme sœur, moi, je ne crois pas en la perfection.

— Moi non plus. Et qu'est-ce que la perfection ? Nous la sculptons à travers l'image de nos fantasmes, de nos envies, de notre perception du désir. Elle peut ne pas plaire à tout le monde mais à moi, si. Et ce que j'aime, c'est justement le fait qu'elle ne soit pas parfaite. Elle a des petites imperfections sur le visage mais qui s'harmonisent avec le reste, elle est atypique. Et elle reste secrète, c'est pour ça qu'elle se cache derrière cette ingéniosité.

Au lieu de me répondre, il dessine un sourire béat sur son visage.

— Quoi ? rétorqué-je.

— Et bien, je crois qu'on a la relève !

— De quoi tu me parles ?

— La suivante. La prochaine.

— Tu t'emballes. C'est elle qui a les cartes en main, pas moi. Si elle n'a pas apprécié notre soirée, je peux faire une croix dessus.

— Admettons, elle le fait. Tu voudrais faire quoi avec elle ?

— Déjà apprendre à la connaître, c'est un bon point de départ, non ?

— C'est vrai.

— Bon assez parlé de moi. Et cette Sophie ?

— Elle baise bien mais sans génie.

Je hausse les sourcils. Simon a parfois un mépris envers les femmes, qui me sidère. Surtout depuis son divorce. Je comprends qu'il y ait des femmes qui ne sont pas extravagantes au lit, mais je n'ai jamais su les critiquer. Selon le degré de complicité sexuelle entre nous, j'essaie toujours de trouver un côté positif ou, dans le pire des cas, je me tais. Mieux vaut un silence qu'une parole impolie à l'égard d'une femme qui m'a tout de même fait passer un bon moment.

— Je sais tu n'approuves pas mes remarques.

— Tu lis dans mes pensées, ce n'est pas possible !

— Même quand tu dors, je sais de quoi tu rêves !

— T'as passé un bon moment ?

— Ouais, mais je m'attendais à mieux.

— T'es incorrigible, laisse tomber.

Il m'assure de me tenir au courant de ce qui se passe à la galerie, même les petits problèmes qu'il considère insignifiants, après lourde insistance de ma part. Peu importe l'heure. Il me donne quelques books d'artistes-peintres, sculpteurs et photographes en vogue, pour me permettre de m'occuper de la prochaine exposition, avant de me prendre dans les bras avec une tape dans le dos et grimper dans son taxi. Peu importe l'heure. Il me donne quelques books d'artistes-peintres, sculpteurs et photographes en vogue, pour me permettre de m'occuper de la prochaine exposition, avant de me prendre dans les bras avec une tape dans le dos et grimper dans son taxi.

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