Le Nu artistique

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Simon parti, je range l'appartement, lave la vaisselle, remets les coussins à leur place sur le canapé, va chercher des draps propres pour faire le lit, essuie le plan de travail et passe un coup de balai sur un fond de Billy Paul.

Ayat va encore me remonter les bretelles pour avoir fini son travail. Ayat est ma femme de ménage. Une femme marocaine pleine d'humour d'un certain âge et rondelette, constamment coiffée d'un foulard assorti à sa blouse de ménage à carreaux bleus. Elle vient deux fois par semaine. Les premières fois, on ne s'adressait presque pas la parole, mis à part les usuels « bonjour », « au revoir », les instructions diverses ou encore les « voulez-vous quelque chose à boire ? », et autres formules de politesse dont je sais faire preuve.

Deux semaines auparavant, elle était sortie de son silence. Occupé à contempler les tendances new-yorkaises sur mon ordinateur pour dégoter un nouvel artiste susceptible d'exposer lors du prochain vernissage, d'une voix amusée elle m’avait lancé, sous son apparence autoritaire :

— Missieur, va falloir arrêtez de ronger et nittoyer, sinon ça sert à rien que j'vienne, vous comprinez ?

— Excusez-moi j'ai du mal à me faire au désordre.

— Alors rongez ! Mais nittoyez pas. Ou fites-moi di taches de café pour qui j'y puisse laver quilque chose. Si trop propre ici.

— Ayat, je peux avoir votre avis pour quelque chose, lui avais-je demandé, plongé dans ma recherche.

— Bien sûr missieur, m’avait-elle répondu en s'avançant vers moi, balai à la main.

— Comment trouvez-vous cette sculpture ? J'ai besoin d'un regard extérieur, lui avais-je dit, démontrant le moulage à peine dégrossi qui représentait un homme nu.

— Ha Starf'Allah ! s'était-elle exclamé en mettant ses mains devant ses yeux.

— Quoi ? lui avais-je lancé, surpris.

— Missieur, j'y pas ou li temps di détailler, mais les zizis sour vos statoues là, faut arrêtez avic ça.

Je m'étais esclaffé en la voyant outrée. Tout son corps s'était braqué, prêt à se défendre contre l'attaque de ce vulgaire Adam nu.

— Dans l'Antiquité, on représentait les dieux comme la perfection corporelle, et donc, la beauté divine a été transférée à l'Homme. Durant la Renaissance italienne, le retour à la centralité de l'Homme impliquait nécessairement l'imitation des modèles de l'Antiquité que l'on a alors redécouvert fièvreusement, lui avais-je expliqué en douceur pour qu'elle comprenne.

— Y bien, li italiens y li ontiquaires ont li idées farfalous. Si di sacrés couchons, avait-elle ricané en me mettant un coup de torchon amical sur l'épaule.

— Adam et Eve étaient nus aussi dans le jardin d'Eden. Dans l'Art il est important de faire renaître les passages bibliques où la Genèse est omniprésente. Le nu est très artistique. Même le corps humain est une œuvre de Dieu, lui avais-je certifié avec le sourire.

— Dans l'Islam, Adam et Ive ni sont pas montrés.

— Je comprends. Quand on voit la représentation caucasienne de Jésus... Aucun saint ni prophète n’y est représenté ?

— Non, jamais. Y encore moins li Miséricordieux. Ci Haram, subhn'Allah ! m'avait-elle affirmé en fermant les yeux. Après si vous voulez un avis, si très moche, j'ai vou li statoues au château di Versailles, entre vous y moi, li zizis sont mieux faits.

Face à pareille sortie, je m'étais étouffé sous un fou rire qui dura un long moment et m'avais arraché bien quelques larmes. D'une seule et unique phrase, cette Ayat était devenue irremplaçable.

Je fais bouillir du lait pour mon Earl Grey. Le regard braqué derrière le paravent où s'impatiente mon lit qui me réclame depuis ce matin. Je suis épuisé après mes exploits de la nuit dernière et les trois heures de sommeil - pour une veille de rentrée - ça n'est pas du tout raisonnable.

La bouilloire crache sa vapeur et je l'éteins avant de me verser de l'eau dans une tasse, y ajoutant du citron, du lait et un sachet d'Earl Grey.

Dans l'attente, je me place devant mon ordinateur pour prendre connaissance du cours que je compte inculquer à ma classe de Travaux Dirigés demain. Du symbolisme à travers le corps humain. Je connais ces croquis par cœur, sa symbolique sur le bout des doigts et l'interprétation dans sa globalité, alors qu'elle laisse entrevoir plusieurs sens. J'ai hâte d'entendre les interventions de mes élèves en espérant les attirer avec cette entrée en coup de maître.

Thé fini, je laisse la tasse dans l'évier avant d'aller jouer le comateux sur ce lit frais d'une odeur de lavande. J'enlève mes lunettes et les dépose sur la table de chevet. J'enfouis ensuite ma tête entre les oreillers moelleux à souhait et ferme les yeux. En mémoire, le souvenir d'une créature de rêve allongée à mes côtés. Celle qui s'y trouvait il y a à peine quelques heures. Un joyau avec qui j'avais entretenu un échange passionné presque oublié. La douceur d'une femme nue étendue sous mes caresses, afin d'accroître l'excitation. Belle Muse qui m'a permis d'atteindre une jouissance orgasmique après un an d'abstinence à ni voir, ni toucher le corps plaisant du sexe opposé.

La douleur que j'avais éprouvée en perdant Lauren avait été si conséquente que j'avais fini par oublier de vivre. Sans même m'en rendre compte, j'avais écarté ces moindres plaisirs que la vie procure. Dans mon cas, ce sexe féroce que j'aime tant sans que ma partenaire demande à arrêter. Une copulation chargée de volupté, tout comme cette dernière, dont les preuves sont encore marquées dans mon dos. Un ébat ardent dont chaque détail défile dans ma tête, jusqu'à ce que Morphée ne m'enveloppe de ses bras.

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