Chapitre 12

3 minutes de lecture

 Le lendemain de la perquisition au domicile de James Douglas, le lieutenant Page patiente devant la machine à café. Il est déjà presque seize heures, c'est le huitième de la journée, et même si c'est probablement une mauvaise idée de se gaver de caféine, vu l'état de ses nerfs, elle ne peut pas faire autrement. Il faut qu'elle s'occupe, le temps que le laboratoire ait terminé l'analyse de l'échantillon de cheveux. Elle sait pourtant qu'ils ont annoncé les résultats pour le lendemain, mais elle ne peut s'empêcher de conserver un petit espoir.

 De retour dans son bureau, elle laisse son regard vagabonder un peu partout, sur son ordinateur aux piètres performances, sur un stylo au capuchon ravagé de traces de prémolaires, sur la tasse d'où s'élèvent des volutes. Une sonnerie du téléphone fixe la tire de sa rêverie. Elle bondit du siège et décroche immédiatement.
 — Lieutenant Page à l'appareil ?
 Elle se fige, décolle un peu le combiné de son oreille, n'osant y croire, puis reprend l'écoute, la main crispée sur l'appareil.
 — Attends une seconde. Attends C... Non ! crie-t-elle. C'est toi qui vas m'écouter ! Je pensais avoir été claire la dernière fois, mais apparemment non, alors je vais te le redire une bonne fois pour toutes. C'est mort, d'accord ? Mort et enterré, et même pourri, bouffé par les vers ! Tu comprends ça ? J'en ai plus rien à foutre des connards dans ton genre, t'entends ? Pourquoi tu crois que tu arrives plus à me joindre ? Ben parce que je t'ai bloqué, parce que je veux plus t'entendre, plus te voir, plus jamais, d'accord ? Grandis, merde ! On n'est plus au lycée !
 La voix grésillante au bout du fil hasarde quelques mots.
 — Non, mais à ce stade-là, c'est grave ! J'en peux plus, moi, tu m'entends ? T'es complètement cinglé, j'te jure... Ton destin, c'est de la merde, ok ? T'as trouvé ce numéro, alors tu sais où tu appelles, hein ? Donc tu sais ce qui va se passer si tu réessaies ? Déjà, rien, parce que je vais le faire changer. Mais si tu oses ne serait-ce qu'essayer de me recontacter de quelque manière que ce soit, je te promets solennellement que je t'envoie mes collègues au cul. Ca fait trop longtemps que ça dure, ces conneries, tu m'entends ? T'as compris ? T'as bien pigé ? Bien, alors va te faire soigner !
 Page abat violemment le combiné sur son support, en espérant que le bruit rendra sourd l'appelant.
 — Lieutenant, vous allez bien ?
 Gabriel Domino se tient à l'entrée du bureau, dans l'embrasure de la porte, hésitant. La jeune femme se tourne vers lui.
 — Oui, ça va, j'ai...
 — Hurlé très fort, oui.
 — Désolée.
 — Qui vous a mis dans un état pareil ?
 — Disons... Un spectre du passé.
 — Est-ce que je peux faire quelque chose ?
 — Je veux bien que tu demandes aux services généraux de m'affecter un nouveau numéro. Pour le reste, j'espère que ça ira, que le message est bien passé.
 — Je m'en occupe, lieutenant. Mais vous savez, comme on dit, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
 — Je sais, répond Page en soupirant, mais s'il continue à me harceler, la prochaine chose qu'il entendra, ce sera la voix du juge !
 Gabriel hoche la tête avec un petit sourire et referme la porte derrière lui. Le lieutenant se laisse retomber au fond de son siège, expire profondément et attend que ses battements de cœur s'apaisent un peu. Cela faisait trois ans depuis le dernier appel. Elle a pensé en être débarrassée, mais elle n'a manifestement pas encore entièrement sorti les pieds du bourbier.

 Après une longue introspection, la colère finit par refluer, et le regard de Page reprend sa divagation. Il bute sur la petite boite en aluminium récupérée au domicile de Douglas, soigneusement emballée dans un sachet plastique scellé. Au travers de l'enveloppe, le lieutenant remarque un détail qui lui a échappé jusqu'ici. Une inscription minuscule, sur un côté de l'écrin, abîmée et salie, mais bien présente. Elle tire le sachet vers elle, se penche, scrute attentivement les contours de l'écriture. Elle parvient à déchiffrer trois lettres : « RWD ». Elle pense immédiatement à l'abréviation de « rewind », comme sur les vieux magnétophones, mais la calligraphie soignée et élégante l'oriente plutôt vers l'hypothèse d'initiales. Le souvenir de la caresse fugace d'une tiède brise de printemps parcourt son visage et la peau nue de ses bras se couvre de chair de poule. Un infime détail la taraude, sans qu'elle sache précisément lequel, ni s'il est lié au coup de téléphone ou au réceptacle en métal.

Annotations

Vous aimez lire Nicolas Leighton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0