9 Interlude

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— Ooooooooooooh ma petite Azalée, comme tu es belle ! Entre ! Alain, Alicia, Adélie ! Venez voir qui nous rend visite ! s'exclame la grand-mère d'Azalée, émerveillée, en l'étreignant avec chaleur.

— Mamie Agapé ! Tu m'as manquée ! avoue sincèrement Azalée, les yeux embués de larmes, perdue entre le désespoir de la nuit passée et l'excitation de revoir ses grands-parents, sa tante et sa cousine.

Derrière elles, son grand-père, sa tante et sa cousine s'approchent, tous sourires.

— Papi Alain ! Tante Alicia, Adélie ! Ça fait si longtemps !

Cette fois, lorsque Azalée fond en larmes, c'est du bonheur fou des retrouvailles, et c'est comme si les cinq dernières années de souffrances et d'humiliations en tous genres n'avaient jamais existé.

— Quelle belle plante tu es devenue ! affirme Tante Alicia en lui saisissant les mains. Laisse-moi voir comme tu es jolie ! La dernière fois que je t'ai vue, tu étais encore une enfant et voilà que tu es une magnifique jeune femme !

Quand elle la serre fort contre elle, Azalée rougit fortement, se mordant la langue pour ne pas dire ce qu'elle pense de ce compliment, qui n'est à ses yeux rien d'autre qu'un mensonge éhonté.

— Maman, tu l'étouffes avec tes obus de première classe : réserve-les pour le beau visage d'Igor et laisse-la respirer !

— Adélie ! réprimande Tante Alicia en lâchant Azalée, les joues et les oreilles écarlates, puis en réajustant le décolleté de sa robe topaze.

— Maman ! répond Adélie sur le même ton, sans se soucier de la gêne de sa mère. Ça va cousine, pas besoin de réanimation ?

Azalée s'esclaffe tout en essuyant le torrent de larmes qui a sillonné ses joues rebondies.

— Tu m'as manquée, Adélie !

— Moi ou mes conneries ?

— Adélie ! Les grossièretés ! Je vais te laver la bouche au savon ! s'écrie Tante Alicia en tapant le bras d'Adélie.

Celle-ci, en réponse, lève les yeux au ciel, amusée.

— J'adore tes conneries, mais je crois que je t'aime un peu plus encore !

— Azalée ! la reprennent Tante Alicia et Mamie Agapé, parfaitement synchrones, le même air surpris sur le visage.

Azalée rougit en baissant les yeux, luttant contre un fou rire : elle se choque elle-même, car ce n'est pas le type de plaisanteries qu'elle a tendance à faire. Le silence se fait quelques secondes puis, tous en même temps, ils éclatent de rire.

— Tu aimes la soupe à l'oignon ? demande Adélie en grimaçant de dégoût. On allait se servir. Je te sacrifie ma part avec plaisir pour me rabattre sur des beignets de crevette ! annonce-t-elle alors que son ventre gronde pour faire savoir son mécontentement de devoir attendre le repas.

— Tu as un grand cœur ma chérie, mais il y en a bien assez pour tout le monde, inutile de te sacrifier, déclare Tante Alicia en souriant, espiègle, prononçant étrangement le mot « sacrifier » en mimant des guillemets dans les airs. Et je crois bien qu'avec ta remarque sur mes obus et tes grossièretés tu as gagné le privilège d'une plus grosse portion de soupe à l'oignon, tu ne penses pas ‽

Elle fait un clin d'œil à Azalée alors qu'Adélie fait la moue.

— Oooooh joie... J'aurais pas dû dire que tes obus sont de première classe, c'était un trop beau compliment pour être récompensée par une triple portion de soupe à l'oignon... répond Adélie dans un débit rapide avant d'esquiver Tante Alicia en riant aux éclats pour se précipiter dans la cuisine.

— Peau de vache, va ! s'écrie Tante Alicia en la coursant, riant à gorge déployée.

L'appartement de Papi Alain et Mamie Agapé devient alors une immense aire de jeu, et Azalée se laisse gagner par la légèreté et l'hilarité générale. C'est le teint écarlate et les joues douloureuses d'avoir tant ri que chacun s'installe autour de la table pour déguster le repas du midi. L'ambiance est chaleureuse : les cuillères tapent contre les bols, les souffles bruyants refroidissent les soupes, on se parle, et surtout, on s'écoute. Vraiment, sans faux-semblant.

Azalée est aux anges, et ça lui fait mal d'être aussi heureuse. Elle ne savait plus comment faire, et elle sent son cœur repoussant dans la plaie béante de sa poitrine, comme un organe en trop et défectueux dont on l'avait amputée et qui se décide à revenir pour la tourmenter. Et cette douleur, elle ne peut s'empêcher de la trouver merveilleuse.

Elle vit. Enfin elle vit. La mort la quitte, et elle ne peut pas s'empêcher d'espérer. D'espérer que c'est pour toujours. D'espérer que ce n'est pas une illusion cruelle. D'espérer que c'est ce qu'elle mérite. Tout ce qu'elle mérite. D'espérer que, comme il y a plus de cinq ans, elle puisse parler et agir sans réfléchir, tout simplement être elle-même, sans être jugée, insultée, frappée, humiliée...

— Tu veux de l'île flottante, Azalée ? Faite maison ! s'exclame fièrement Tante Alicia.

— Grand Dieu non, je suis une baleine hideuse !

Azalée a répondu à l'instinct, sans passer par le filtre de son cerveau, et elle le regrette immédiatement. Ses joues la brûlent alors qu'elle rougit et elle sent les larmes poindre.

« Palsambleu ! Quelle sotte ! » se maudit-elle intérieurement en baissant les yeux sur son bol de soupe vide alors que la tablée l'observe avec stupéfaction.

Sous la pression des regards, elle craque.

— Je vais aux toilettes... marmonne-t-elle en se levant à la hâte, faisant crisser les pieds de sa chaise contre le carrelage.

— Elle se voit vraiment comme ça ‽ demande Adélie, incrédule, alors qu'Azalée sort de la cuisine. Elle est putain de parfaite ! ajoute-t-elle, l'indignation perçant dans sa voix.

Azalée ne se retourne pas, accélérant dans le couloir puis fonçant sur la porte des toilettes comme si sa vie en dépendait. Elle s'assoit sur la cuvette et s'enfouit la tête dans les mains.

— Diantre... Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler Azalée bon sang de bonsoir... Qu'est-ce qui t'a pris ? Ils t'ont tous regardée comme si tu venais des pommiers de la lune ! Essaye de passer une journée normale, allons !

Enfin seule, elle cesse de retenir ses larmes. Avec elles, ses angoisses semblent se déverser hors de son corps pour la libérer, la laver de toutes les crasses qui souillent son âme brisée. Jusque-là, elle se croyait débarrassée de son marasme interne par les rires, par ses proches à ses côtés.

En reniflant bruyamment, les lèvres pincées et les sourcils froncés, elle observe les marques creusées sous sa peau par son compas la nuit passée. Puis elle pense à la journée de la veille, qui a si mal commencé et si mal fini mais qui a été pourtant la plus magique depuis de nombreuses années. Et tout ça, grâce à de beaux yeux gris acier qui adorent se cacher derrière une mèche rebelle blonde. Tout ça, grâce à des expressions québécoises, belges et Dieu sait quoi encore. Tout ça grâce à des tomates cerises et un « Son Altesse Chouquette » balancé au moment idéal. Tout ça, grâce à Un crime au paradis, du popcorn, des confiseries et un canapé confortable. Tout ça grâce au garçon assis à côté d'elle, trop occupé à la dévorer des yeux pour s'intéresser au film. Tout ça, grâce à Niels...

Les joues en feu, elle se revoit tomber sur les genoux de ce beau garçon qu'elle a peur de perdre alors qu'elle le connaît à peine. Elle avait senti son corps réagir sous elle, et elle s'était relevée vivement, mortifiée, perdue dans ses sentiments. Encore maintenant, elle ne sait pas si elle s'était sentie flattée de le sentir durcir contre elle, apeurée, ou honteuse. Pendant ce moment si bref qu'elle pensait presque l'avoir imaginé, elle avait oublié qui elle est. Elle s'était sentie belle, désirée, aimée, et digne de l'être.

Azora lui avait rappelé sa juste place. Du moins, c'est ce qu'elle pensait jusqu'à il y a une minute. Ses grands-parents, sa tante et sa cousine étaient si parfaits avec elle. Ils avaient paru si choqués quand elle s'était traitée elle-même de baleine hideuse. Puis, même si elle n'avait rien laissé paraître, elle avait entendu Adélie, elle avait perçu l'indignation, la colère, l'incrédulité dans sa voix. Et voilà que maintenant, le doute s'insinuait dangereusement en elle, et avec lui l'espoir. La seule chose dont elle avait été absolument sûre toutes ces années, c'était qu'elle n'était qu'un déchet, un poids accroché aux pieds de sa famille, semant chaos, destruction et malheur partout sur son passage, indigne de respirer, indigne de vivre, indigne de tout.

— Alors je mérite le bonheur ? moi ? vraiment ? murmure-t-elle, incrédule, sans pouvoir s'en empêcher.

Comme s'il était là, devant elle, bien réel, elle revoit la réaction de Niels quand elle s'était mise à chanter, puis celle de Caroline. Elle ne s'en rend compte que maintenant, mais elle s'était sentie exactement à sa place, sans complexe, talentueuse. Sans réfléchir, pour prolonger cette sensation de plénitude comme si elle n'avait jamais pris fin, les yeux clos pour visualiser la chambre de Niels, et le bellâtre lui-même, elle commence à chanter.

Quand elle n'a pas son nécessaire à peinture, le chant est la seule activité qui parvient à la libérer, à la faire sortir d'elle-même. Et pourtant, elle fuit cette activité comme la peste, lui préférant la mutilation, car la souffrance est tout ce qu'elle mérite, et certainement pas la libération tant espérée.

Shine bright like a diamond
Shine bright like a diamond
Find light in the beautiful sea
I choose to be happy
You and I, you and I, we're like diamonds in the sky
You're a shooting star I see, a vision of ecstasy
When you hold me, I'm alive, we're like diamonds in the sky
I knew that we'd become one right away
Oh, right away
At first sight, I felt the energy of sun rays
I saw the life inside your eyes
So shine bright, tonight, you and I
We're beautiful, like diamonds in the sky
Eye to eye, so alive
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shinin' bright like a diamond
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shinin' bright like a diamond
We're beautiful, like diamonds in the sky
Palms rise to the universe as we moonshine and molly
Feel the warmth, we'll never die
We're like diamonds in the sky
You're a shooting star I see, a vision of ecstasy
When you hold me, I'm alive
We're like diamonds in the sky
At first sight, I felt the energy of sun rays
I saw the life inside your eyes
So shine bright, tonight, you and I
We're beautiful, like diamonds in the sky
Eye to eye, so alive
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shinin' bright like a diamond
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shinin' bright like a diamond
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond
Shine bright like a diamond
Shine bright like a diamond
So shine bright, tonight, you and I
We're beautiful, like diamonds in the sky
Eye to eye, so alive
We're beautiful, like diamonds in the sky
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond
Oh-oh, yeah
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond (Woah)
Shine bright like a diamond
Shine bright like a diamond

Lorsqu'elle rouvre les yeux, Azalée sourit à travers ses larmes. Et cette fois, ce sont des perles de soulagement et de sérénité qui dévalent ses joues rebondies. C'est décidé, elle veut profiter pleinement de cette journée, pas se morfondre.

On lui offre une excellente journée sur un plateau, et elle compte bien la déguster ! Elle retournera bien assez tôt à sa vie pourrie ! Et demain, elle devra s'expliquer auprès d'Axelle, et surtout auprès de Niels. Elle le lui doit bien.

Il lui a offert de superbes souvenirs, et elle l'a remercié en prenant la poudre d'escampette... Il mérite de comprendre pourquoi. Il ne doit surtout pas penser que c'est de sa faute, qu'elle est partie parce qu'il n'est pas assez bien pour elle. Au contraire, il est parfait, et elle...

Elle, elle n'est rien...

C'est lui qui mérite un milliard de fois mieux qu'elle.

Alors pourquoi ? Pourquoi veut-elle se placer à sa hauteur, à lui. Ressentir encore son regard si doux sur elle, ses mains dans ses cheveux, ses bras qui la bercent contre son torse, qui la portent à l'infirmerie puis plus tard à la cafétéria, ses doigts qui lui rabattent sa capuche sur la tête, entendre ses éclats de rire, l'admiration dans sa voix quand il la complimente sur ses peintures ou sur sa voix, l'admiration dans sa voix quand il lui dit qu'elle est belle... L'admiration dans sa voix, encore et toujours l'admiration dans sa voix !

Au sortir des toilettes, les joues rosies et un sourire incertain sur les lèvres, Azalée se dirige vers la salle de bain pour s'analyser dans le miroir. Lentement, elle réarrange sa longue chevelure qu'elle déteste tant maintenant alors qu'elle était sa plus grande fierté dans le passé, le passé avec Azora comme triplette et meilleure amie, avec Alizée à la maison. Dans un soupir, dont elle-même ne connaît pas vraiment la signification, avec la manche de son pull en mohair gris souris, elle s'essuie les joues et les coins des yeux.

Sa peau de porcelaine l'effraie, et elle hausse les épaules, vaincue : jamais elle ne sera belle, alors à quoi bon tenter quoi que ce soit pour avoir le magnifique teint d'Axelle, de ses triplettes et de sa mère ? Elle l'a toujours su, en tant que la première conçue, elle est le croquis raté d'Azora et Alizée.

« Au moins, Niels me trouve belle. Le reste n'a pas d'importance. Si... ? » s'interroge-t-elle en réajustant son pull, qui venait de révéler son ventre flasque répugnant quand elle avait levé les bras pour se recoiffer.

Elle a peur de ce qu'elle ressent, mais c'est plus fort qu'elle, elle se sent heureuse du reflet déformé, tellement plus beau que la réalité, qu'elle voit par les fenêtres gris acier de l'âme de Niels. Ce qu'elle veut ignorer plus que tout, c'est que sa vision d'elle est complétement faussée. Elle veut en faire sa réalité à lui, même si ce n'est celle de personne d'autre. Elle le veut pour lui, elle le veut pour elle. Elle ne veut rien pour elle depuis une éternité pourtant. Cela la terrifie et l'émerveille à la fois.

— Tu es une belle fleur, Azalée, souffle-t-elle à son reflet pour se donner du courage. Puis elle se détourne du miroir mural pour sortir de la salle de bain et rejoindre la maisonnée dans la cuisine.

Quand elle se réinstalle à sa place, une grosse part d'île flottante l'attend, mais ce n'est pas la seule nouveauté. Entre elle et Tante Alicia, un grand homme au teint hâlé est assis devant une portion de soupe à l'oignon. Elle le regarde, interdite, ne sachant pas comment se présenter.

— Igor ! s'exclame Tante Alicia en donnant un léger coup dans les côtes du mangeur, qui n'a pas encore remarqué l'arrivée d'Azalée à sa droite.

Il s'étouffe avec sa mouillette, déglutit en tapant sa poitrine de son poing, éructe avec bruit, s'excuse hâtivement et se retourne vers elle.

— Azalée ! Depuis le temps que j'entends parler de toi ! Tu es la seule que j'ai pas encore rencontrée ! Je suis Igor, le conjoint d'Alicia.

Sans se soucier d'avoir les mains sales et le menton dégoulinant de soupe, il serre chaleureusement Azalée contre elle, sous évaluant la force de son étreinte. Elle sourit alors qu'il fait claquer ses joues contre les siennes pour lui faire la bise. Malgré elle, elle a un pincement au cœur. Il est sincèrement ravi de la rencontrer enfin, mais elle est passée en dernier, une fois de plus. Elle n'est pas assez importante pour la famille. Elle aurait dû le rencontrer en même temps que les autres, mais elle avait eu un « malencontreux accident », et ce « malencontreux accident » portait le prénom d'Azora. Elle avait dû rester à la maison alors que toute la famille, même Alizée qui avait réussi à rentrer de Londres, même son père qui avait refait sa vie en Allemagne, s'étaient réunis dans une grande réunion familiale. Elle était la grande absente comme toujours. Et tout le monde s'en foutait. Un temps, elle n'existait pas, et c'était bien pour eux, rien ne changeait dans leur vie, tout restait normal. Pourquoi penser à son absence à elle, la si insignifiante petite Azalée ?

— Moi aussi, j'avais hâte de te rencontrer, Igor, répond-elle en approchant la cuillère de ses lèvres, faisant de son mieux pour ne pas penser à son ventre flasque et à ses fesses débordant de la chaise. À plusieurs reprises, elle ouvre la bouche mais la referme. Finalement, sentant le poids des regards sur elle et repensant au choc sur les visages de la tablée un peu plus tôt, elle prend une première bouchée d'île flottante, à contrecœur. Elle ne savoure pas, elle avale, luttant contre un haut-le-cœur en songeant aux kilos en plus et aux humiliations et remarques cruelles d'Azora, Anaïs et la bande, et de tout le monde dans l'établissement. Même les professeurs s'y mettaient parfois. La semaine précédente, une pionne, qu'elle connaissait à peine car elle s'occupait des collégiens et non des lycéens, lui avait crié de se bouger le gras et de lever son gros cul pour partir du self car la cloche allait bientôt sonner. Les élèves restants avaient ricané et y étaient allé à cœur joie pour faire des commentaires désobligeants avec des rires gras et peu classieux. La surveillante leur avait dit de se hâter aussi, et ils avaient obéi, mais elle ne les avait pas réprimandés pour leur comportement et leurs paroles blessantes. Les coins de ses lèvres s'étaient retroussés alors qu'elle retenait un sourire amusé, avant de perdre patience et d'agripper le bras d'Azalée pour la lever de sa chaise et la mettre dehors en lui jetant son sac à la figure.

Autour d'elle, Tante Alicia et les autres, à l'exception d'Igor qui a recommencé à manger, la fixent avec impatience en attendant son verdict. Elle déglutit et, tant bien que mal, parvient à prendre une seconde bouchée, qu'elle s'efforce de prendre le temps de savourer.

— C'est délicieux, déclare-t-elle enfin, sincère mais rongée par la culpabilité de manger du dessert.

— Zut, plaisante Adélie. Je t'aurais bien volé ta portion, moi !

— Tu en as déjà mangé trois portions et la dernière est pour Igor, ma chérie ! s'esclaffe Tante Alicia en lui ébouriffant les cheveux.

Au même moment, Azalée, l'air amusé, tend son assiette à sa cousine.

— J'adore mais j'ai vraiment plus faim, tiens. On va pas gaspiller un dessert aussi bon, je te donne la mienne !

Adélie ne saisit pas l'assiette d'île flottante d'Azalée : elle observe sa mère du coin de l'œil, pour lui demander la permission. Tante Alicia fait non de la tête, les lèvres pincées. Sans pouvoir se retenir, Azalée soupire en reposant le dessert devant elle et en reprenant sa cuillère. Elle est si lente malgré ses efforts qu'Igor finit sa part d'île flottante avant elle. Enfin, quand elle a terminé, elle ose regarder Tante Alicia. Doucement, elle la remercie pour le repas.

— On va se promener pur digérer tout ça ? propose Mamie Agapé après un silence.

Même si elle n'en montre rien et ne le dit pas, Azalée lui en est reconnaissante, car elle a détourné l'attention d'elle. Elle sentait que les questions allient venir, et elle n'aurait pu ni mentir, ni dire la vérité.

— Oh oui chouette ! Je peux choisir où on va ‽ s'emballe Adélie en se levant avec animation pour sautiller sur place en tapant des mains, manquant de renverser la table au passage. Azalée, tu te souviens du parc où on passait notre temps à faire les andouilles sur les barres parallèles ? On faisait des concours de cochon pendu et tu gagnais sans arrêt ! On va là-bas dit ‽ Alleeeeeeeeeeeez Azaaaaalée ! On y va, dit ‽

Devant l'optimisme enfantin d'Adélie qui la secoue comme un prunier pur qu'elle accepte, Azalée explose de rire.

— C'est bon d'accord, on y va, mais arrête de me remuer comme ça, tu me files le mal de mer ! Et tu sais la règle, avant de courir dehors, tout le monde débarrasse la table alors calme-toi, tu vas tout casser sinon, je te connais !

— Quelle bonne cousine tu as là, rigole Igor. Au garde-à-vous, Ouragan Adélie ! Ta mère doit refaire le plein de vaisselle à la maison, alors essayons de préserver celle de ta grand-mère !

C'est dans les rires et les blagues bon enfant que la table est débarrassée et lavée puis que chacun se couvre chaudement pour sortir.

Le parc est à une dizaine de minutes à pieds, et durant ce laps de temps, Azalée se laisse entraîner par la démarche guillerette d'Adélie autant que par le tumulte des conversations tantôt joyeuses et tantôt tendres de Papi Alain et Mamie Agapé, et par les ronrons romantiques et les baisers parfois doux, parfois fougueux et passionnés d'Igor et Tante Alicia.

— On se marie en mai aux États-Unis. Heureusement qu'Azora, Alizée et toi êtes triplettes, ça sera moins compliqué pour les robes de demoiselles d'honneur, vous êtes parfaitement identiques, et Adélie et Axelle ont presque le même teint que vous trois donc vos couleurs sont les leurs ! Tu vas être une magnifique demoiselle d'honneur ! pépie béatement Tante Alicia alors qu'Igor l'embrasse dans le cou et la serre contre elle.

Malgré le bonheur qu'elle ressent à cette annonce, le corps d'Azalée se tend. Incapable qu'elle est, elle va tout gâcher, en glissant sur un petit four et en renversant son verre de vin sur la robe de mariée de sa tante, ou n'importe quelle autre connerie improbable ! Non, vraiment, pourquoi lui faire pleinement confiance pour être demoiselle d'honneur ‽ Comment faire pour venir tout en refusant ce rôle bien trop important pour qu'elle en soit digne ‽

« Miséricordieux ! Sauvez-nous du mal ! » se lamente-t-elle intérieurement alors que, maladroitement, elle enlace Tante Alicia et Igor.

— Azalée, cochon pendu ! Celle qui tient le plus longtemps suspendue reçoit un cadeau de la perdante ! s'écrie Adélie en la tirant par le bras, mettant fin à l'étreinte. Alleeeeeeez, uuuuuuuuuuurge, cousine, uuuuuuuuuuurge !

Dans un éclat de rire, renouant avec l'Azalée d'autre fois, Azalée se précipite à la suite de sa cousine, sans penser aux gens qui les entourent. Elle compte bien profiter pleinement et surtout battre Adélie à plate couture, et qu'importe si ce jeu n'est plus de son âge !

Avec une agilité qu'elle croyait morte en même temps que sa joie de vivre, elle se suspend par les genoux à la barre métallique, à côté d'Adélie. Par réflexe, elles se tiennent par la main en se regardant. Leurs cheveux tombent en cascades sur le sol sablonneux du parc. Le pull ample d'Azalée descend près de son cou, révélant son ventre et son soutien-gorge de dentelle jaune pâle. De sa main libre, elle essaye de le retenir, mais elle abandonne l'idée quand elle sent qu'elle va perdre l'équilibre si elle bouge trop. Les joues rouges, Adélie ricane et la taquine, dans l'espoir de la déstabiliser encore plus pour la faire perdre, alors qu'elle aussi, elle est mal à l'aise à cause de son chemisier qui ne cache plus grand-chose.

— Je perdrai dans tes rêves, Adélie, s'exclame difficilement Azalée, le sang lui montant à la tête.

Finalement, dans ce qui est à la fois un grognement de défaite et un rire, Adélie se laisse tomber sur le sable, entraînant Azalée dans sa chute.

— Un jour, je serai victorieuse sur toi ! s'écrie-t-elle en faisant la guili à Azalée.

— C'est une menace ou une promesse ? Dans les deux cas tu prends tes rêves pour une réalité future !

— Je veux faire la belle puis la rebelle !




Désolée la mise en page a sauté au moment de copier coller ! Je rectifierai ça plus tard (je dois retrouver quels passages étaient en italique, etc.

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