Chapitre 1

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Du coup, Pépère se rappela les hordes teutonnes qui se ruèrent jadis dans les campagnes françaises pour tout y dévaster. Patriote depuis trois guerres au moins, Raymond se rua vers le garage d’où il revint avec une pétoire incroyable !
Couvert de poussière et de tâches de rouille, ce vieux fusil présentait plus de danger pour l’utilisateur que pour la cible, mais le grand-père s’en tamponnait les flancs. Fouillant dans un des tiroirs du grand vaisselier, il retrouva quelques cartouches antiques qu'il voulut charger, mais le mécanisme était grippé. Ce n’était pourtant pas le moment, alors qu’un nouvel holocauste était sur le point de se produire !

Raymond s’arc-bouta pesamment sur l’arme pour la faire céder, mais elle résistait avec hargne à ses efforts. Alors, n’y tenant plus, il s’en saisit par le canon et la jeta rudement sur le sol. Miracle ! Le chargeur s’ouvrit. Un peu essoufflé, papy Rambo s’approcha d’un pas conquérant et toisa le fusil d’un air goguenard.

  • Alors, connard, tu croyais pouvoir me tenir tête, hein ? Apprends que j’ ai brisé des plus costauds que toi !

Tout à son délire, le vieil homme se rappela soudain que cette arme ne sortait pas de son placard pour rien. Complètement dézingué à présent par les effets du cognac, il se retourna d’un geste brusque, manqua se dévisser la colonne vertébrale et se flanquer la tronche par terre. Oublia, au passage de charger son fusil ! Heureusement, la table lui proposait un coin bienveillant, quoique fragile. Appuyé sur cette table en ruine, les deux bras tendus pour soulager l’effort vacillant de ses vieilles jambes fatiguées, il considéra la baie vitrée d’un mauvais œil.

  • Qui z’y viennent ces sales envahisseurs ! J’te vas leur foutre une rouste qu’ils s’ront pas prêts d’oublier, j’t’l dis, moi ! menaça-t-il d’une voix pâteuse.

Passons rapidement sur la gamelle qu’il se prit quand même alors qu’il se penchait pour ramasser son arquebuse. Oublions aussi les imprécations virulentes qui en découlèrent, pour arriver enfin à l’instant où il ouvrit la baie vitrée…

  • Bande de nazes ! hurla-t-il dans la nuit qui fit largement écho à sa voix rocailleuse. Viendez donc, si vous z’osez, tapettes ! J’vais vous truffer le cul de plomb ! Rien à foutre que vous voulez envahir mon jardin : l’aurez pas. Et la Lorraine non plus !

Quelques lumières s’allumèrent dans les pavillons voisins. Déjà, quelques chiens errants hurlaient à la mort, de concert avec les élucubrations avinées du pépère. Quelques protestations endormies de la part des voisins qui roupillaient comme des marmottes, quelques insultes bien senties en guise de réponse, et le vieillard reprit son discours :

  • Alors, qu’était-ce que vous attendez ? Z’avez les rouflaquettes qui se tortillent ou quoi ? Eh bé ! Si on avait dû compter sur vous en Quarante, on aurait z’été vach’tement dans la mouise, hein ? Viendez, que j’vous disasse ce que j’pense des E.T. qui viennent en baguenaude la nuit sur ma planète….vais vous faire retourner dans vot’ désert, moi !

Il était pété comme un boulon, le vieux ! Vaincus par la rogne du vieux, les voisins, blasés, se contentèrent de refermer leurs fenêtres en maugréant. Aucun ne prêtait plus attention depuis longtemps aux colères de leur antique voisin.
Pourtant, seul défenseur de la planète face aux terribles hordes barbares qui envahissaient le ciel, Raymond se dressa sur ses ergots de vieux coq, provoquant les supposés martiens. Et il faut croire que ces derniers finirent par remarquer le grand-père qui se pétait les cordes vocales du haut de son perron ! Les loupiottes du vaisseau spatial clignotèrent sur un autre rythme, comme si elles cherchaient la provenance exacte des insultes terriennes. Au terme de quelques tâtonnements aériens, un long faisceau lumineux, fin et puissant, déchira le ciel et se planta directement sur la tronche du grand-père.

Celui-ci en eut le sifflet coupé instantanément !

Aveuglé par la lumière, il cacha ses yeux derrière son avant-bras gauche pendant que, de la main droite, il adressait un doigt tendu et revendicatif. L’ovni sembla hésiter une seconde. Ondulant comme une mousmé à la fête dans un harem surpeuplé, l’objet tangua puis prit carrément de la gîte. Finalement, après un bref recul, le vaisseau accéléra rapidement pour se ruer vers le pavillon de banlieue du grand-père.

Celui-ci, un bref instant surpris par la vitesse de l’appareil, réagit promptement et enfourna deux bastos dans sa pétoire. Il râla à cause de l’effort demandé pour refermer l’arme mais, en un rien de temps, il se retrouva avec l’œil vissé dans la lunette archaïque et le doigt tendu comme un string sur la double détente du tromblon.

Le temps se figea malgré la rapidité des faits. L’ovni déboulait à grande vitesse et Raymond, sans tenir compte de ses douleurs lombaires, se tenait fermement campé sur les marches du perron, prêt à expédier les visiteurs six pieds sous terre. Le chien qui hurlait à la mort ferma son claque-merde et se carapata sur la pointe des pattes, sentant venir du vilain…

Enfin, l’engin arriva au-dessus de Raymond. Il s’immobilisa en un instant. Un bref moment que le vieillard mit à profit pour défourailler un premier pruneau ! Le projectile s’élança, plein de fougue et le feu au cul en direction des touristes du ciel. Un millième de seconde après, il percuta la coque métallique en même temps qu’apparut une petite gerbe d’étincelle à l’endroit de l’impact.
Tout de suite après, on entendit une seconde détonation… Mais là, c’était parce que Raymond avait laissé tomber son fusil. En effet, sous l’effet du fort recul de la première détonation, celui-ci échappa des mains du vieillard et, en touchant le sol, la deuxième cartouche était partie sans demander son reste !
Raymond, le cul par terre, ouvrit de grands yeux ronds en considérant la précarité de sa situation. Si les envahisseurs remarquaient qu’il était désarmé, ils allaient le fumer sans autre forme de procès, se dit-il. Il se planqua alors dans le pavillon, referma violemment la porte et rampa sur le carrelage pour ne pas se faire repérer…

Las ! Un étrange faisceau laser rouge transperça les murs et sonda l’espace vital du grand-père. Ce dernier fut vite localisé et un autre rayon de lumière, jaune citron celui-ci, vient se coller entre ses deux yeux. Allongé sur le dos, appuyé sur les coudes, Raymond osait à peine respirer. De grosses gouttes de sueur froide lui perlaient des tempes. Tout se figea. A croire que la situation allait s’éterniser sans issue possible. Soudain, et malgré de louables efforts, le pépé lâcha une caisse… De peur celle-là ! N'allez pas croire qu’il avait le cul à rire dans les circonstances présentes !

Comme si le rayon avait entendu la détonation, il se troubla un bref instant puis se dirigea vers les bas morceaux de l’ancêtre, là où l'explosion avait eu lieu. Raymond serra les meules comme un perdu, de peur de se voir visité de l’intérieur par le rayon lumineux…
Ce dernier localisa sans effort le secteur recherché, et, comme s’il pouvait renifler les miasmes, parut soudain perturbé ! Le rayon se troubla, clignota un bref instant puis disparut.

Le vieil intrépide en profita pour se relever et fonça vers la cave, abri anti-ovni par excellence comme il avait toujours pu le constater dans les films de merde qu’il regardait à la télé. Avec le pétard qu’il avait ramassé prestement, il espérait pouvoir organiser la résistance depuis les tréfonds de sa baraque, armé de quelques cartouches et d’une volonté d’airain. Plus rien ne bougeait ni ne faisait de bruit. Seules, les viscères perturbés du papy se faisaient encore entendre.

Peu après, la porte d’entrée de la maison grinça et s’ouvrit lentement. Le son lugubre de ce bois ancien et sec comme un coup de trique rajouta à l’ambiance méphitique du moment. Raymond sentit son courage fondre comme une motte de beurre au soleil ! Ses sphincters malmenés par les évènements voulurent parler malgré ses efforts désespérés. Raymond se tordait dans de ridicules gesticulations en vue de bloquer la surpression !
Il prêta une oreille diablement attentive aux bruits qui venaient de l’étage supérieur.
Et il ne fut pas déçu.

Les pas pesants et métalliques d’un inconnu gravissaient lentement les marches du perron…

Comme un asthmatique après un cent mètres couru à fond les gamelles, le visiteur de l’espace ahanait à chaque degré qu’il escaladait. Enfin, vu qu’il n’y avait que cinq marches à grimper, l’extraterrestre arriva vite au seuil de la porte.
Raymond entendit le bruit d’acier d’une arme que l’on chargeait d’un coup sec. Ca y était… La bombe atomique miniature était chargée dans le dézingueur en plasto-titane post-formé de l’intrus ! Raymond chargea aussi son escopette : bruit rouillé du mécanisme qui n’avait plus fonctionné depuis des décennies, hormis les deux coups de tout à l’heure. Le canon était rétif à reprendre son alignement avec la culasse… Raymond couina aussi intensément que son arme, avec un peu plus d’impatience, peut-être.

Les bruits de pas reprirent. Lents, lourds, maladroits. Le vieux avançait lentement, localisant la provenance des pas.

  • Il est dans le couloir, ce fumier, marmonna Raymond.

Il suivait la progression de l’intrus, les yeux rivés sur le plafond de la cave. Il progressa sans bruit, courbé en deux, le fusil serré contre ses flancs antiques.

  • Maintenant il est dans le séjour…

Raymond se rappela les jours douloureux de sa vie passée dans les montagnes nord africaines pendant les années soixante, à la recherche de quelque terroriste anti-gouvernemental. Il se rappela les affres de la peur irrationnelle qui le prenait au ventre quand, dans la nuit trop noire de ces campagnes habituellement paisibles, il redoutait les monstres sanguinaires qui allaient fondre sur sa pauvre pomme. Comme il tremblait alors, terrorisé à l’idée de voir trop tard celui qui prendrait sa vie au détour d’un buisson un peu trop touffu !
Il se souvint aussi de la technique qu’il avait développée alors pour se protéger. Son arme toujours chargée à bloc, il tirait dès qu’il pensait qu’un obstacle pouvait lui être fatal. Combien de chèvres, de chameaux, de passereaux n’avait-il pas explosé, alors !
Jamais il n’avait tué le moindre opposant…mais bon, il fallait ce qu’il fallait.
Et puis un gigot de chèvre permettait de changer des repas insipides que la Grande Muette servait à ses enfants…

  • Il est dans couloir ! s’aperçut soudain Raymond, sorti de ses rêveries par un bruit plus fort qu’un autre.

Avec la plus grande délicatesse possible, il arma le chien de son fusil puis se posta sans bruit en bas de l’escalier. De là, il pouvait attendre d’un pied ferme que la porte s’ouvrît, là-haut. Le temps s’éternisait, comme si l’autre savait qu’il risquait de se prendre une rasade de plomb dans les tripes… Le mécanisme de la poignée de la porte joua lentement. Raymond connaissait bien ce son. La porte s’entrouvrit. Un fin rayon de lumière se glissa dans la cave.
Le vieux, bien campé sur sa position, un peu décalé de l’axe de l’escalier pour ne pas offrir une cible trop facile, attendait avec patience.
Puis, la porte s’ouvrit violemment. La lumière inonda l’escalier de bois vermoulu. L’effet était des plus jolis : la poussière flottait gaiement dans la lumière, indifférente au drame qui se nouait, inconsciente à savoir qu’elle se trouvait entre les deux antagonistes. Pauvre poussière…
Poussière tu étais, poussière atomisée, tu deviendras !

Nouveau bruit lourd et poussif. Le voyageur interstellaire avançait prudemment. Raymond ne respirait plus. Il aperçut un casque rond et d’aspect massif se dessiner lentement dans l’encadrement de la porte. Pas un bruit. Même le trou de balle de l’ancêtre faisait silence ! L’intrus s’engagea sur l’escalier. Parce qu’il se présentait à contre jour, le retraité ne pouvait pas voir les yeux de son agresseur. Et ça l’énervait !

Premier pas sur la première marche, donc.
Le bois gémit sous le poids du scaphandre remplit de viande extra terrestre. La silhouette de l’inconnu laissait deviner une arme, ou quelque chose qui y ressemblait. Cela consistait en un long tube qui s’évasait à son extrémité, comme une trompette. Raymond s’étonna de la forme inattendue de cette arme futuriste. Malgré tout, il épaula son arme, visa calmement et s’apprêta à tirer. L’autre, inconscient du danger tapi dans l’ombre, avança encore. Raymond ajusta la hausse de sa visée, assura sa position, un genou à terre, et se pencha légèrement en avant pour compenser le recul du fusil. L’ombre ne se trouvait plus qu’à cinq mètres. Soudain, elle s’arrêta, semblant détecter une présence. D’un geste rapide, elle leva son arme dans la direction de Raymond et s’apprêta à lâcher ses missiles.
Trop tard !
Le vieux, qui n’attendait que le moment propice tira le premier. Énorme détonation dans l’espace clos de la petite cave ! Puis, nuage blanc de la poudre noire qui vient de brûler ; craquements sinistres de l’escalier ; bruits de bordels, entassés là depuis des lustres et qui tombaient par terre ; hurlements de douleur.

Que s’était-il passé ? Dans la panique, tout s’était déroulé en un clin d’œil. Si tu veux, je peux te repasser la bande au ralenti avec les commentaires qui vont bien. Ca te convient ?
O-k, on rembobine lentement...

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