David

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Il était neuf heures trente quand David remonta les stores de ses yeux endormis. La nuit avait été courte. La veille, il avait rencontré un ancien pote par hasard dans la rue, et avait fini au bistro jusqu’à pas d’heure. Fallait dire que cela faisait un bail qu’ils ne s’étaient pas vus et qu’ils avaient plus à se raconter que deux commères un jour d’enterrement.

Il s’extirpa de son lit en ronchonnant et traversa son trois pièces dans le plus simple appareil. Il vivait seul et cela n’intéressait personne si ce n’est les mouches collées au plafond.

Quelques-unes, téméraires et plus vicieuses que les autres, tentèrent une approche en piqué de son arrière-train. David les chassa rageusement de la main, les vaches le faisaient bien avec leur queue mais, bien que généreusement doté par dame nature de ce côté-là, il ne pouvait rivaliser.

Il se dirigea vers la cuisine de son appartement minable et s’aperçut que le sachet de café moulu tirait sa révérence. Bougon, il extirpa l’ancien filtre de la poubelle et le remit dans la cafetière. Après avoir touillé avec une fourchette la masse encore humide en forme du Pic du Midi inversée, il versa le reste de café moulu tout frais par dessus.

Du haut du huitième étage de son immeuble paumé en plein 93, il regarda à travers les carreaux crasseux, le triste spectacle qui s’offrait à ses yeux rougis. Il en profita pour décoller le plâtre accumulé aux commissures de ses orbites du bout de son index tout en soufflant sur le mug de jus de chaussette brûlant qu’il venait de prendre.

La racaille de cette cité en plein 93 était déjà au taf. Les dealers dans les halls et cages d’escalier et les chouffeurs sur leur vélo à la recherche de la flicaille déguisée en monsieur Ducon.

À la moindre alerte, les chouffeurs brayaient comme des loups affamés pour avertir les autres et la vermine disparaissait sous terre aussi vite qu’un lapin dans son terrier à la vue d’un clébard.

David repéra Kévin, le fils de sa voisine, Élodie de son prénom. Le gamin de douze ans, juché sur son biclo tout neuf faisait partie de la bande des chouffes.

Il s’était laissé, depuis peu, embrigader par les plus grands et avait reçu un peu de fric et son vélo tout neuf, fraîchement volé, en guise de bienvenue.

Maintenant, il faisait le guignol sur son engin et passait entre les voitures en faisant des roues arrières. Un œil sur les plaques minéralogiques et un autre dans la caisse au passage afin de repérer les képis.

- Petit con, s’agaça David en reprenant une gorgée de café arrosé d’un nuage de cognac pour l’améliorer, si j’te chope…

David reposa rageusement son mug sur le bord de l’évier. La patience n’était pas son fort et son tempérament sanguin l’emportait le plus souvent.

Il décida d’agir, passa des fringues et attrapant son blouson au passage, il descendit les huit étages de son immeuble au pied de course.

Une fois à l'extérieur, il fondit droit dans la direction de Kévin, l'air mauvais tel un faucon sur sa proie. Celui-ci ne le vit qu'au dernier moment et ne put se barrer.

- Qu'est-ce que tu me veux ?!!! Fit-il surpris, de sa petite voix d'enfant qu'il tentait de forcer.

David posa sa main épaisse sur le guidon du vélo pour éviter une éventuelle dérobade.

- T'as pas autre chose à foutre que de faire le con avec ton biclo ?

- Je bosse...

- Tu bosses, ricana David, un sourire sarcastique aux lèvres. Tu ferais mieux de faire tes devoirs, au moins ça te serait utile.

- Laisse-moi tranquille, je vais avoir des ennuis sinon !

- T'inquiète, ils vont pas venir m'emmerder tes potes à la con. C'est qu'une bande de branleurs.

- Ben, ils viennent, répondit l'enfant avec un brin de peur dans la voix.

David se retourna et vit trois jeunes s'approcher de lui, l'air menaçant.

- Tu fais quoi ? Sale bâtard ! l'interpella le premier en restant malgré tout à bonne distance, car il avait en face de lui un gros balèze de près de deux mètres, baraqué comme une armoire à glaces trois boules double cornets et une bobine qui faisait réfléchir avant de commencer à venir lui chier dans les bottes.

- C'est à moi que tu causes ? beugla David. Approche qu'on discute, poursuivit-il d’un ton belliqueux, j’vais te servir ma salade de phalanges au travers de ta gueule de déterré !

Le jeune regarda ses deux acolytes et, voyant qu'ils hésitaient eux aussi à avancer, resta campé sur ses positions.

- Il bosse pour nous, lança le jeune loubard d’un coup moins agressif.

- J’m'en tape de ta vie de merde, répliqua David. Il a autre chose à foutre et j’te conseille de pas venir me les briser avant mon verre de lait du matin !

Et il agrippa Kévin par son manteau, le fit descendre de son vélo et les tira manu militari vers le hall de son immeuble, lui et son engin. Le gamin protesta faiblement.

- Hé ! Je te cause, lança le jeune voyou en direction du colosse qui s’en allait. Le vélo est à nous !

- Ben vient le chercher ! Des fois que des couilles t’auraient poussé dans la nuit.

Le jeune hésita un instant ne voulant pas passer pour une flippette devant les autres.

David renchérit :

- J’vais te botter le cul et t’envoyer sur Mars faire des pâtées de sable plus vite qu’Elon Musk et y aura pas de retour, vociféra-t-il d’un ton violent.

La bande n’insista pas car David était connu dans le quartier pour quelques bagarres très viriles et son expérience en MMA, il était relativement craint.

David marchait sur des œufs fraîchement démoulés avec cette faune car, la frontière était ténue entre les rembarrer et les énerver. Il devait se faire respecter mais ne pas marcher sur leurs plates-bandes, il risquait de se mettre les bandes à dos. Là, il leur piquait un membre de leur business mais les raclures de bas étages savaient que David le protégeait.

Il se comparait volontiers à un chien de berger, qui protège le troupeau et tient les loups à distance. Et les loups ne manquaient pas par ici. Il n’y avait pas besoin de les réintroduire, ils y arrivaient bien tout seul.

- T'es con, reprit Kévin une fois dans l'immeuble, ils vont me prendre mon fric et mon vélo.

- Je t'ai dit des centaines de fois de ne pas traîner avec eux, t'as du mal à comprendre, maugréa David.

- Mais ....

- Quoi « mais » ? C'est pas tes potes ! Ils profitent de toi ! Pour eux t'es rien ! Que dalle ! Tu peux te prendre une balle dans la tête, ils viendront pas pleurer après toi ! Tu penses à ta mère ?

David entraîna Kévin dans l'ascenseur toujours accompagné de son vélo.

- C'est pour ma mère que je fais ça, pour l'argent. Elle se tue au taf et moi je l'aide !

- Arrête, tu vas me faire pleurer ! Petit con. T'en as plus rien à foutre de ta mère depuis que tu fréquentes ces connards. Tu t'es acheté des conneries avec ton fric et à ta mère tu lui as acheté quoi ? Hein !? Que dalle ! Alors viens pas me faire chier. Ils t'ont retourné la tête ces fils de pute et toi t'es rentré dans leur jeu.

Les yeux de Kévin s'embrumèrent et David comprit qu'il était allé trop loin, il s’était laissé emporté et Kévin ne restait qu’un gosse. Il tenta de se calmer. Il avait du mal à se contenir devant la bêtise de son petit protégé et la situation pourrie dans laquelle il s'était fourré.

- Ils vont me demander des comptes, pleurnicha Kévin.

- Ben, tu les enverras se faire foutre.

- Ils vont me tabasser et me prendre mon vélo, insista l’enfant.

- Ouais, c'est sûr ! C'est bien ce que je te disais, c'est pas tes potes, t'occupe pas d'eux. Reste chez toi, vas à l'école, fais tes devoirs et tout ira bien.

- Mais mon vélo ?

- Putain ! tu vas finir par comprendre ? S’agaça David. Il est pas à toi ! Il est même pas à eux ! Ils te le reprendront et je peux rien faire pour t'aider. Ils te foutront sur la gueule une bonne fois pour toutes et puis ils te laisseront tranquille. Ils trouveront bien d'autres gamins pour faire le sale boulot, c'est dommage mais c'est comme ça, j'y peux rien ! Je suis pas mère Teresa.

David ramena le gamin chez lui et lui fit un chocolat chaud. Il alluma la télé pour le distraire et se cala dans son fauteuil avec son PC sur les genoux pour faire ses comptes. Il était détective privé, mais personne dans la cité hormis sa voisine Élodie et son gamin Kévin ne le savait, sinon ses jours seraient comptés. Les trous du cul du voisinage l’auraient catalogué comme flic et l’aurait buté ou même pire.

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