5/8 — Brad

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Ce matin-là, pour la première fois depuis longtemps, je me souvins de mes rêves dès le réveil. Après le départ de Victor, j’avais bu le reste de la bière achetée le soir-même, ainsi que celles rangées dans le frigo. Puis celles que j'avais entreposées dans ma cave. D’ailleurs, tout ce que je possédais en alcool y était passé. Je trinquai seul pour fêter ma petite victoire — j’avais réussi à persuader Victor de proposer à sa sœur de me revoir, le temps d’un rendez-vous. Disons que le prétexte pour m’enivrer était bien choisi. Se donner une raison particulière pour boire m’importait énormément. Il faut de la fierté pour mériter son verre. Ça ajoute un petit plus ; et le goût est bien meilleur. Bien que cela pût paraître embarrassant, je m’en accommodais, car tout le monde a besoin d’une « carotte » pour avancer, selon moi.

Avancer, je n'y parvenais pas correctement ce jour-là. Dès que je me levai, ma tête vacilla dans tous les sens, lourde et légère à la fois. Je ne trouvai pas le bon équilibre. L’environnement tanguait tandis que les lumières scintillaient. Les murs se rapprochaient et le sol ondulait. Pour couronner le tout, un sifflement insupportable résonnait dans mon crâne. La gueule de bois carabinée du mercredi matin, en somme. Je vomis sur le mur du couloir avant d’atteindre les toilettes. Un début de journée presque comme les autres. Même si, habituellement, je trouvais le chemin de la cuvette plus facilement.

Impossible de travailler, donc. Après avoir averti mon employeur de mon incapacité à me rendre à mon poste de travail — ce qu’il avait dû comprendre dès mes premières paroles, tant j’avais eu du mal à les prononcer —, je sortis en direction de la pharmacie.

Il me fallait un cachet, quelque chose de suffisamment puissant pour ne pas sombrer. Pour essayer d’éviter l’explosion.

Je me souvenais que Jade me détestait quand elle me voyait dans cet état. Elle ne le cachait pas, d’ailleurs. Son insulte privilégiée, « alcoolique », fusait régulièrement chez nous. Les voisins s’étaient faits à cette idée après avoir écouté nos innombrables disputes ponctuées d'invectives en tout genre, en prenant ces dernières pour argent comptant. On peut dire que Jade m'avait construit une petite réputation ; la séparation qui s'ensuivit y était intimement liée. Tout ça pour un verre ou deux, par-ci, par-là ! Pas de quoi en faire des tonnes.

Et puis, elle me faisait des remontrances pour tout et n'importe quoi. Je m'y étais habitué.

Jusqu'à notre rupture, je n’avais jamais pris ces querelles au sérieux. J'en jouais même un peu. Jade est du genre « susceptible », limite « hystérique », mais j'appréciais cet aspect chez elle. Ça lui donnait un charme particulier.

Curieusement, je pensais souvent à elle, ces derniers temps. Même mon rêve, le seul qui me restait en mémoire ces jours-ci, la concernait. Un rêve si étrange. Si réaliste. Si violent. Lorsque j'y songeais, il défilait devant moi, distinctement.

Attachée contre un mur dans un lieu sombre et indescriptible, Jade implorait de l’aide. Nue. Elle gémissait, souffrait. Tout était silencieux. Sa voix ne portait pas. Je n’entendais rien. Mais je lisais ses paroles sur sur ses lèvres.

« Aide-moi ! »

Elle s’adressait à moi. Ses yeux brillaient, embués de larmes. Ils plongeaient vers les miens. Je voyais mon reflet à l’intérieur de ses prunelles. Lisais cette détresse. Comprenais sa douleur. Mais je ne bougeais pas. J’en étais incapable. Impuissant, je suffoquai. J’essayais d’avancer vers elle, sans y parvenir.

« Aide-moi ! »

Ses yeux brillaient, certes, mais ils ne renvoyaient aucune émotion. Elle sombrait dans un désespoir sans fin.

Son visage supplicié me déstabilisait. De multiples hématomes couvraient la peau de ses joues, ses côtes, ses jambes. Je perçus son appel à l’aide inaudible comme une volonté d’en finir. Un besoin de mourir. Elle me demandait de la tuer. Elle s'affaiblissait.

L’assassiner pour la sauver… voilà ce qu'elle voulait.

« Aide-moi ! »

Un fois réveillé, je voyais encore nettement son visage. Il flottait dans l’air, enfoui dans la pénombre de ma chambre. Il s’évanouissait doucement dans la réalité. J'allumai la lumière.

Clic.

Plus rien. À part une chaleur épouvantable. L'atmosphère pesait sur mes épaules et de la sueur perlait sur mon front, dégouttant abondamment sur le sol tel un robinet ouvert.

La réhabilitation à la réalité semblait délicate. Toutefois, ce rêve ne disparut pas de mes souvenirs… Ces images choquantes restèrent encrées en moi.

Après un temps de latence relativement long, je repris mes esprits. Je perdais la tête, et la quantité phénoménale d’alcool que j’avais ingurgitée y était sûrement pour quelque chose.

Arrivé devant la pharmacie, je vis Jade, au loin. J'essayai de me cacher et priai pour qu’elle ne me vît pas dans cet état.

Déboussolé, je fis demi-tour... tant pis pour les médocs.

Je repensais à elle. À mon rêve.

« Aide-moi ! »

Je devais me reposer.

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