4/8 — Jade

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D'accord, elle était belle à en pleurer, cette Claudia ! Et je ne supportais pas ce fait. Son sourire bien assis sur le coin de ses lèvres ne me plaisait pas. Cette impression de zénitude, qu’elle projetait à qui posait les yeux sur sa silhouette parfaite, m’exaspérait au plus haut point. L’apparence des autres nous renvoie souvent à nos imperfections, surtout quand la personne en question a déjà séduit votre ancien petit ami — et ex-futur mari, pour ainsi dire. Je la dévisageais, la détestais. Bien sûr que, d’une certaine manière, je l’enviais aussi. Mais je n'étais pas dupe. La grandeur d’âme qu’elle affichait n’était qu’une image aussi fausse que sa beauté. Debout sur ses fines et longues jambes, elle n’hésitait pas à se rajouter de la hauteur avec des escarpins brillants et « chics ». Elle respirait l’élégance, la suffisance. Une joie de vivre épouvantable l’illuminait.

Cette lumière… je ne l'ai plus, pensai-je. Je l'avais, auparavant, j'en suis sûre, mais, désormais, elle a disparu. Le rêveur me l'a reprise. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même.

Avec son maquillage étincelant, Claudia, elle, resplendissait. L’orgueil semblait dessiné sur son visage à l’encre de Chine, admirable et propret. Une traînée larmoyante d’eyeliner aurait suffi à mon bonheur.

« Ah, salut Jade, marmonna-t-elle avec un air ahuri, remarquant enfin ma présence. Tu m’as parlée ? Je n’ai pas entendu. J’étais plongée dans ma lecture.

— Je vois, répondis-je. Tu étais trop occupée à faire semblant de m'ignorer, n’est-ce pas ?

— Pardon ? »

Elle ne pleurait pas encore, certes, mais ce mouvement d’étonnement repoussant s’esquissant sur son visage — une sorte de tressaillement abrupt et incontrôlable des lèvres, accompagné d’un haussement de sourcils inopiné — était si beau à voir. Si j’en avais eu la capacité, si j'avais encore possédé toute ma lumière, j’aurais pouffé un petit rire moqueur. Je me serais extasiée de cette petite victoire personnelle.

Je me contentai d’insister lourdement :

« Parle-t-on d’adultère, ou de fausse amitié, dans ce livre, pour que cela t’intéresse tant ? »

En réponse à chacune de mes paroles, Claudia me lançait un regard incrédule, les yeux vidés de la moindre étincelle vivante. Pour la première fois en deux jours, je ressentis un instant une certaine satisfaction. 

« Que se passe-t-il ? rumina-t-elle. On ne s’est plus vues depuis si longtemps… et j’ai l’impression que tu m’en veux pour quelque chose…

— T’es perspicace, ma grande, répliquai-je. Mais, après tout, c’est sûrement moi qui en fais des tonnes. Tu ne m’as rien fait de spécial, à part coucher avec mon petit-ami. Tu sais, celui avec qui je devais me marier ? À part ça, tout va bien !

— Tu parles de Brad ? »

Elle feignit l’étonnement. Comme si elle ne savait pas où je voulais en venir. Plus je la voyais, plus je me disais que tout ce qui émanait d’elle sonnait faux. Sa beauté. Sa grandeur. Son sourire. Sa faculté de lire. Son amitié d'autrefois. Sa superficialité sautait aux yeux, mais j’avais mis du temps avant de m’en rendre compte. Maintenant, je ne voyais que ça.

« Qui t’as raconté ça ? lança-t-elle d’une voix enrouée (les larmes approchaient enfin).

— Quelle importance, Claudia, puisque nous savons toutes les deux que c’est vrai ? Faut-il continuer à faire semblant ? À faire comme si nous n’étions au courant de rien ? »

Je me rappelai de mes rêves. Le sang s’écoulant abondamment. L’atmosphère oppressante. La peur. Le sourire du Rêveur. Mes membres arrachés, éparpillés. Mes organes se compressant à l’intérieur de moi. Je pensai : si seulement c’était elle.

Le visage décomposé de Claudia fut un encas délectable, mais il m’en fallait plus. J’avais envie de la détruire, la salir. Je voulais effacer toute trace de joie en elle. 

« J’ai perdu ma lumière, Claudia…, avouai-je. Alors tu ferais mieux de ne plus croiser mon chemin, si tu tiens à la tienne. Te réduire en morceaux me ferait le plus grand bien !

— Est-ce… une menace… ? bégaya-t-elle.

— Une menace ne vaut rien tant qu'elle n'est pas mise à exécution. Ne me tente pas trop ! »

Je la fixai le plus intensément possible, à la recherche d’une larme salvatrice. Je ne perçus que de la peur ; un moindre mal.

« Tu as perdu la tête ? commenta-t-elle, la voix tremblante.

— Au contraire, Claudia. Je viens de la retrouver. Je te remercie pour ça. »

Je la quittai sur ces mots, heureuse d’avoir semé la confusion dans son esprit. Mes nerfs se contractèrent impulsivement. Je me nourrissais de sa lumière, retrouvant peu à peu des sensations perdues. 

Si je tue Brad et Claudia, je redeviendrais moi-même, dis-je à voix haute. Cette éventualité me plaisait. Je pouffai un rire, soulagée.

J'avais l'impression d'être devenue le centre d'attention, dans cette superette. Comme si le monde entier tournait son regard vers moi, à l'affut, attendant que je faiblisse un instant. Ma colère grandissait encore. Plus présente que jamais.

Mon âme avait perdu tout éclat, certes, mais quelque chose de plus sombre s’écoulait en elle.

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