Mon mal de tête avait diminué grâce au traitement de cheval que j’avais obtenu en pharmacie. Je l'avais avalé sur place. Une bonne chose, certes, mais les rires incessants du Rêveur persistaient. S’y mêlait de temps à autres sa voix abominable ; douloureux souvenirs des rêves de ces derniers jours.

Avant de rentrer chez moi, j’avais décidé de m’arrêter dans une supérette de la ville. Je voulais flâner un peu. Et puis, j’avais l’intention d’acheter un petit carnet pour y noter ces rêves bizarres que j’avais faits ces derniers jours. Depuis le dernier en date, dans lequel j’implosais, j’avais l’impression que des milliers de lames déchiquetaient ma trachée à chaque fois que je mangeais quelque chose. J’avais aussi trouvé des résidus de sang dans mon café, mais je ne m’étais pas affolée pour autant. Peut-être un problème de gencives ? Toujours était-il que, comme j’avais déjà peu d'appétit avant cela, là, je n’envisageais plus d’avaler quoi que ce soit tant que ma gorge continuerait de me faire souffrir.

Dans le rayon papeterie du supermarché, je rencontrai Claudia en train de feuilleter un roman. J’aurais préféré l’ignorer, ou l’envoyer sur les roses sans me soucier de sa réaction. Après tout, nous n’avions pas élevé les cochons ensemble et je ne lui devais rien. Mais je n’y parvenais pas. Impossible ! Elle attirait mon regard. En l'épiant, une sensation étrange me parcourait. Comme si une émotion particulière s'installait enfin en moi. Elle m'obnubilait, ranimant en moi des sensations oubliées.

Lorsque Brad et moi étions en couple, je soupçonnais fortement ces deux-là d'avoir eu une relation ensemble. Je n'avais aucune preuve concrète, mais une femme sent ce genre de choses. Et j’aurais parié qu’ils avaient couché ensemble une multitude de fois. Au moins une dizaine. J'en étais convaincue à quatre-vingt-dix pourcents, dirais-je.

Claudia est une grande pimbêche d’un mètre soixante-quinze, au minimum, ce qui est immense en comparaison de mon « faible » mètre soixante. Quelle que soit la situation dans laquelle elle se trouve, elle est toujours parfaitement habillée, avec des vêtements tendances qu’on aurait pu voir dans des magazines de mode ou dans des défilés de couturiers. Sans rire ! Elle doit avoir une garde-robe à faire pâlir Kate Moss ! Même avec l'un de ses pyjamas, elle aurait plus fière allure que moi. Certes, à cette époque, je me péoccupais rarement de mon apparence, mais ce constat restait affligeant. En outre, ses cheveux blonds éblouissants, coupés courts, avec des mèches châtain joliment dessinées, tranchaient complètement avec les miens, noirs, longs, unicolores et mal coiffés. Sa silhouette était si fine, notamment au niveau de la poitrine ; ses seins étaient à peine dessinés, vus de l’extérieur. Encore une fois, à l’inverse, ma poitrine est plutôt bien développée. Ses yeux bleu clair sont magnifiques ; mes yeux vert foncé : juste passables. Je ne connaissais aucun point commun entre nous, et je préfèrais cela, même si toutes mes comparaisons étaient en sa faveur. Je dois tout de même avouer que j'enviais sa beauté.

Disons que je ne la portais pas dans mon cœur, et ce, depuis la première fois où j'avais posé mon regard sur elle.

Elle travaillait en tant qu’esthéticienne, à cette époque. À son compte. Autrefois amie de la sœur de Brad, elle tournait constamment autour de lui, dès lors qu'elle l'avait rencontré. Je laissais faire et laissais dire autour de nous, mais j’aurais eu envie d’en apprendre plus, bien que je n’eusse jamais trouvé le moyen d’aborder le sujet.

C'était donc le moment ou jamais.

Je m'approchai de la pimbèche, pressée d'en découdre.

« J'ignorais que tu savais lire. M'aurais-tu caché cette qualité ? » lançai-je.

Le décor était planté.