2/8 — Jade

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Les rires sardoniques du Rêveur avaient résonné dans la pièce toute la matinée, tels les éclats machiavéliques, surjoués et incessants d’un antagoniste dans un film d'horreur bas de gamme. Ils tambourinaient l’intérieur de mon crâne avec véhémence. Je devenais folle, hystérique. Quelque chose en moi ne tournait plus rond depuis cette fameuse nuit et ce fameux rêve.

J’oubliai très vite l’idée de travailler. Comme la veille… Dans tous les cas, sans venir à bout de ma migraine, je n’aurais jamais pu m’y remettre. Le paracétamol ne faisait pas effet. Il me fallait quelque chose de plus fort. De la codéine pouvait faire l’affaire.

Pourtant, je ne suis pas le genre de femme s'abonnant à une pharmacie. La simple vue d’un médicament me rebute. Parfois, la simple idée de devoir en avaler me soigne — preuve de mon allergie à ces choses. Mais quand dans votre crâne se joue un opéra cacophonique à longueur de journée, avec tambours et cymbales en veux-tu en voilà, vous finissez par abdiquer.

Dans le salon, le post-it que j’avais déposé pour Victor à propos de son chat mort avait disparu. Il l’avait probablement découvert et il ne lui était plus utile. Une fois encore, après un passage en coup de vent, je ne l’avais pas entendu rentrer. Ni repartir.

Je me préparai un petit-déjeuner, même si je n’avais pas faim. Il fallait que j’avale quelque chose, puisque j’avais jeûné la veille. Biscottes à la confiture et café ont toujours été mes compagnons préférés, dès le réveil. Des amies éphémères et sans histoires.

En tartinant mes copines, je pensai à Brad et à ce message téléphonique que je n’avais pas écouté. Il avait essayé de m’appeler plusieurs fois.

Et si c’était important ? me questionnai-je.

J’évacuai cette pensée immédiatement en servant mon café. En cas d’urgence, il aurait facilement pu trouver un moyen de me rencontrer. Même s'il s'agissait avant tout d'un homme lourd, amoral, égoïste, insupportable, désordonné, hypocrite, malveillant, prétentieux, irresponsable, limite alcoolique, je savais toutefois qu'il n'était pas bête ! Je lui trouvais au moins cette qualité.

En buvant le café, je continuai à penser à lui. Encore. Pourquoi envahissait-il ainsi mon esprit ces derniers temps ? Je me rappelai justement qu'il vénèrait le café plus que de raison. Toujours à s’acheter des machines plus sophistiquées les unes que les autres. Et que dire du coût du café lui-même. Il avait beau être radin — du genre à laisser tomber un mariage sous prétexte qu'il coûte trop cher —, il n’hésite pas à dépenser un bras pour des grains rares provenant des endroits les plus reculés du monde. Il se donnait toujours de grands airs en dégustant ses tasses, comme s'il concourait au titre de meilleur barista à chaque service. Il avait ses propres standards, qui se concentraient uniquement sur ses choix à lui, sans aucune considération envers ce qui se déroulait autour de lui. Ces standards formant son mode de vie ne comprenaient malheureusement ni l’honnêteté, ni la franchise, et encore moins l'altruisme.

Penser à lui accroissait mon mal de crâne. J’aurais mieux fait de l’étouffer, celui-là ! Dans un sac en toile de jute, de préférence ; mon esprit serait peut-être plus tranquille et j’aurais fait honneur à sa personne — encore aurait-il fallu que cette toile fut suffisamment rare et onéreuse pour Monsieur.

Sur le frigo avait été accrochée, avec un magnet, une photo arrachée. Celle de Brad. Je l'avais pourtant jetée à la poubelle.

À côté de ce buveur de café invétéré se trouvait un post-it en forme de phylactère où était écrit : « Il aimerait te voir. Il a l’air de s’inquiéter pour toi. »

Avec l’aide de Victor, j’obtenais une nouvelle chance de mener à terme ma réelle envie de l’étouffer.

Une pensée étrange me parcourut.

Si je tue Brad, je n’aurai plus mal à la tête.

Les rires du Rêveur cessèrent à cette évocation ; ils reprirent un peu après.

Mon petit-déjeuner n’avait aucun goût. C’en était presque déprimant de ne rien percevoir à ce point. Mais il fallait faire avec.

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