1/10 — Jade

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« Où suis-je ? Que se passe-t-il ? Il y a quelqu’un ? J’entends du bruit, par là. Pourquoi fait-il si sombre ? Et ce sifflement… Vous allez me répondre, oui ou non ? Pourquoi je n’arrive pas à bouger ? Qu'est-ce que vous m'avez fait ? Je ne ressens plus rien. Mon corps, pourquoi… qu’as-tu fait sale enflure ? Hey, je te parle, ok ! Tu pourrais au moins dire quelque chose ! Tu m’entends ? Sors-moi de là ! Sors-moi de là, s'il te plaît ! »

Le froid gagnait mes membres, lentement. Pourtant, la temérature extérieure ne semblait pas chuter. Non, je pense que ça venait de l'intérieur. Comme si tout en moi était gelé, fragile, prêt à casser…

Adossée à un mur, dans le noir total, où pouvais-je être ? Avec qui ?

Mon cœur résonnait dans mes tempes, frappant les parois de mon crâne à intervalles réguliers. J’allais exploser. Me briser tels des morceaux de verre éclatant sur le sol, l’effusion de sang en plus.

Et ces sons… le bruit d’une scie coupant du bois. Je devenais folle. Je me souvenais m’être endormie, chez moi, un soir comme les autres après une journée somme toute... classique. Accueillie dans les bras de Morphée, je m'y étais lovée sans demander mon reste, appréciant son étreinte.

Pourquoi étais-je si fatiguée, déjà ?

Le bruit d’une planche s’effondrant sur le sol me fit sursauter. J’entendis un homme la ramasser. Sans aucun doute, il me séquestrait. Bien que je ne visse rien, j’imaginais parfaitement sa silhouette près de moi. Par moments, je sentais son haleine chaude sur mon visage. Je tremblais. Ma mâchoire contractée se bloquait. J'éprouvais les pires difficultés pour l'ouvrir.

L'air s'amoindrissait au fil des heures. Je respirais difficilement, m'évanouissait de temps à autre. Étourdie par cette atmosphère pesante qui m'empêchait de réfléchir correctement, je n'avais qu'une idée en tête. En finir ! Cette situation avait assez duré, et je n'imaginais pas beaucoup d'alternative quant au sort que l'on allait me réserver.

« Tu vas me parler, bon sang ! hurlai-je en souffrant. J’ai l’impression que ça fait des années que je suis ici, et toi, tu ne dis rien. Tu coupes ton bois à longueur de temps. Tu n’as rien d’autre à faire ? Si tu veux me tuer, alors, vas-y. Qu’est-ce que tu attends ? Je suis piégée. Immobile. Je n’ai que des mots à te balancer. Tu n’as qu’un geste à faire et on en aura enfin terminé. »

Une nouvelle planche tomba, faisant vibrer le sol. Je sentis un léger picotement sur mes pieds. Était-elle tombée sur moi sans que je ne m’en rende compte ? Étais-je désensibilisée à ce point ? Un poids mort s’accrochait bel et bien à ma jambe. Pas de doute possible.

Pourtant, je ne faisais que douter.

L’homme enleva la planche d’un geste, toujours sans aucun bruit. Il reprit sa tâche, sciant une énième planche à côté de moi. À l'aise, il donnait l’impression de voir dans le noir. J'écoutais ses gestes réguliers, les mouvements de cette foutue scie qui s'enfonçait dans ce foutu bois : ils étaient fluides, précis.

— Te rappelles-tu souvent de tes rêves ? m'interrogea-t-il.

Des rêves… J’étais bloquée dans le noir avec un inconnu sciant du bois. Incapable de me mouvoir. Gelant de l’intérieur. Et lui, il me parlait de rêves. Qu’avait-il en tête ?

— Il paraît qu'en les notant régulièrement à chaque réveil, on se souvient plus facilement de chacun de nos rêves, enchérit-il. Pas seulement de ce qu’on en lit, mais du véritable souvenir qu’il nous procure. Et du souvenir de nos prochains songes, à mesure qu’on les note. C’est véridique… véridique...

— De quoi tu parles, là ? criai-je en tremblant comme une feuille. Je m’en fous, moi, de tes rêves ! Tu vois quoi dans tes rêves, toi ? Des planches en bois ?

Il étouffa un rire, bien qu’il résonnât quelques minutes, tournoyant autour de moi si longtemps que je doutai de sa réalité. Après une longue attente, il reprit :

— Je ne rêve jamais vraiment. Et ça me fait beaucoup de peine. Tu ne trouverais pas ça triste, toi, de ne pas pouvoir rêver pour toi-même ?

— Rêver pour soi-même…?

— Oui, comme en ce moment, par exemple.

— En ce moment ? Tu veux dire quoi par-là ?

Un hurlement sourd retentit soudainement. Des cris de terreurs s’immiscèrent en moi. Je ne comprenais pas où il voulait en venir.

— Si tu veux bouger, si tu veux crier ou allumer la lumière, alors fais-le ! commenta-t-il. Après tout, on est dans ton rêve, non ?

À cet instant, une lueur subite m’éblouit. Je dus fermer les yeux, plissant fermement mes paupières. L'image rémanente de cet éclat restait encrée dans mes pensées, perçant le chaos à l'intérieur de moi.

Lorsque j'ouvris les yeux à nouveau, je le vis, là, devant moi. Debout.

Nu.

Je ne parvenais pas à définir les traits de son visage. J’avais beau le regarder. Dès que je le voyais, je l'oubliais aussitôt.

— Bienvenue dans ton rêve, annonça-t-il, arborant un sourire flou. Malheureusement, et je suis désolé de te l’apprendre... tu ne te réveilleras plus. Plus comme avant, en tout cas.

La scie qu’il tenait était couverte de sang. Il l'empoignait fermement. En tournant son regard sur le côté, il m'invita à en faire de même.

Tous ces morceaux de bois que j’avais imaginés dans le noir n’étaient rien d’autre que les morceaux de mon corps. Il les avait soigneusement découpés, puis les amassait sur une longue table, semblable à un établi. Mes membres trempaient dans une mare de sang séché. Chaque orteil avait été découpé. La peau de mes jambes, poncée. Mes mains empalées sur des piquets en bois, taillés en pointe, se joignaient dans une prière macabre.

Quant à moi, adossée au mur, il ne restait que mon tronc, sur lequel ma tête ne semblait que posée. Je vis un bout de chair sanguinolent au loin qui ressemblait à mon cou.

— Avant de terminer mon œuvre, laisse-moi me présenter, s’enquit-il. On m’appelle communément Le Rêveur. C’est pourtant contradictoire puisque, comme je viens de te le dire, je suis incapable de rêver pour mon compte. Tout ce que je suis capable de faire, c’est de traverser les rêves. Par-ci, par-là, parfois au hasard, parfois à dessein. Et il se trouve que cette nuit, je me suis introduit dans tes rêves de façon volontaire. Sur demande. Je suis un peu une sorte de rêveur à gages, tu comprends ?

Mes larmes gelaient sur mes joues. Elles arrachaient ma peau. Des geysers de sang en jaillirent soudainement.

— Qui ? sanglotai-je. Qui t'a demandé de faire ça ?

— Désolé, je n’ai pas le droit d’en dire plus. Je suis soumis au secret professionnel, comme tout tueur à gage qui se respecte. Maintenant, il est temps de mourir, tu comprends ?

Il brandit une hache, apparue dans ses mains sans que je m’en rende compte.

Il frappa. Avec acharnement.

Encore et encore.

Je ne sentais rien.

Tout était rouge. Flou.

Mon cœur battait encore dans mes tempes.

Pourtant, il l’avait pulvérisé.

Il me sussura lentement à l'oreille :

— À ton réveil, tu auras changé. Tu ne redeviendras jamais celle que tu as été.

Ces paroles résonnèrent en moi pendant des heures.

De mon corps, il ne resta que des miettes.

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