Chapitre 4 : Déconvenues croisées

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C'était tout bonnement insupportable. Le rito espérait un travail de guerrier mais chaque jour il combattait l'ennui et les idées farfelues de l'ermite. Quand il n'avait pas droit à une leçon inopinée sur le sens de la vie, c'était une incantation cabalistique qui préludait à un galimatias encore plus sibyllin. Via ce maelstrom de formules, le rito sombrait dans une érudition incoercible tandis que l'ermite fomentait son intelligence. À l'insu d'Ardolon, ses palabres encraient un sens profond que sa conscience n'était pas à même de comprendre. Mais lorsqu'il aurait compris la philosophie de l'ermite, toutes ses citations remonteraient peu à peu à son esprit. Si le vieil homme ne s'était pas mépris sur son adjuvant.

« Lâchez l'affaire, je n'ai que faire de votre rhétorique compendieuse.

- Tu vois, tu vois, répéta le vieillard en toussant, j'ai réussi à étendre ton lexique ! Ne t'avais-je pas dit que notre aptitude au mimétisme touchait au prodige ? D'ailleurs, comme disait... »

Un bruit sourd attira l'attention d'Ardolon, qui fut bien content de n'avoir pas à écouter l'amphigouri de l'ermite une minute de plus. Bien sûr, ça ne l'avait jamais empêché de palabrer tout seul, mais le danger était plus urgent qu'un quelconque sermon.

La porte céda mais l'inconnu fut immédiatement accueilli par une petite flèche. Celle-ci le priva de ses forces, et comme s'il s'était endormi, le forban tomba en pâmoison. Car le vieil homme refusait catégoriquement de tuer ses assassins et c'était le moyen le plus rapide de les mettre hors d'état de nuire. Il bloqua ensuite la porte en poussant l'étagère la plus proche, condamnant l'accès.

Bien sûr, ils avaient opté pour une autre stratégie. Quelques ouvertures permettaient au vieil homme de scruter les étoiles et elles étaient suffisamment larges pour que l'on puisse s'y introduire. Enfin, si Ardolon ne les avait pas piégées ! En fracassant le volet intérieur, l'un des assassins activa un dispositif qui propulsa une poutre à travers la fenêtre. Dire qu'il avait mis plus d'une journée entière à construire ce mécanisme...

« Ne sois pas trop dur ! Ils reviennent toujours pour que je les soigne... »

Face à deux guerriers peu expérimentés, Ardolon était confiant. Il se douttait que d'autres arriveraient pour toucher leur récompense. Toutefois s'ils étaient tous repoussés, les prochains assaillants y réfléchiraient à deux fois. Cette pensée excita le rito qui était prêt à exploser de toute son énergie.

Oui, ils y réfléchiraient à deux fois avant de défier l'impétueux aquilin.

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« Quelle boucher ! Y a-t-il seulement une vilenie dont la nature ne t'ait pas empli ? »

L'objurgation de l'ermite siffla comme une injure. Face à un visage de marbre, le vieillard n'en démordait pas : à l'entendre, son garde du corps n'avait fait qu'agiter ses ailes. La météo aurait presque été plus efficace à les faire fuir... Son vocabulaire était, au demeurant, plus que pénible.

« Ton élan t'alanguit, ton estoc manque à chaque fois le kairos et tu n'as pas un semblant d'eurythmie.

- Cessez votre antienne, je ne comprends pas un traître mot de vos diatribes ! Avez-vous ne serait-ce que porté les armes dans toute votre vie ? »

À peine eut-il terminé sa phrase qu'une douleur percuta son abdomen, lui coupant le souffle. Comment un être si malingre avait-il pu se montrer si véloce ?

« Qui... Êtes-vous... À la fin ? ! »

Dans une douloureuse mais profonde inspiration, Ardolon parvint enfin à retrouver son souffle. L'ermite devant lui glissa d'une posture de combattant à celle d'un simple vieillard... Une posture factice, aucun doute possible.

« Je ne suis qu'un vieil ermite.

- Vous êtes un Sheikah.

- Pardon, toussa le vieillard avec indignation.

- Votre philosophie, vos termes antédiluviens, vos aptitudes martiales...

- Oh oh oh, ce sont autant de mots que tu ignorais avant ! »

Le rito considéra un instant la réflexion... Certes, il détestait tous les termes prétentieux dont l'anachorète le gavait mais cette violence linguistique l'avait aussi fait mûrir. Peut-être n'avait-il été employé que pour être éduqué aux lumières de ses étranges conceptions du monde ?

« Vous êtes un Sheikah, affirma Ardolon plein d'assurance, et vous cherchez un héritier.

- Un Sehikah, peut-être pas... Quoique tu as raison.

- Qu'est-ce qui vous fait croire que ça m'intéresse ?

- Qui t'a dit que tu en étais digne, rétorqua Faustinoos. Celui qui croit savoir n'apprend plus. »

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Ils tenaient leur sixième courrier codé. Leur dévotion avait ses limites et arrivé au vingtième jour sans avoir pu rencontrer leur employeur, qui avait pris des airs de marionettiste, les deux ritos n'étaient pas seulement découragés et frustrés. Ils avaient acquis la certitude que toute cette mascarade n'était que moquerie. Si jamais ils retrouvaient effectivement l'auteur de ce contrat, qui sait ce qu'ils lui feraient !

Néanmoins, force était de constater qu'ils n'étaient pas contraint à retrouver le mandant. Il est vrai qu'ils avaient forcé un destin qui ne pouvait rien leur apporter, sinon l'assurance de sa diligence. N'était-il pas normal, s'il pouvait exaucer n'importe quel souhait, de protéger son identité ?

« Valgor, la lettre semble différente... Laisse-moi te la lire :

À vous qui lisez ces lignes, sachez qu'elles signent mon testament.

Vous entendiez me duper avec votre ami, malheureusement

il n'a plus son libre arbitre et votre collusion est déshonorée.

Le danger que représente la cible ne peut plus être ignoré.

Il me faut sa tête, à la Halte, lors de la nuit la plus illunée. »

Les ritos échangèrent un regard et, presque nonchalamment, approuvèrent le sens de celui-ci. Leur habitude avait forgé, comme un enfant qui apprend une langue, une sorte d'aisance à déchiffre l'incompréhensible. Le refus d'honorer leur ami signifiait qu'il ne lui consentirait aucune récompense même s'il était sauvé ; la nuit la plus illunée correspondait sûrement à la pleine lune. Le reste tombait sous le sens.

D'ailleurs l'accusation était grave mais, par les précédentes correspondances, l'employeur avait été plus bavard. À la réflexion, l'unanime altruisme que suscitait sa cible ne pouvait pas être si naturelle. Même s'il était si bienveillant, sa mansuétude cachait quelque chose de mystique. Quelqu'un qui guérit comme par magie quiconque réclame son aide ne pourrait-il pas aussi charmer les quidams ? Peut-être même provoquait-il quelques accidents pour alimenter leur reconnaissance envers ses talents.

Les insinuations de ces lettres étaient graves mais les questions des ritos trouvèrent un écho favorable à leurs allégations. Ce qui les avait tout particulièrement marqué était le récit de cet assaut, un peu désordonné, des voyageurs qui avaient entendu parler du contrat. D'abord rivaux, ils avaient vite compris qu'ils augmentaient tous leurs forces en mutualisant l'effort.

Mais en vain, car le brave Ardolon, bien digne des souvenirs de ses amis, surmonta l'incursion. Mais les malheureux anonymes ne souffraient que de petites cicatrices... Que l'ermite parvint à soigner comme s'il les attendait de pied ferme. Plusieurs criminels de fortune eurent même des remords !

Tous ces témoignages et l'apparente retenue de leur ami rito étaient plus d'indices qu'ils n'en auraient craint. Fort heureusement, leur employeur avait complété la lettre d'un plan sommaire qui indiquait un passage ancien. Un vieil observatoire était dissimulé par un toit plus fragile et il était possible de pénétrer chez l'ermite en toute discrétion si l'on en connaissait la position.

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