Chapitre V. À Bout de souffle

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Depuis deux heures, Marcia tournait sur le matelas qui se trouvait au sol dans la chambre de Wesley. Combien de fois, elle était venue trouver refuge dans cette chambre loin de l'appartement de son père. Dans l’obscurité de la chambre, elle entendait la respiration calme de son ami. Il avait réussi à trouver le sommeil là où elle s’enlisait dans son insomnie. Elle essayait de fermer ses paupières, les mêmes cauchemars éveillés la ramenaient à une terrible réalité. Ses yeux scrutaient le plafond espérant trouver un peu de réconfort dans le vide absolu qui le tapissait. Elle avait chaud, elle tremblait. Elle poussait le drap, elle le remontait. Elle se mettait sur le dos, s’allongeait en chien de fusil. Elle n’en pouvait plus, l’oppression était trop forte, envahissante. Elle scruta le réveil, encore une heure avant que le soleil éclaire un peu son désespoir. Il lui fallait penser à autre chose, mais à quoi ? Les seuls souvenirs qui se bousculaient dans sa tête étaient des images de cadavres gisant sur le sol. Ses êtres si chers et que des monstres avaient arraché la vie sans aucun scrupule. La jeune femme avait besoin d’un grand bol d’air et de déverser sa colère.

Wesley de son côté venait de se réveiller, il sentait que quelque chose n’allait pas. Comment pourrait-il en être autrement ? Il venait de perdre un ami, un de ceux pour qui on était prêt à sacrifier sa vie. Paolo venait de fêter ses vingt ans, il y a un peine un mois. C’était un jeune homme avec ce charme italien qui ne laissait pas les filles indifférentes. Il avait dans sa voix ses douces notes latines qui faisaient fondre les cœurs quand il chantait en italien. Ses parents étaient fiers de ce qu’il accomplissait et sa volonté de rester toujours droit dans ses souliers. Isabella, sa mère en bonne mama italienne savait recevoir et n’hésiter pas à accueillir leur bande en son foyer pour partager un plat de lasagnes. Son père Julio, petit bonhomme rondouillard tenait l’épicerie du coin, toujours un sourire et un mot gentil. Il l’était surement trop pour refuser de donner une part de son pécule à des soi-disant protecteurs. Cela rendait fou, Paolo qui à plusieurs reprises avait essayé de convaincre son père d’aller porter plainte à la police. Celui-ci avait refusé, lui affirmant que cela ne changerait rien, voir aggraverait les choses. Un soir, Wesley et Marcia avaient été témoin de ce chantage odieux, avait essayé d’intervenir, jusqu’à ce qu’un des raquetteurs ne sortent une arme la dirigeant vers leur ami Paolo. Ils avaient dû se contenter de regarder, impuissants.

– Marcia, je sais que tu ne dors pas.

– Toi, non plus.

– Pas possible de fermer l’œil. Je n’arrive toujours pas à réaliser.

– Tu penses qu’il avait découvert quelque chose et qu’on a voulu le faire taire.

– Je n’en ai aucune idée. Je sais qu’il cherchait des preuves mais pourtant il se montrait discret avec nous.

– Oui c’était étrange, pourquoi n’est-il pas venu nous voir.

– Aucune idée et dire qu’hier encore il me parlait de sa rentrée. Il était tellement content d’avoir obtenu un poste de commis dans un deux étoiles.

– Comment ses parents vont-t-ils pouvoir encaisser ça ? Et ses frères et sœurs, ça me crève le cœur.

– Elle prendra sur elle.

– On ne peut pas laisser les rumeurs courir, hors de questions qu’on pense qu’il était un caïd.

– Qu’est-ce que tu vas faire encore ?

– Je ne sais pas encore. Mais pour l’instant, je vais aller courir au parc. Mes tests d’aptitudes physiques approchent. J’ai besoin de m’aérer, de gonfler mes poumons et de respirer.

– Je t’accompagne, ça ne me fera pas de mal.

– Non, il faut que je le fasse seul. Ne m’en veut pas Wesley.

– Je sais, ne t’en fais pas.

– Laisse moi une heure et tu me rejoins dans le parc.

– Ok ça me va.

– Tu peux me prêter un T-shirt ?

– Dans la commode.

Marcia se leva, enfila son short et attrapa un polo dans le tiroir avant de disparaitre sans un mot. Elle se faufila entre les poubelles qu’elle aurait bien eu envie de faire valser mais elle se contenta de saluer les éboueurs qui commençaient leur labeur. C’était le moment de la journée qu’elle préférait, les rues étaient désertes, les gangs épuisaient de leur nuit de débauche dormaient à cette heure. La vie reprenait comme si de rien n’était, les enfants pouvaient retrouver leur terrain de jeu. Avec Paolo et la bande, hier encore, ils passaient avant leurs frères et sœurs enlever les traces des trafiquants qui polluait le parc. Le jeune italien avait été horrifié le jour où son plus petit frère avait ramené une seringue qui trainait à l’abord du bac à sable. Par chance, il ne s’était pas blessé avec. Depuis le groupe munit d’un sac poubelle, chaque matin avant de se rendre en cours faisait le ménage. Il était à peine six heures, Marcia attrapa le sac qu’elle avait dans ses poches et commença à ramasser les ordures que la racaille semait. Elle les détestait tous ces petites frappes et encore plus s’en voulait de ne pouvoir pas faire ce qu’elle désirait, les faire dégager.

Le sac remplit, elle le jeta dans les grands conteneurs et fila en direction des allées verdoyantes. Un poumon au cœur des buildings, un petit ilot de verdure où elle aimait plonger se sentant libre comme l’air. Les baskets au pied, elle se sentait à son tour revivre, l’air venait s’engouffrer dans ses narines, elle avalait de grande bouffée d’oxygène avant de se lancer dans une course effrénée qu’elle se devait de remporter. Mais contre qui, si ce n’est contre elle-même. Ses premières foulées étaient désordonnées, elle semblait chercher les appuis qui lui manquait. Elle déroulait ses appuis, talon pointe, talon pointe se répétait-elle en boucle. Elle se revoyait sur la piste avec Mo, leur entraîneur d’athlétisme à leur côté. Cet homme d’une cinquantaine d’année donnait de son temps pour les jeunes gens qui voulaient pratiquer une activité sportive. Elle admirait cet homme que la vie n’avait pas épargné et qui pourtant c’était toujours montré souriant et bienveillant. Depuis qu’elle avait quitté la Guyane, elle n’avait plus eu de ses nouvelles, peut-être que si un jour elle rentrait, elle irait le remercier pour son enseignement.

Le top départ était lancé, elle se mit en sprinter, elle voulait avoir mal. Elle voulait que son corps souffre pour oublier, elle avait besoin de cette adrénaline pour avancer, ce dopant naturel pour dépasser ses limites. Ses battements de cœur s’accéléraient, elle le sentait taper fort contre sa poitrine, ses enjambées se faisaient de plus en plus précises. Ses bras l’accompagnaient tel un métronome, elle sentait l’air froid lui claquer les joues qui rougissaient malgré sa peau mat. Puis elle ajouta des mouvements, mimant des coups de poings, elle luttait contre des fantômes. Elle accélérait à en perdre haleine, les yeux remplis de larmes. Rien ne pourrait arrêter cette course folle qu’elle venait d’entamer. Marcia avait ce sentiment que si elle s’arrêtait, elle ne pourrait se relever, ce serait trop douloureux de découvrir qu’elle ne courrait plus contre avec Mo pour savoir qui serait la première. Où qu’elle ne pourrait plus attraper Paolo dans ses bras comme elle aimait le faire quand elle jouait au foot et qu’elle marquait un but. À bout de souffle, elle arriva au point de rendez-vous qu’avait fixé Wesley. Il n’était pas encore arrivé, un bruit l’interpella, des cris étouffés. Ils venaient de derrière les buissons, une moto déboula sous son nez. En passant le co-pilote l’éjecta en arrière et elle termina sa course dans l’herbe allant heurter le corps qui convulsait dans l’herbe. Elle essaya de voir une plaque, peine perdu, le deux roues avaient dû être volés. Elle serait incapable de les identifier, ils avaient leur casque. Quand elle réalisa le sang qu’elle avait sur les mains, elle ne paniqua pas et essayait de se souvenir des gestes qui sauvent que lui avait appris Wesley. Elle appuya fort sur la cuisse pour faire un point de compression. Quand Wesley apparut.

– Marcia, qu’est-ce qui se passe.

– Il y a deux malades qui viennent de planter ce pauvre gars.

– Tu les as vu, ils t’ont vu ? dit-il paniqué.

– Surement. Prends ma relève, tu es plus à même de le faire.

– Je ne sais pas s’il tiendra aussi longtemps.

– Démerde fais tout ce que tu peux. Je vais aller appeler les pompiers.

La jeune femme partie en sprintant, l’énergie qui l’habitait décuplait ses qualités athlétiques. Elle ne réfléchissait pas, elle fonçait, il avait besoin de secours. Elle se devait de faire quelque chose. Quand elle se pointa devant la cabine téléphonique, elle fouilla dans ses poches pour trouver des sous. Son polo et ses mains étaient couvertes de sang. Les pièces glissaient de ses mains, elle se précipita au sol pour les rattraper. Elle s’en voulait d’être aussi maladroite, il faudrait qu’elle apprenne à se contrôler, de telle scène elle allait en revoir dans son futur boulot. Elle attrapa le combiné et essaya de retrouver un peu de souffle pour expulser les mots de sa bouche.

– Il faut que vous veniez au plus vite. Un homme a été poignardé dans le parc. Mon ami est à ses côtés mais j’ai peur que si personne ne vient à son secours, il soit trop tard.

– Calmez-vous, où vous trouvez-vous précisément.

– Mais putain, bougez-vous.

Marcia reprit ses esprits et donna une description détaillée du lieu. Puis elle raccrocha, attrapa un mouchoir et cracha dedans pour enlever le sang qu’elle avait laissé. Elle fit le chemin inverse en sprintant de plus belle. Sur place, elle découvrit Wesley qui secouait le corps sans vie, cette même scène qui l’obsédait encore et encore, elle manqua d’air et vomit sur les pieds du pompier qui venait d’arriver.

– Je leur avais dit que ce serait trop tard pourquoi ils ne m’ont pas écouté ?

– Même s’ils étaient arrivés plus vite, c’était déjà trop tard.

– Oui je sais.

Une brigade de police arriva à son tour et quadrilla le secteur sous le regard de Marcia et Wesley, leurs yeux voyageaient des gyrophares de pompiers à ceux de la police. Ça s’agitait autour d’eux et ils n’entendaient plus rien jusqu’à ce que le corps soit recouvert d’un drap, une nouvelle âme innocente venait de s’envoler et elle avait été impuissante.

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