Chapitre 20 : Alteanne

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Dix printemps auparavant.

« You will never be alone, I will always be near you, my heart.»

Au chaud, je sens qu’une main se fraie un chemin sous les couettes pour caresser ma nuque. Maman a une sacrée manie de venir dans ma chambre en touchant mon cou ou bien elle joue à entortiller son doigt dans mes cheveux blonds pour me lever, sauf que cette main est bien plus minuscule que celle de ma mère, un peu comme les miennes.

— Debout, Alteanne ! On va être à la bourre ! braille une voix masculine.

En retard de quoi ? On n’est que samedi !

— Laisse-moi dormir !

— Ah non alors ! Tu as dit que tu viendrais, toi aussi ! me réplique-t-il en secouant mon bras.

Je m’étire péniblement comme une étoile de mer sur le matelas, rabats la couverture jusqu’à mon torse et jette un petit coup d’œil vers mon réveil qui m’indique qu’il n’est que 6 h.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir prévu quelque chose. Du moins, aujourd’hui, c’est une journée, off. Repos. Toute la semaine, j’ai été à l’école et après les cours, je suis partie à mes entraînements de hockey, bien que j’aimerais dire à ma maman que le patinage artistique ou la danse m’attire, le plus. Je ne veux pas la décevoir, elle serait triste de savoir que sa fille n’a pas la même passion qu’elle. Mais cet engagement que j’ai fait à ce garçon qui a emménagé, il y a à peine quelques mois. J’ai promis de jouer avec lui par principe. Il est différent des autres et je ne veux pas le trahir, lui aussi.

C’est compliqué quand tu n’as qu’un ami dans ton entourage avec qui tu t’entends bien, parce que son frère, je ne le porte pas spécialement dans mon cœur. Il est beaucoup trop prétentieux alors que son jumeau est l’inverse de ce garçon.

Je me redresse du lit, frotte mon visage et remarque que ce n’est pas ma mère qui vient de me réveiller, mais Jagger est déjà vêtu de son équipement de hockey.

— Tu devrais enlever tes patins, tu vas abîmer les lames et le parquet, lui dis-je en bâillant.

— Non, ta mère m’a dit qu’il n’y avait aucun risque puisque j’ai mis les protections.

— Tu as pensé aux escaliers ?

— Tant pis, si je tombe ! Ma maman saura que j’existe comme ça !

Je sors en vitesse du lit et pousse Jagger contre mon pouf pour rejoindre le salon, car ma mère a préparé des pancakes, mais si Jagger met son nez dedans, il va tout dévorer comme tous les matins.

Lorsque je descends des marches, je découvre que ma maman et Andrew, son ami, sont en pleine discussion. Je ne fais pas de bruit et me cache contre la poutre en bois pour les écouter.

— Andrew, je n’ai pas besoin de ton argent. Je sais gérer la situation et financièrement, je ne suis pas mal.

— Je suis un père ou un putain de géniteur pour toi ? C’est quand même ma fille que tu le veuilles ou non !

Maman lui demande de baisser d’un ton, car il commence à hurler dans la maison.

Je ne comprends pas où ils souhaitent en venir.

— Bien sûr que tu es son papa, je n’ai pas dit le contraire ! Mais tu l’as pourrie gâte avec des tonnes de cadeaux alors que la plupart du temps, elle ne joue pas avec ces jouets. Achète des trucs nécessaires ! Je ne sais pas moi, un ballon de basket ou des vêtements.

— De toute façon, tu ne changeras jamais, tu désires toujours tout contrôler que tu n’as même pas remarqué qu’elle ne veut pas être comme toi.

— Ah, c’est le président-directeur général qui me dit ça ? Toi aussi, tu es pareil, je te signale !

— Tu es qu’une égoïste, tu ne penses qu’à toi, mais pas à elle !

— Dégage d’ici Andrew !

Maman est têtue qu’elle n’a pas laissé Andrew en placer une. Il soupire bruyamment avant de claquer violemment la porte d’entrée qui fait trembler les murs de notre maison.

Aussitôt, je sors de ma cachette et m’enfuis dehors pour retenir Andrew qui est déjà installé dans sa voiture. Il démarre le moteur et petit à petit, l’automobile s’en va. Je veux qu’il reste, c’est le seul qui sait à peu près tout sur ma vie, mes ambitions, mes choix, mes passions, mais il ne s’arrête pas, même en me voyant en train de courir après lui, il continue son chemin avant de disparaître à l’intersection de la ruelle.

Je tape du pied sur le goudron et maman décide de venir vers moi pour me ramener à la résidence.

— Pourquoi tonton Andrew est parti ? lui demandé-je en ayant les larmes aux yeux.

Elle écarquille les prunelles face à cette révélation.

— Laisse-le se calmer, il n’est pas content que je sois contre lui.

J’essuie les perles salées qui roulent sur mes joues et pose mes mains sur mes hanches.

— Il a dû aller chez Monica, répliqué-je sur le coup. Et tonton Andrew va revenir bientôt ? Il m’a dit qu’il allait m’inscrire à la danse.

— Hors de question ! Tu continues le hockey, Alteanne.

Déçue, j’acquiesce de la tête et nous rentrons à la maison. En regagnant la cuisine, je me rends compte qu’il ne reste plus beaucoup de pancakes ni de crêpes sur la table. La radio allumée, Jagger bouge au rythme de la musique, fredonne les paroles et croque à pleines dents dans une galette américaine au bacon.

Jagger est né en Angleterre et il a aussi des origines espagnoles du côté de son père, mais ses parents sont en plein divorce. Il veut être avec les deux. Normalement, les choix sont déjà faits, Jagger va vivre avec son papa et Adam avec sa mère.

— Maman, c’est qui la fille de tonton Andrew ? Je la connais ?

— Alteanne, cesse de me causer des problèmes et prends ton petit déjeuner avant d’aller à la patinoire.

Elle esquive toujours mes questions et elle refuse que je change d’activité, car elle requiert que je sois comme elle. Mais moi, je ne souhaite plus pratiquer ce sport.

Elle me sert un bol de lait au chocolat avec des céréales puis me juge en me comparant à Jagger. Jagger est un enfant qui honore le hockey, c’est pour ça qu’elle l’aime beaucoup, contrairement à moi qui n’adhère pas face à ses revendications.

De toute manière, je ne serai jamais assez bien pour elle.

Debout sur la glace, je me contente de passer le palet à Jagger alors que ma mère me crie dessus parce que je ne donne aucune énergie dans mon tir.

Je me dirige vers les tribunes, balance ma crosse sur le sol et m’assieds sur le banc, en prenant mon visage entre mes mains.

J’ai envie de danser ou de faire des salchows comme à mon habitude quand maman n’est pas présente.

La semaine, elle est avec son équipe professionnelle et le week-end, elle nous entraîne avec Gordon, son coach. Je ne suis pas à l’aise quand elle me met au poste d’attaquant, je préfère à la rigueur être dans les cages pour protéger les buts, mais elle ne veut rien entendre.

— Reviens ici, Alteanne ! On n’a pas fini.

— Non, je reste là !

— Ne joue pas à la petite insolente, ma fille. Cela ne marche pas avec moi. Tu ne deviendras pas comme ton père !

— Au moins, papa sait cuisiner des plats, pas comme les tiens qui sont carbonisés, répliqué-je.

Désespérée, ma mère rejoint Gordon pour discuter sur mon comportement que je viens d’avoir avec elle.

Elle est en train d’asphyxier ma vie. Elle étouffe mon propre espace et mon environnement. Je n’ai pas le droit de choisir mes décisions ni mon chemin alors que je vais avoir bientôt dix ans, je travaille bien à l’école, mais rien n’y est fait, elle est toujours là pour faire ce dont elle a envie, elle ! Pas moi.

Sur le chemin du retour, je donne un coup de pied dans un caillou et il roule jusqu’à la chaussure de Jagger.

— Ça te dit d’aller à la plage ?

Je refuse à cause de l’autre jour où cet imbécile s’est noyé.

— Non désolée, je dois regagner la maison. Ma mère va encore faire un scandale, car la table ne sera pas mise à l’heure quand mon père va rentrer du travail.

— Je suis déçu que tu n’aimes pas le hockey, c’est toi qui m’as donné envie d’en faire et je ne me débrouille pas trop mal pour marquer des points.

Je me retourne vers lui et le regarde sévèrement avant de lui annoncer :

— Je n’ai jamais adoré ça, c’est ma mère qui m’a imposé ça ! Et bien sûr mon papa tient de son côté. Il ne m’aide pas puisqu’il accepte tout ce qu’elle fait et lui, il travaille en tant que serveur donc il rentre tard le soir.

Il s’empare de ma main et me tire de toutes ses forces pour aller dans le parc qui est juste à côté de notre localisation.

J’essaye de le stopper, mais il est bien plus fort que moi. Je me laisse guider avant d’arriver devant un petit étang.

Il me fait asseoir sur l’herbe et installe son bras sur mon épaule avant qu’il ne se précipite pour déposer ses lèvres sur les miennes.

Ce bisou ne dure que quelques secondes.

— Ah beurk, c’est vraiment dégoûtant ! Comment font-ils nos parents pour s’embrasser sur la bouche ? me demande Jagger qui s’essuie avec la manche de son pull.

Finalement, ce n’est pas aussi désagréable que ça.

— Parce qu’ils s’aiment ? Enfin, ta mère…

— Elle est triste de divorcer, mais cela ne l’a pas empêché pas d’aller voir le voisin avant que mon père ne lui casse toutes ses dents.

Jagger me regarde puis baisse les yeux sur la verdure, peiné.

— Je voulais te dire au revoir.

— Ah bon pourquoi ? lui demandé-je, étonnée.

— Demain, je dois partir à Londres avec ma mère, mais tu auras mon frère comme ami désormais. Mais un jour, je viendrais pour toi quand je serais plus grand.

— Non, je n’ai pas envie qu’Adam te remplace, je le déteste.

— Je ne peux pas, c’est ma mère qui décide comme la tienne, Alteanne.

S’il s’en va, c’est moi qui vais rester toute seule.

— Adam préfère être avec mon père et vu que c’est le chouchou, ils ont accepté alors que moi, on ne m’aime pas vraiment.

Il me tend son auriculaire tandis que je fais la même chose.

— Promets-moi que tu ne vas pas m’oublier ?

— Jamais ! Tu vas beaucoup me manquer, Jagger.

— De toute façon, on se voit ce soir à la fête foraine ? Et toi aussi, tu vas me manquer. Mais je me rattraperais, rétorque-t-il en me prenant dans ses bras.

Je reste collé à lui pendant de longues minutes avant que nos parents respectifs ne viennent nous chercher.

Ce soir, je dois aller à cette foire. Juste passer du temps avec lui, une dernière fois avant qu’il ne parte définitivement pendant très longtemps.

Au cours du repas, je n’ai presque rien mangé. J’ai peur de demander à mes parents si nous pouvons sortir ensemble.

Mais il le faut.

— Maman ! Est-ce qu’on peut aller à la foire, s’il te plaît ?

— Je… je te demande pardon après le coup que tu m’as fait à la patinoire, c’est hors de question ! articule-t-elle faussement indignée.

Mon père hoche la tête en accord avec ma mère. Pas le droit de sortir. De toute façon, à part son hockey, il n’y a que ça qui compte dans sa vie. On ne fait jamais d’activité à trois ni même à deux. Ils se sont vite débarrassés de Jayden, mon frère adoptif, en l’envoyant dans un internat à plus de mille kilomètres pour qu’il suive des cours.

Dégoûtée, je me retire de table sans prendre le temps de finir mon assiette.

— Nettoie tes couverts et habille-toi, dit-elle en soupirant tristement. D’ailleurs pourquoi veux-tu aller là-bas ?

— J’ai envie de voir Jagger avant qu’il ne se prépare à retourner dans son pays natal.

Elle acquiesce de la tête puis je mets la vaisselle dans l’évier. Mon père me donne mon manteau tandis que je l’embrasse sur la joue.

— À tout à l’heure papa !

— Soyez prudente sur la route, nous informe-t-il.

***

Durant le trajet, ma mère est devenue bizarre. Elle contemple partout, autour d’elle et lâche un long soupir de frustration.

Assise sur la banquette arrière, je jette une œillade par-dessus mon épaule et me retourne complètement pour regarder derrière. Sur la route, une caisse sans les phares allumés nous suit de très près.

— Dit maman, c’est normal qu’une automobile nous colle sans même enclencher ses lumières.

— Putain ! Alteanne, allonge-toi et ne te montre plus.

J’obéis, car la voix de ma mère vient de changer en un hurlement monstrueux.

Je n’ai pas eu le temps de m’abaisser que je sens que mon corps se fait propulser contre le plafond de la bagnole face à la ceinture qui cède contre le choc. En retombant, je me suis agrippé contre le siège passager avant de voir que le pare-brise vole en éclats. La caisse ne roule pas comme d’habitude. Tout se passe tellement vite que je n’arrive pas à assimiler les images qui défilent rapidement sous mes yeux, mais je sais qu’il y a du liquide chaud qui coule sur mon front.

J’entends ma mère qui me dit :

— Sois forte, mon cœur. Je suis désolée. Je t'aime, Alteanne, balbutie-t-elle faiblement. Tu ne seras jamais seule, je serai toujours près de toi, mon cœur.

Je lutte, mais je finis par m’endormir en prenant sa main mouillée dans la mienne.

— Je t’aime aussi maman.

***

En me réveillant, je découvre que je suis allongée dans un lit qui n’est pas le mien.

Une chambre blanche immaculée qui n’est pas la mienne, non plus. Mon père et Andrew sont présents ainsi que ce garçon qui ne devait pas partir à Londres ? Adam, mon meilleur ami.

Ma tête vacille sur le côté et mon regard se fige vers la fenêtre.

Pourquoi fait-il beau d’un seul coup ? On n’était pas le soir ?

Je remarque tout le monde, seule ma mère est absente.

À tous les coups, elle a dû aller à la patinoire ou bien elle a un match avec son équipe, mais ça me paraît étrange.

Je ne me souviens pas de la fête foraine alors qu’on s’y rendait justement et après, c’est le trou noir. Ai-je perdu la mémoire ? Et pourquoi ai-je tellement mal à mon bras qui — de plus — est dans un plâtre ?

Mon père se rue vers moi, touche mon front et il éclate en sanglots. Ses perles salées roulent sur son visage pâle et atterrissent sur mes joues.

— Papa, pourquoi tu pleures ?

— Je… Non, je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces, sort-il avant de s’enfuir, en furie.

Je n’ai pas compris pourquoi il a disparu de la chambre et j’essaye de me relever, mais la souffrance qu’occasionne mon corps ne me permet pas de bouger. Andrew accourt vers moi et me demande de rester couché.

— Tonton Andrew, elle est où ma maman ?

— Ta maman est partie pour un très très long voyage, ma chérie.

— Oui, mais elle va rentrer aussi, pas vrai ?

Il hoche négativement la tête.

Sa réponse n’est pas celle que j’attendais.

— Elle est obligée de revenir, je suis trop importante pour elle.

— Tu la reverras, quand toi, tu seras prête. Pas avant, mon ange, parce qu’elle est comme papi Hans, au ciel.

Je roule les yeux vers le ciel bleu et Andrew m’apprend que ma mère est décédée dans l’accident de voiture au moment où j’ai fait un caprice pour rejoindre mon ami, Adam.

C’est la première et la dernière fois que j’ai entendu ma mère m’avouer qu’elle m’aimait avant qu’elle ne disparaisse à tout jamais de ma vie.

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