Chapitre 19 : Alteanne

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D’une main absente, j’ouvre la porte de la patinoire et m’introduis dedans pour aller voir les Stars et Jagger, comme convenu, même s’il n’espère pas ma présence.

En rentrant dans le gymnase, des éclats de voix retentissent dans la grande pièce froide. Je distingue que les deux équipes du hockey sont là et sont en train de s’engueuler pour savoir laquelle d’entre elles va s’entraîner sur la glace. Les Vikings se croient moins vulnérables que les Stars, car ils ont un coach, mais les autres sont délaissées par leur manque de perfection.

Normalement, ce sont les Stars qui doivent avoir le centre sportif aujourd’hui. Sauf que les Vikings sont contre cette loi que le proviseur a instaurée en début d’année pour départager les deux bandes.

Comment peuvent-ils réussir à gagner des matchs, si on les prive ?

Jagger essaye de négocier, mais c’est peine perdue. Les Vikings ne veulent rien entendre et ils n’apprécient toujours pas que Jagger ait pu les abandonner pour les Stars.

Je me fraie un chemin et passe par les escaliers de la tribune pour rejoindre Jagger qui me semble prêt à dégommer Titouan.

— Laisse tomber, j’ai la solution, Jagger, lui dis-je en me mettant devant lui.

Il réplique d’une voix grave :

— Dégage, Alteanne ! On en reparlera plus tard, j’ai des choses à régler comme tu peux le voir.

— La violence ne résumera à rien, Jagger.

Il soupire.

— J’ai pas envie que tu te prennes un coup par ses abrutis.

Une grimace vient orner mes lèvres, suivie d’un haussement de sourcil.

— Je te signale qu’un mec de la mafia m’a appris à me battre. Je ne suis pas une princesse en détresse, je sais casser la gueule aux gens, déclaré-je en remarquant que les visages des adversaires se sont changés en des mines décomposées, prêtes à rendre l’âme face à ma révélation.

Je suis loin d’être une faible. Pourtant, je n’ai jamais aimé l’injustice.

Ils finissent par s’en aller, mais je les arrête.

— Restez -là ! Vous allez l’avoir, votre patinoire. Mais les Stars auront une plus moderne que celle-ci.

Je demeure là sans bouger, me retourne vers Jagger et croise les bras contre ma poitrine.

— Tu dois adorer le danger, toi !

Un rictus sournois se dresse sur ma figure.

— Assez pour avoir ce que je désire.

Ne voulant pas séjourner une minute de plus ici, Jagger s’empare de mon bras et me ramène vers les gradins. Il fait exprès de placer une main autour de ma taille pour que je m’énerve. Mais je reste calme.

Il semble surpris que je n’aboie pas comme un chien enragé.

— Si c’est l’un de tes coups foireux, tu vas le regretter, Alteanne.

— Pourquoi j’aurais envie de te mettre des bâtons dans les roues ?

— Je ne sais pas, moi. Pour te venger d’hier soir.

Je cherche, mais à part regarder la télé, boire et m’endormir, c’est tout ce que j’ai fait, la veille.

Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit que Jagger m’attire contre lui et dépose un baiser sur mon front.

— Je vois que trois malheureux verres peuvent te rendre si faible pour ne pas t’en souvenir.

— Deux biens corsés, rectifié-je.

Alors, ce cauchemar n’était pas qu’un simple rêve, mais bien la réalité. J’ai envie de cracher toute ma haine sur lui, car il a abusé de mon état éméché. Je n’arrive pas à prononcer un mot, aucun son ne sort de ma bouche, trop perturbée par la situation. Mon subconscient s’est donné à cœur joie de passer ses images dans ma tête et dire que j’allais me prendre pour une folle qui est en kiff sur son pote.

Non, je ne peux pas.

Je dois résister à toutes sortes de tentations et Jagger rend cette tâche difficile.

Il ricane et pose son bras sur mon épaule que je retire aussitôt.

— Qu’il n’ait pas de prochaines fois, je n’ai pas envie de jouer sur ce terrain avec toi. Ça va plus me tirer vers le bas qu’autre chose et vu que tu as un démon à tes trousses, on va en rester là.

— Je crois qu’on a affaire au même démon. L’un pour le fric et de l’autre côté pour le sexe.

— Les Stars sont déjà en haut, je l’avertis pour couper court à la discussion.

À cette réflexion, il sourit puis m’informe qu’il est content que je porte le collier, car c’est lui qui l’a choisi.

C’est pour ça que mon frère m’avait dit : j’espère qu’il te plaira. En même temps, ce n’était pas lui l’auteur du cadeau, mais Jagger. Pourquoi ne m’a-t-il pas offert de lui-même ? Ouais, non mauvaise idée, je l’aurais sûrement jeté en pleine figure.

Par contre, je me demande où Jagger a eu cette photo avec ma mère. Je ne me souviens pas de ce moment où j’étais dans ses bras.

Encore des passages qui ne sont pas revenus depuis cet accident.

— Tu vas rester planté là ou tu te dépêches ? me sort Jagger qui est déjà en haut des escaliers.

Je chasse ses pensées et m’en vais avec les Stars voir Gordon, l’ancien coach des All Blacks. Peut-être que Gordon peut les aider. Mais il faut que je tienne tête face à lui, il n’est pas du genre à se laisser convaincre aussi facilement. Il est comme mon père, borné et têtu.

Lorsque nous arrivons devant la patinoire rénovée, plantée au cœur de Cambridge, nous y pénétrons et cherchons le propriétaire des lieux pour négocier. Gordon se trouve sur la glace, crosse à la main, il tire des boulets de canon et les palets entrent facilement dans la cage.

Les Stars sont stupéfaits de la démonstration de l’homme vêtu d’une vieille tenue des All blacks puis il donne toutes ses tripes pour marquer un maximum de buts.

— Gordon ! crié-je de tout mon souffle.

Gordon sursaute, se retourne dans notre direction.

— Alteanne, ça fait un bon petit moment que je ne t’ai pas vu, ici. Tu as arrêté le patinage ? me questionne-t-il en souriant de toutes ses dents.

Je lui réponds :

— J’ai eu un accident et on m’a dit de limiter le sport pour que ma colonne vertébrale se rétablisse rapidement.

Il hoche la tête, compréhensif.

— Mais qui sont ces jeunes gens qui t’accompagnent ?

— Ce sont les Stars, une équipe de hockey, la moins réputée de Harvard. Je voulais savoir si tu ne pouvais pas leur donner un coup de pouce, afin qu’ils soient meilleurs sur la glace.

— Avec joie ! J’attendais ce moment où un ramassis de gosses me requiert un jour mon aide. Je dois dire qu’après les All Blacks, j’avais perdu cette valeur : jouer pour s’amuser, et non jouer pour gagner.

Je suis étonnée qu’il accepte sans broncher. Après tout, Gordon est une légende dans le milieu du sport.

Les Stars ont été amenés à travailler leur jeu et Gordon a avoué qu’il va y avoir du boulot jusqu’à l’année prochaine, car ils sont vraiment médiocres. Pour certains, des entraînements en roller leur feront le plus grand bien pour tenir sur leurs deux jambes.

J’ai dû participer à celle qui protège les cages, comme Riley, le gardien des Stars, est un peu long à la détente et il est apeuré qu’un adversaire lui décoche un palet en pleine tête.

Je range les patins et la combinaison dans un casier puis pose mon fessier sur l’un des bancs du vestiaire attribué pour les femmes, l’air pensive.

Gordon m’a certifié que j’avais un bon jeu tout comme ma mère, mais je n’ai jamais voulu pratiquer le hockey. C’était une passion quand j’étais petite, rien de plus.

Je n’ai pas eu le temps de me relever que Gordon et Jagger entrent rapidement dans la pièce, excités comme des enfants qui attendent impatiemment leur quatre-heures.

— Franchement, Alteanne ! Tu devrais faire partie de l’équipe, tu as un don pour ce jeu.

— Navrée de vous décevoir, mais vous faîtes fausse route, je suis loin d’être une experte dans le domaine sportif.

— Non, on le pense vraiment ! réplique Jagger en s’asseyant à côté de moi. Gordon et moi, nous t’avons observé et l’on peut t’affirmer que tu tiens véritablement de ta mère. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi tu as arrêté. Si Maria t’a entraînée, ce n’était pas pour rien. Tu as voulu être capitaine quand tu étais plus jeune, tu as même donné des bons conseils à Luis pour bien garder sa crosse dans sa main et à d’autres gars du groupe.

Je refuse, mais Jagger insiste.

Je rejette la proposition une deuxième fois.

Et pour la troisième, je lui sors :

— Peut-être, on verra.

— Essaye encore une fois, c’est assez vague pour moi.

Je roule des yeux au ciel.

— Oui, mais pas avant l’année prochaine. Tu es content ?

— Pourquoi pas tout de suite ?

— Parce que c’est toi qui m’as mis dans cet état, dis-je en désignant mon dos. Tu es tellement pressé que tu avais oublié pour l’accident.

— Oui, tu as raison sur ce coup, mais sache que ce n’était pas voulu.

— Mouais, répliqué-je pour le piquer un peu.

Au lieu qu’il le prenne mal, Jagger pose ses mains sur mes épaules et incline la tête vers l’avant pour me chuchoter quelques mots au creux de mon oreille.

— Si seulement, nous étions que tous les deux dans la salle, j’aurais pu te prouver à quel point je suis désolé, mais il y a un nouveau coach parmi nous.

— Peut-être qu’une invitation au ciné fera l’affaire au lieu de ton idée.

— J’allais dire un restaurant, rectifie-t-il sur le coup. Mais c’est vrai que le cinéma, c’est largement moins cher !

Si l’ambiance entre Jagger et moi reste la même tous les jours, je ne suis pas contre. Après tout, j’aime bien ce petit moment de détente. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris une micro-pause pour m’aérer l’esprit.

Toujours à essayer d’élucider cette affaire d’homicide volontaire ou involontaire, je ne sais pas comment me positionner face à ça, un vrai casse-tête.

Assise sur le siège en cuir, j’attends que le film commence et je remarque que Jagger revient avec plusieurs boîtes de pop-corn entre ses mains.

Je me redresse légèrement.

— Tu as dévalisé le stand ?

— C’est en vente, c’est pour acheter et manger, non ?

Je me pince les lèvres et respire un bon coup.

— Comment fais-tu pour ne pas prendre un gramme avec tout ce que tu ingurgites ?

— Tous les jours, je fais de la musculation et du jogging tôt le matin.

— Donc le premier où tu es arrivé…

Je n’ai pas le temps de dire un mot qu’une horde de personnes me demande de fermer mon clapet, mais je continue de regarder Jagger qui chuchote.

— J’ai été crevé avec le voyage, mais j’ai bien apprécié me faufiler dans le lit pour dormir près de cette fille aux cheveux blonds qui n’arrêtait pas de se coller à moi.

— Tu… Tu cherches quoi, Jagger ? Tu es différent de celui que j’ai rencontré avant la rentrée.

Il ne répond pas puis son attention vers moi devient de plus en plus noire.

— J’aimerais tout te dire, mais je sens que tu n’es pas prête à savoir ça.

Qu’est-ce qu’il est en train de me cacher ?

— Vas-y, je suis tout ouïe.

— Promets-moi que tu ne feras pas de connerie, si je te le dis.

— Pourquoi ferais-je ça ?

Il soupire bruyamment et essaye de chercher ses mots.

— Je suis pas venu à Cambridge pour le hockey ni pour les cours, mais pour toi.

— Ah bon pour moi ?

— On est arrivé ici pour regarder le grand écran ou déballer quelques vérités dans un lieu public ?

— Tu préfères quoi, toi ?

Il me tapote doucement mon bras avant de parcourir ma joue de ses doigts froids.

— Tu pourras te faire plein des millions de scénarios dans ton crâne pendant que moi, je regarde ce cliché d’horreur.

— Ce n’est pas drôle, Jagger ! C’est si important que ça ?

Il acquiesce d’un bref signe de tête avant de coller son front au mien.

— Assez pour que je sois près toi.

Arrête d’être constamment proche de moi !

— Tu es carrément stupide !

Un rictus malicieux orne nonchalamment ses lèvres.

— Et toi, tu es complètement folle pour ne pas me repousser là.

Je ricane.

— Eh bien, c’est toi qui me cherches depuis le début ! Et si je jouais un peu, je verrais si tu arrives à te retenir.

— Ça devient intéressant.

Un sourire victorieux ne peut s’empêcher d’apparaître sur mon visage.

— Je suis un vrai challenge et une femme qui ne faut pas prendre pour acquis.

— Je ne vais pas tenter ce terrain-là, mais plutôt les filles plus faciles que de me heurter face à un mur. Mais si tu veux, on peut voir tout ça, ce soir.

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