Chapitre 17 : Jagger

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Avachi sur le dossier du banc et la tête posée contre ce dernier, je lâche un soupir et coule un regard vers le ciel étoilé. Le vent commence à se lever et souffle de plus en plus fort dans les branches.

Putain vivement qu’on rentre. Je me fais chier !

La balade aurait été mieux si Beryn pouvait au moins arrêter de m’ignorer. Depuis que Bethanie est entrée dans nos vies, j’ai volontairement mis de côté ma petite sœur.

Je l’ai positionnée au second plan de mon quotidien voir oublier, alors qu’elle avait besoin de moi.

Mais quel connard !

Alteanne se redresse, ôte son châle en laine puis le donne à Beryn pour qu’elle se réchauffe, car elle frissonne face au froid.

— On y va ? leur demandé-je, agacé.

Un rictus ne peut s’empêcher d’étirer les lèvres charnues de Beryn. Vu la tête que je tire, elle rit aux éclats.

— Je te l’avais dit qu’il allait finir par s’énerver, surtout quand je suis là ! déclare Beryn d’un ton narquois.

— Arrête de dire des conneries ! Je suis désolé, sœurette.

Sa pique est comme une pluie de milliers d’aiguilles qui se plantent violemment dans mon cœur. J’ai l’impression d’avoir détruit la complicité que j’avais avec elle et cet accident qui l’a rendue handicapée à vie.

Je ne me pardonnerai jamais.

Les mains accrochées sur le bois, je tente de garder mon calme et essaie de réfléchir à une solution sur les rapports que j’ai avec ma petite sœur. Elles ne sont pas bonnes, mais une idée me vient en tête. Une conversation en tête à tête s’impose, mais je ne suis ni friand ni facile pour m’excuser ou même pour me soumettre à quelqu’un.

C’est ta frangine, enfoiré !

Je jette une œillade à Alteanne qui me fixe et elle désigne Beryn du menton avec un sourire en coin.

C’est moi ou elle arrive à comprendre ce que je m’apprête à faire ?

— Je pense qu’en allant à la villa deux personnes devraient avoir une bonne discussion, non ? dit-elle en frictionnant ses bras.

— Ouais t’as sûrement raison, lui réponds-je en attrapant les poignets du fauteuil roulant que je serre brutalement pour pousser Beryn.

Cependant je me rends compte qu’Alteanne, qui est juste à côté de moi se met à trembler. Aussitôt, j’enlève ma veste et la pose sur les épaules d’Alteanne ce qui lui fait hausser le sourcil.

— Merci, réplique-t-elle froidement. Sa bouche s’ouvre pour articuler quelques mots, mais je ne lui donne pas l’opportunité de parler. Je lui coupe la parole.

— Pas besoin de me remercier.

Lorsqu’on arrive à la villa, Beryn s’est endormie durant le trajet et Alteanne a préféré écouter de la musique tandis que je me suis ressassé ses questions qui me prennent la tête et ce lourd secret qui pèse sur ma conscience. Cette chose que je cache depuis une éternité, mais je ne peux rien dire.

Je chasse ses pensées et m’assois sur le canapé alors qu’Andrew choisit de faire un petit discours dans l’urgence.

— Comme vous le savez, nous avons de gros problèmes à gérer au sein de notre famille et dans la deuxième entreprise à Londres. Donc pour alléger la situation, Samuel, Monica et moi, nous avons décidé que Kendrick, Beryn, Alteanne et Jagger vont vivre dans la maison à côté du campus, nous prévient-il avec une mine dégoûtée qui se dresse sur son visage. Des infirmières et des professeurs seront à disposition pour Beryn, le temps que toute cette histoire de vol se tasse et soit réglée dans les plus brefs délais.

À son tour, ma mère prend la parole :

— Nous ne pouvons pas vous dire quand, les enfants. Mais la demeure où habite Alteanne est très bien sécurisée. On ne se permettrait pas de vous faire courir un danger. Et toi, mon garçon, me désigne-t-elle du bout de son doigt avant de reprendre, pas de gaffe à Bethanie et Kendrick ne sera plus ton majordome, cette fois-ci. Il est inscrit à la fac pour étudier et pas de soirées, c’est bien compris les garçons ?

— À vos ordres, madame.

Et après, on dit que c’est moi qui suis le toutou de ma mère, lui, il lui obéit au doigt et à l’œil.

***

Andrew nous a déposés en vitesse à la villa secondaire et est reparti aussitôt chez lui. Il m'a ordonné de surveiller Alteanne et Beryn, le temps que tout ce bordel soit terminé.

Je ne vois que deux personnes qui peuvent mettre mon entourage dans un tel merdier. L’une d'entre elles a accès aux comptes bancaires et aux données de notre famille puis l'autre peut être complice en balançant des informations sur nous.

Comment Bethanie a-t-elle su qu’Andrew avait pris sa fille avec lui ? Pourquoi Karen s'est-elle invitée au manoir ? D’habitude, elle ne vient presque jamais et elle n’aguiche pas Andrew comme elle l'a fait récemment. Et qui en voudrait à Alteanne jusqu’au point de la faire mourir ? Heureusement que j’ai été là au bon moment, sinon elle ne sera plus de ce monde.

Cette scène tourne en boucle dans ma tête, comme si cela m’avait marqué au fer rouge.

Tu es arrivé à temps, c’est le principal.

J’ai la nette impression qu’on m’a guidé pour que je la sauve. C’est un moment que je ne pourrais jamais enlever de ma mémoire, il restera gravé pendant un sacré bout de temps.

Douche finie, je sors de celle-ci. J’attrape une serviette et l’enroule autour de ma taille puis pose mes mains contre le meuble pour me regarder dans le miroir.

Je me demande souvent comment je fais pour être encore en vie. Je n’ai pas toujours été réglo avec les autres.

Alteanne s’invite dans la salle de bain vêtue d’un short moulant puis d’un top qui lui arrive au-dessus au nombril qui épouse à la perfection sa poitrine.

Pas étonnant que la folle a succombé à son charme, elle est bien gaulée.

— Hé, Jagger ? Ma tête est en haut, dit-elle en croisant les bras.

— On m’a fait des yeux, c’est pour mater, non ? Sinon, tu voulais parler de quoi ?

Elle soupire.

— Demain, Kendrick et moi, on a décidé d’assister à ton match de hockey avec les Vikings.

Tout le monde a cru qu'en retournant à l'université, j'allais revenir dans mon groupe sauf que ce n'est pas le cas. Je pratiquerai toujours ce sport, mais plus avec mes anciens coéquipiers.

C’est mort, j’aime trop le changement !

Ça me permettra de découvrir autre chose, un environnement différent et de nouvelles personnes.

— Au lieu d'aller avoir cette bande, vous ne préfériez pas venir à l'entraînement avec les Stars. Disons que j’ai demandé au proviseur et avec l’aide de mon grand-père, j’ai réussi à rejoindre les Stars.

Choquée, Alteanne scrute mon regard d’une façon bien à elle.

Arrête de me contempler comme ça, sinon je te prends sur le lavabo, princesse.

— Les Stars ? Non, mais tu te fous de moi ? Genre, toi avec eux ? Tu as envie de les démoraliser encore plus qu’ils ne le sont déjà ?

Je m’approche d’elle et susurre au creux de son oreille :

— Je suis sérieux et tu devrais partir avant que la serviette ne décide de tomber d'elle-même.

Elle grogne puis m’offre son doigt – en guise d’amuse-gueule – que je croque violemment. Elle se met à hurler et me fout une baffe monumentale.

— Mais t’es con, toi ! rétorque-t-elle en grinçant des dents.

— Je vais te mordre comme on fait aux enfants, tu vas vite arrêter cette manie.

Elle explose de rire.

— Tu ne sais même pas faire la différence entre du blair’s et de la bolognaise et tu crois que tu vas pouvoir me dresser ! Je suis plutôt la panthère et toi, le lionceau ? Enfin bref, bonne nuit.

Il faut toujours faire attention au loup qui dort, princesse.

***

Le lendemain, je me suis réveillé aux aurores. Je me suis préparé des pancakes, l’un des seuls repas que je suis capable de faire. Du haut de mes vingt-et-un ans, c’est une honte de ne pas savoir cuisiner alors que la recette de ces délicieuses crêpes épaisses avec une touche de sirop d’érable au-dessus. C’est Maria Miller, la mère d’Alteanne, qui m’avait appris ces petites choses, car j’étais le premier à lui rendre visite, tous les matins, pour en manger.

— Salut, dit une voix qui me fait sursauter.

Je me retourne vers la personne concernée.

— Eh bien, tu n’as pas la conscience tranquille ! rétorque-t-elle en piquant mon petit déjeuner.

— Vas-y te gêne pas ? Hier, dans la salle de bain, j’aurais été à poil, ça serait pareil ?

— Je te rappelle que je suis déjà chez moi, Jagger. Donc je fais ce que je veux.

— Tout ce que tu souhaites, hein ! Donc, selon toi, se promener en pleine nuit avec une batte de baseball entre les mains, tu en déduis quoi ?

Elle m’a gentiment offert sa chambre et elle s’est couchée sur le canapé, car Andrew n’a créé que trois pièces de confort et les autres locaux sont pour le divertissement. Mais le plus inquiétant, c’est cette mallette qu’elle avait en sa possession. Je l’ai découverte avant même qu’elle ne la reprenne. Des milliers ou des millions de dollars étaient enfermés dans cette boîte.

Elle comprend que j’en sais un peu trop sur son compte et décide de quitter la cuisine avec son chat qui n’a pas arrêté de miauler devant ma porte.

Je hèle son prénom, mais elle ne se retourne pas. Elle continue son chemin en montant les marches deux par deux pour aller se préparer.

Qu’essaies-tu de cacher ? Pourquoi fuis-tu à chaque fois quand la discussion devient importante ? Pourquoi as-tu changé à tel point que je ne te reconnais même plus ?

En même temps, neuf ans après, on finit toujours par se métamorphoser.

***

J’erre dans le couloir blanc immaculé. J’attends que le directeur termine son entrevue avec la déléguée du comité, Kim… Euh, Angie, pour qu’on en finisse. Ce qui est bien lorsqu’on a des contacts, on peut employer un bon entraîneur comme ce coach Gordon qui a quitté les All Blacks, il y a quelques années juste après la mort de Maria. L’équipe a dégringolé à sa disparition, les matchs devenant un terrain de culpabilités et de lamentations pour ses joueurs qui avaient perdu un pilier, un atout majeur.

À force de défaites, ils sont tous partis chacun de leur côté en oubliant ce qu’ils étaient autrefois. Gordon fera l’affaire pour les Stars. Ils ont besoin d’un coup de pouce.

C’est moi qui viens de dire ça ?

La passion est plus forte que la raison.

Du moins la motivation pour laquelle je suis en train de créer. Me venger de ces petits cons d’Américains qui pensent que je ne suis qu’une putain de plante en guise de décoration. Un jour ou l’autre, les Vikings finiront par chialer.

Peut-être pas maintenant ni demain, mais plus tard.

Angie sort de l’office et le proviseur m’invite une nouvelle fois dans son bureau pour me donner la licence sportive.

— Bonne chance, m’informe-t-il perplexe.

Ne prenant pas le temps, je récupère le papier, me casse le plus rapidement possible de cet endroit et envoie un message à Alteanne pour qu’elle me rejoigne dans la cour. Je me pose sur le muret puis me fais dévisager par les geeks.

Au bout de cinq minutes, Alteanne arrive et je lui claque le contrat sous ses yeux.

— Quand je dis une chose, je le fais.

— Comme démolir mon dos contre l’accoudoir ? J’ai entendu ta petite conversation que tu as eue avec Béthanie, la veille.

— Putain, mais qu’est-ce que tu comprends pas dans « c’était un accident » ? Ce que lance Béthanie ou ce qu’elle fait, c’est différent. En plus, j’ai eu vent des bruits qu’elle mijote. Prépare-toi au pire, chérie.

— Ne m’appelle plus jamais, chérie, sinon je te fais bouffer le macadam. Pour ton information, je sais me battre. Chase m’a initié à l’autodéfense et à cogner mes ennemis, si nécessaire. Si tu n’effaces pas ce mot de ton vocabulaire, c’est avec l’arme qui se trouve dans la villa qui te collera une balle entre les deux yeux, me dit-elle sévèrement. Tu veux tenter, bébé ?

Une mallette remplie de fric, un flingue dans la résidence après ça sera quoi ? Un bazooka plaqué dans la cave ? Une bombe atomique cachée dans une pièce secrète ou dans le mur ?

Alteanne se résout à venir s’asseoir à côté de moi et affiche un rictus narquois aux bords de ses lèvres.

— Ce type t’a appris comment tuer des gens aussi ?

— Exactement. Mais le seul dans ma ligne de mire, c’est toi. Un simple faux pas et je te fais sauter la cervelle.

Je ravale ma salive pendant qu’elle réprime un fou rire.

— La tête que tu as tiré ! Ah croire que le mec était au bout de sa vie. Non, je n’ai pas d’armes et je ne souhaite pas en avoir ni sur moi ni dans la maison, mais c’était marrant, j’ai vu un Jagger, apeuré. Bon, ce n’est pas tout le londonien, je vais en ville, tu veux quelque chose ?

— Toi.

— Et moi, toi en train de mourir.

— Je sais, ma chérie. On signe quand le décès ?

— Ce soir.

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