Chapitre 16 : Alteanne

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Las, je réponds au message de mon amie et sens que la voiture du grand-père de Jagger ralentit de plus en plus puis quelques secondes plus tard, il se gare devant le grand bâtiment de couleur rouge-vermillon.

Un soupir s’exhale bruyamment à travers la commissure de mes babines et j’attrape mon sac avant que Samuel ne sorte du véhicule pour m’ouvrir la porte. Andrew l’imite à son tour.

Durant le trajet, le sourire béat qui étirait nonchalamment mes lèvres a fini par se volatiliser pour laisser la place à une mine aigrie. Non seulement je dois retourner à l’université, mais je vais devoir me farcir certaines personnes que je n’apprécie pas dans ce campus.

Alors qu’en voyant la berline noire opaque sur le parking réservé pour les professeurs, tous les yeux des étudiants se sont braqués sur moi qui m’extirpe doucement du bolide suivi de Samuel et Andrew. Il faut se dire que les deux hommes ont des carrures imposantes et ont des costumes hors de prix qui les mettent en valeur. Ils ne passent pas inaperçus.

Mal à l’aise d’être au centre de l’attention, je commence à fuir cette situation étouffante. Mais Samuel se place en face de moi et me barre la route en s’emparant de mon bras pour me retenir.

— J’espère que vous passerez une bonne journée, Alteanne.

— On va essayer que cela soit le cas.

Il acquiesce d’un bref signe du menton contrairement à mon père qui prend la relève, comme si je devais faire face à mes deux parents pour le premier jour de la rentrée. Il cueille mon visage en coupe et presse sa bouche sur mon front. Un peu de tact, monsieur le président-directeur général de Sullivan Corporation !

J’ai tellement honte !

De plus, je ne suis pas une femme qui aime faire des trucs comme ça, surtout en public ! Et puis je n’ai toujours pas digéré le coup où je n’étais qu’une fille du peuple qui a squatté le manoir des Sullivan. D’après Monica, la mère de Jagger, quelqu’un essaye de s’en prendre à leur lignée donc ils ont fui l’Angleterre pour s’éterniser dans l’État du Massachusetts pour leur survie. C’est pour cela qu’ils sont venus à Cambridge. En échange, je vais devoir vivre avec deux d’entre eux à la villa. Le coup de mon propre père, ça me restera toujours en travers de la gorge cette histoire.

Je replace correctement la lanière de mon sac, remets la mèche de cheveux blonds derrière mon oreille, coule un regard à Andrew, croise les bras contre ma poitrine puis lâche un soupir bruyant. Hâtivement, je me détourne de lui et jette une œillade discrète à Andrew.

— À ce soir, peut-être.

— Pas peut-être, c’est sûr ! Je viendrai te chercher même si tu ne le veux pas, jeune fille. Tu t’es fourrée dans la merde en demandant un service aux Suan. Vois le résultat, tu as failli mourir ! hurle-t-il au loin alors que j’ai déjà emboîté le pas pour le fuir.

Fous-moi la paix, non ? C’est un peu à cause de toi, tout ça !

— Reviens là, je n’ai pas terminé ! vocifère Andrew.

Je continue mon chemin sans m’arrêter, sans me retourner.

Lorsque j’entre dans le hall, je n’adresse aucun regard aux étudiants puis me précipite vers le bureau du directeur avant de me plaquer contre le recoin du mur blanc immaculé qui sépare l’intersection et le couloir, car deux élèves sont en pleine conversation.

Je m’octroie des temps de respiration pour stabiliser mon souffle rythmé par une boule de feu qui remonte dans ma gorge. Mon palpitant s’accélère à une vitesse effrénée et se met à cogner fortement contre ma poitrine en me laissant fébrile par les bouffées de chaleur qui prennent une danse endiablée sur mes joues. Les sujets principaux : l’investissement et les droits que la garce a perdus.

— Andrew et Alteanne m’ont foutu dans la merde ! Je ne peux même plus me payer des fringues et des sacs de luxe. Essaye de réparer ça avec ton grand-père. Tu sais ce que tu dois faire à cette fille, je ne vais pas le répéter plusieurs fois, mon chéri.

— Pourquoi devrais-je le faire ? répond Jagger d’un ton rocailleux.

Elle ricane.

— Pourquoi ? Tu ne te rappelles plus ? Tu étais d’accord pour qu’elle dégage des cheerleaders. Eh, je te fais remarquer que tu lui as fêlé quand même sa colonne vertébrale.

— C’était un putain d’accident !

Soudain, Bethanie lui demande d’écouter un message vocal.

Bouche bée, je reste planté là, incapable de réaliser ce qu’il se passe tout à coup. La voix qui résonne dans le haut-parleur du téléphone, c’est la mienne qui ordonne à un inconnu de brûler vif la famille Sullivan et leur palace.

Comment est-ce possible ? Je n’ai jamais dit un truc pareil, mais l’accent m’appartient !

Putain, ça n’en terminera jamais, ce bordel ? Rendez-moi mon ancienne vie !

Est-elle dans le coup ? Je n’ai aucune confiance en cette nana.

Elle est capable de tout pour écraser les gens qui se dressent sur sa route.

— J’ai appelé Monica pour lui faire part des intentions de la fille d’Andrew quand elle est venue à Londres. Et tu devrais rejoindre les Vikings, Jagger. Ils t’attendent, mon cœur.

Bethanie est une chevronnée dans ce qu’elle entreprend et elle s’est très bien manier les fausses accusations et les mauvaises preuves pour détruire l’existence de quelqu’un.

Mais comment se fait-il qu’elle soit au courant pour moi qui suis venue en Angleterre ?

— D’accord, tu veux que je lui fasse quoi exactement ? réplique Jagger. Elle touchera pas à ma famille !

— Je te le dirai au moment voulu. Pour l’instant, on va juste patienter. Je vais récupérer ce contrat et cet argent quoi qu’il arrive.

Pas de temps à perdre !

Je revêts la capuche sur la tête et m’enfuis de l’université pour avertir Andrew.

Je dois prévenir les autres, car je ne me laisserai pas faire par elle ni par Jagger.

Cette femme sait comment mettre les gens dans sa poche, mais mon père ne peut pas l’encadrer ni la voir en peinture.

Je sors dans la cour et cours à perdre haleine.

Comme si le chemin de ma destinée se détournait pleinement de son principal objectif. Elle traverse constamment des milliers de sentiers anéantis, des chantiers en ruine, des déserts dénués de leurs grains minéraux, sans jamais trouver son échappatoire qui la mènera vers l’abondance de la vie. Celle qui offre et qui donne l’espérance et la bienveillance, sans jamais rien demander en retour. Elle réclame juste d’avoir un minimum de persévérance pour toutes les épreuves difficiles qui feront obstacle. Sauf que moi à dix-neuf ans, je n’ai pas réussi à dénicher cette vocation qui me fera vivre et non survivre. Je suis toujours en train de lui courir après. Je la cherche sans m’arrêter et sans aucun cas abandonner. Le plus grand de mes bonheurs est d’aller au front tous les jours et de me battre pour ce que je suis sans me poser de questions.

— C’est la vie que je mène depuis la disparition de ma mère.

Après avoir traversé la ville en courant, je distingue la villa de mon père et la caisse garée sur le bas-côté, je ralentis la cadence. D’un revers de main, je nettoie les perles translucides dégoulinant sur mon front et repars pour ne pas m’éterniser dehors. Une bonne discussion s’impose !

J’ai la nette impression d’être dans un film et que la séquence se déroule sur une route avant qu’une voiture ne vienne de s’élancer à toute vitesse sur la chaussée pour me faucher. Le rôle le plus pourri du casting qu’on m’a filé. La pauvre fille qui se fait culbuter.

À bout de souffle, j’arrive à regagner la maison d’Andrew et m’y faufile sans prendre la peine de frapper à la porte.

Dès que je franchis le seuil, des éclats de voix retentissent dans le salon.

Ils sont vraiment en train de se disputer ou quoi ?

Un regard noir s’affiche sur mon visage lorsque je parviens à les rejoindre dans le séjour.

— Mademoiselle Miller ? déclare Kendrick, le majordome.

Et dire que je désirais être spectatrice de leur engueulade sans signaler ma présence.

Bien joué, mais c’est raté, Alteanne ! Niveau discrétion, il faudrait t’améliorer.

— Tu n’es pas censée être à la faculté, jeune fille ? me balance Andrew, mécontent.

— Tout à l’heure, tu ne voulais pas me dire quelque chose ?

— Ne change pas de sujet, Alteanne.

Pour simple réponse, je m’assois dans le canapé, jette ma veste sur ce dernier et réprime un soupir tandis que Monica me lance un regard rempli de rancœur.

— Pourquoi ta gamine est-elle ici ?

Je réagis sèchement à Monica.

— Épargnez-nous, vos petits discours de sainte-nitouche Monica. Surtout quand on est de mèche avec Bethanie, il vaudrait mieux se taire.

— Mais qu’est-ce que tu racontes à la fin ?

***

Meilleur alibi auquel je n’avais pas pensé : ordonner à quelqu’un de brûler vif la famille adoptive de mon père. Après je me suicide, ronger par les remords. Je ne sais qui est l’auteur de ce message, mais je sais pertinemment que je ne ferai jamais de mal à qui que ce soit même si c’était mon pire ennemi. Je suis une humaine qui a un bon fond avec les personnes qui me respectent.

Super la théorie ! Mais moi, j’ai failli crever aussi !

Monica m’a affirmé qu’elle n’a jamais eu d’appel de Bethanie et elle aimerait que cette profiteuse disparaisse une bonne fois pour toutes de leur vie.

Je leur ai expliqué la situation et la fameuse conversation que Jagger et Bethanie ont eue, ce matin à mon sujet, pour m’accuser sur les soucis qu’engendrent les Sullivan.

— Je vais t’avouer une chose, Alteanne ! m’informe la mère de Jagger. Reste le plus loin possible de Bethanie. Je n’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose à cause d’elle.

Finalement, elle est loin d’être une sorcière.

Les Sullivan se cachent dans une autre pièce alors que des coups portés retentissent contre la porte d’entrée. Je me dirige vers celle-ci et l’ouvre à la volée.

Hébétée, je constate que Jagger a le visage recouvert de sang et il tient fermement un sac entre ses mains.

— Tu as branlé quoi ? lui demandé-je en haussant le ton. Tu t’es battu ?

— Rien, laisse tomber ! Une bagarre a éclaté dans un bar avec des mecs complètement torchés. Je vois que mademoiselle est préoccupée pour moi. J’ai pas mal, si tu veux savoir. Te voilà rassuré, ma jolie ?

Ce surnom n’est pas vraiment déplaisant, c’est mignon.

— T’es vraiment con par moment ! Si c’était une autre personne, j’aurais été inquiète de la même manière que je le suis avec toi. Va t’installer dans la salle de bain, je vais aller chercher la trousse à pharmacie qui est dans la cuisine.

Je me dépêche de prendre les compresses, le désinfectant et les pansements pour le soigner puis reviens vers lui en analysant les plaies.

— Doucement tu fais mal !

— Ça va, ce ne sont que des égratignures, lui dis-je en nettoyant un maximum le sang qui a séché sur sa peau. Je pense que ta mère ne sera pas contente de te voir comme ça.

— T’en as pas marre de parler de ma daronne ? T’as un problème avec elle ?

Je hausse les épaules avant que Monica ne vienne vers nous.

— Justement mon garçon, je suis là, rétorque Monica.

— Maman… Euh… Qu’est-ce que tu fous à Cambridge ?

— Surveille ton langage, Jagger. Je me demande si c’était une bonne idée de t’envoyer ici. Tu n’auras jamais l’attitude d’un vrai Sullivan.

— Il a encore le temps pour devenir celui que vous espérez tant.

Sur le coup, il riposte :

— Alteanne, ne t’en mêle pas ! Tu as fait le bon choix, maman. C’est moi qui voulais venir à Cambridge pour des raisons confidentielles que je ne citerai pas. Maintenant, tu peux partir ? Mon infirmière personnelle était en train de me soigner.

Monica hoche la tête et quitte en vitesse la pièce, nous laissant seuls.

— Ma mère peut être très chiante quand elle s’y met. Ça te dit une balade, tout à l’heure ? Juste toi, ma petite sœur et moi ?

Sans hésiter, j’accepte volontiers.

Une promenade au parc ne serait pas de refus. Cela fait un bout de temps que je ne suis pas sortie entre les cours, les histoires, les rumeurs et la noyade dans la baignoire.

Je n’ai pas pris une minute pour souffler. Alors que je devrais me consacrer un peu plus de temps pour me détendre au lieu d’essayer de bosser et de réviser à fond sur mes partiels.

Lâcher prise…

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