Chapitre 15 : Alteanne

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J’ai frôlé la mort de justesse…

Dans quel but ? Par qui ? Pourquoi ?

Toutes ses questions tournent en boucle dans ma tête depuis la fameuse boisson trafiquée que j’ai commandée par l’intermédiaire du room service. Dans la précipitation, nous avons dû prendre le premier vol qui s’est présenté pour fuir le Royaume-Uni.

Pour notre sûreté ou pour notre survie ?

— Hé, Alteanne ! Nous sommes arrivés, m’informe Jagger en ouvrant la portière du côté passager.

Merde, j’étais tellement perdue dans mes pensées que je n’avais pas remarqué que nous étions déjà devant l’immense demeure de mon père.

— Désolée, je suis encore sous le choc avec ce qu’il s’est passé à l’hôtel.

Il ne peut s’empêcher de secouer la tête et réprime un rire bête.

— Ne t’inquiète pas, je m’en suis rendu compte. J’ai même eu le temps de prendre les sacs et ton chat pour les amener dans la villa.

Je jette une œillade derrière moi et constate que mes valises ne sont plus dans la voiture ni Rainbow.

— Merci beaucoup, mais tu n’étais pas obligé ! répliqué-je en saisissant la main que Jagger vient de me tendre.

Aussitôt sortie du véhicule, je déboule l’allée et me réfugie dans la maison. Je m’allonge sur le canapé d’angle pour mieux réfléchir. Je place correctement le coussin derrière mon crâne et regarde Rainbow qui miaule. Ce petit bébé croit que je vais dormir donc il ne va pas arrêter de faire son cirque jusqu’au moment où je vais céder à son caprice. Il a l’habitude de roupiller au-dessus de ma tête ou sur mon torse. Il essaye de s’agripper au tissu, mais ce dernier dégringole sur le sol, revient à la charge puis reste accroché sur le sofa en miaulant, car il est bloqué.

Ce matou est désespérant par moment ! Il ne peut plus se passer de moi…

Pour éviter que mon père ne voie les traces de griffes sur son divan, je l’attrape et le pose sur mon ventre.

— Tu sais que tu es chiant, tu ne peux pas me laisser tranquille ?

Pour simple réponse, il ronronne et décide de lécher mon visage de sa langue râpeuse avant de me planter ses canines pointues sur ma joue.

Enfoiré !

Au moment où je m’apprête à décaler Rainbow pour le mettre sur le sofa, une théorie me vient à l’idée.

La suite du Park Lane était bien au nom d’Alberto Suan, car je lui ai demandé un renseignement sur les motels disponibles. Il n’a pas hésité à réserver une chambre pour moi alors que j’aurais pu me la prendre moi-même, mais il a refusé que je dépense l’argent à tort et à travers.

Et si cette bouteille lui était destinée ? Et si cette famille encore plus riche que Rothschild avait des problèmes ? Comme la maison de Carter qui a pris feu le même jour où j’ai appelé sa secrétaire pour qu’on dépanne ma meilleure amie Cameron qui se faisait harceler. D’ailleurs, elle m’a certifié que les menaces ont cessé quelques jours après. Devrais-je m’éloigner des Suan au risque de ma propre vie ?

C’est la seule solution qui me vient à l’esprit. Je n’ai pas envie d’être au centre des difficultés que traversent les Suan. Je suis trop jeune pour mourir et je veux m’en sortir sans l’aide de personne bien que parfois je n’ai pas le choix, car je n’ai pas d’emploi stable puis cela m’embête de demander aux autres. On m’a appris à ne pas dépendre des gens, avoir des ambitions, des rêves à accomplir pour créer son avenir.

Je m’empare de mon téléphone et appelle Alberto, mais je tombe sur son assistante qui m’a l’air pas du tout aimable ni agréable.

— Désolée, mais monsieur Suan est en réunion, me rétorque-t-elle, méchamment.

— Quand une disponibilité se présentera, pourriez-vous l’informer que mademoiselle Miller a essayé de le joindre et que c’est assez urgent.

— Non, me répond-elle froidement.

Je ris nerveusement et grince des dents.

— Encore une secrétaire incompétente qui ne voit que l’argent sans faire un minimum d’effort dans son travail.

— D’accord, je lui passerai la commission, me dit-elle en me raccrochant au nez.

Je soupire d’exaspiration.

— Tu parlais à qui ? me demande Jagger.

Brusquement, je sursaute.

— Euh… à un ami.

— « Secrétaire incompétente ». Tu sais, si tu as un problème, n’hésite pas à m’en faire part.

Je riposte pour qu’il ne s’inquiète pas. Il m’a déjà sauvé de cette noyade dans la baignoire, je n’ai pas besoin qu’il s’implique au risque qu’il mette sa vie en danger à cause de moi. Il vaut mieux prévenir que guérir.

— Cela ne te regarde pas à ce que je sache.

Il acquiesce de la tête et m’avertit que si l’envie me prend, son épaule est toujours disponible pour extérioriser tout ce qui me tracasse en ce moment.

C’est la dernière personne à qui je raconterais mes fardeaux. Je n’ai pas tellement confiance en lui, après les crasses qu’il m’a faites avec sa chère et tendre copine. J’aurai peur qu’on me poignarde encore une fois dans le dos et qu’ils continuent leur numéro pour me rabaisser plus bas que terre, comme si c’était normal.

— Si tu veux, j’ai préparé quelque chose à manger, Alteanne. Je ne dis pas que c’est parfait, mais j’essaye de m’améliorer puisque je n’ai pas de majordome sous la main qui fait le boulot à ma place.

Par pitié, faites que je ne meurs pas d’une intoxication alimentaire !

Jagger serre le bloc de pâtes dans mon assiette. Je me mets à le fixer sans savoir ce qu’il a voulu faire avec cette sauce de couleur cramoisie qu’il vient d’appliquer sur les spaghettis.

Je teste ou je laisse ?

Pourvu que je n’attrape pas une maladie incurable ou que je vais mourir, cela me dit rien qui vaille son plat même s’il a fait un effort.

Sans conviction, je m’empare du couvert, enroule les ficelles jaunâtres autour des dents de la fourchette et mastique un morceau du repas.

Une sensation de picotement se propage contre les parois de mes joues, un arôme piquant saisit mon palais et ma langue s’enflamme.

Un haut-le-cœur me prend de court que je recrache tout à la seconde qui suit. Je tente de choper la bouteille d’eau et le pain mie pour atténuer ce tourbillon de ce brasier incandescent qui s’accentue à une vitesse folle dans ma bouche.

Il nous a mis quoi dedans ? De l’harissa ? Du piment de cayenne ? Du Blair’s ?

Putain, ça arrache ce truc !

— Ça y est, elle va me déclarer que c’est dégueulasse. J’ai essayé de te faire plaisir, quoi ! Hé ! Ça va ? me dit-il en haussant le sourcil. On dirait que tu vas cracher du feu.

— Donne le pichet ou la baguette, vite !!!

Jagger chope la carafe puis la fait glisser, mais avec sa force cette dernière termine son aventure sur le sol, explosée.

— Si tu cuisines comme tu couches avec des nanas, tu as dû rater ta vie, toi !

— Attends-toi ! Tu vas voir si j’ai échoué quelque chose.

Je me lève en vitesse pour foutre le camp de la salle à manger, mais il me court après et me rattrape avec une facilité incroyable. Je n’ai pas eu le temps de prononcer quoi que ce soit que je suis déjà sur son épaule et il traverse les nombreuses pièces avant d’arriver sur la terrasse, accompagné d’une piscine creusée.

— N’ose même pas, Jagger !

Il ricane.

— Ne te méprends pas, dit-il en claquant sa main sur mes fesses et me pose sur le transat.

Je réplique.

— T’es sérieux pour la tape sur mon cul ? Obsédé !

— Je te rappelle qui de nous deux est le pervers dans l’histoire, mademoiselle qui se dandinait contre moi la première fois au studio. Je n’ai pas oublié.

Il est encore avec ça ? Ça fait six mois quoi !

Je soupire désespérée.

Il a une bite à la place du cerveau ou quoi ?

Je fulmine et lui présente mon majeur. Il me reprend et me susurre au creux de mon oreille.

— T’aurais pas dû, ma jolie.

Je me débats du mieux que je le peux tandis que ce dernier se rapproche au bord de la piscine.

— Ne lâche pas, sinon tu tombes avec moi !

— Alors, jouons à un jeu.

Nos respirations se hachent et s’entremêlent ensemble, j’avale ma salive quand je sens son érection à travers son jean.

Mais c’est quoi, ce délire ?

Pourquoi lui ? Pourquoi est-il excité ? Merde à la fin ! Je suis une amie, rien de plus ! Je ne peux pas. Du moins, faudrait-il qu’il me considère déjà comme une collègue ? Je ne pourrai rien dire. Au final, je ne le connais pas aussi bien que ça. Ce Jagger est différent de celui que j’ai rencontré autrefois.

Il se détourne de la piscine et me repose sur le sol.

Mal à l’aise, il se gratte la tête.

— Désolé, pour ça. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris d’un seul coup, répond-il en retournant dans la maison.

Perturbée, je finis par revenir dans le salon, d’ouvrir mon baluchon pour extirper un pyjama et d’aller dans la salle de bain pour me changer.

Ayant terminé, je descends les escaliers, débarrasse la table, nettoie le carrelage et lave toute la vaisselle. Ensuite, je regagne le canapé puis allume la télévision avec Rainbow qui se bagarre avec mes chaussons et Jagger qui s’assoit à deux mètres de moi et plonge son nez dans son téléphone.

Super soirée…

Je zappe les chaînes avant de tomber sur un film d’horreur qui vient de sortir.

Vas-y pourquoi pas, ça me changera les idées que la vision de l’érection.

Bordel !

Je secoue la tête, attrape les couettes rangées dans le compartiment du divan et des miaulements qui se font entendre.

— Qu’est-ce que tu es peut-être casse-couille ! Tu ne peux plus vivre sans moi ?

— Ah parce que tu parles avec ton chat ? me rétorque froidement Jagger.

L’homme qui est juste en face de moi a revêtu son masque impénétrable et glacial.

Le lendemain, je me suis réveillée et j’ai découvert que Jagger était debout bien avant moi, énervé.

— Bonjour, lui dis-je avant qu’il ne me présente une main dédaigneuse.

Monsieur fait encore la gueule !

Je ne fais pas gaffe à lui, prépare mon petit déjeuner et ouvre le paquet de friandises pour Rainbow qui se précipite à une vitesse ahurissante dans la cuisine.

— Il a de la chance, ton petit bâtard !

Je regarde attentivement ma boule de poil crémeuse qui tourne en rond en attendant que je déverse le contenu dans sa gamelle.

— Ne me dis rien, il t’a mordillé ce qui te servait de dignité ? répliqué-je en comprenant la bourde que je viens de faire. C’est pour ça que tu es en rogne ?

Je ris à gorge déployée, mais Jagger n’est pas amusé par la situation. Au contraire, il grogne. Je conclus que le lion est sorti de sa cage.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Ta chérie n’est plus disponible ? Elle t’a quitté ?

— J’aimerais juste te faire bouffer mon bol, mademoiselle en pyjama licorne.

— Tu as vu ? Il est mignon, hein ? C’est Andrew qui me l’avait acheté, il y a des années. Celui-ci n'a jamais compris qu’à mes onze ans, je ne rentrais pas dans du 36, il est encore trop grand pour moi.

Il roule des yeux au ciel.

— Tu es irrécupérable comme nana.

— Au moins, je ne fais pas une gueule d’enterrement toute la journée, moi. J’ai l’impression de voir ta mère, c’est horrible !

— Reparle de ma daronne encore une fois et tu manges la table !

— Mmmh susceptible.

— Un connard comme ton enfoiré de chat qui m’a mordu les doigts de pieds ! Bon, allez-moi, je me rends en cours. Mauvaise journée, Alteanne !

Je hausse les épaules et lui dis :

— À toi aussi, petit con.

***

En rentrant du magasin, je range les sacs de courses dans les placards et fais le grand ménage. Brusquement, mon portable se met à vibrer dans la poche de ma veste et je remarque qu’il s’agit du numéro de la secrétaire d’Alberto. Je décroche et la porte de la maison s’ouvre brutalement.

— Bonjour, mademoiselle Miller, me dit Alberto au bout du fil. Vous n’avez pas cours aujourd’hui ?

Andrew et sa famille entrent dans le logement. J’essaye de m’éclipser, mais Andrew exige que je vienne vers lui tandis que je pose mon doigt sur la bouche pour que tout le monde se taise.

— Bonjour Alberto. Non, j’ai été viré pendant trois semaines. Parlons d’autre chose. Je ne vous demanderai plus jamais du soutien avec ce qu’il m’est arrivée avant-hier, je préfère en rester là avec vous.

Il racle sa gorge.

— Vous n’avez pas apprécié la suite ?

Je lui réponds.

— Ah si ce n’était que ça, tout aurait été parfait. On a essayé de me droguer pour que je crève.

— Je vous demande pardon ?

— Je crois que vous avez bien compris ! Je ne sais pas si vous avez des ennemis, mais, en m’aidant pour trouver un hôtel, quelqu’un a glissé des stupéfiants dans la bouteille de limonade que j’ai commandée auprès du room service. Heureusement que monsieur Sullivan est arrivé à temps pour effectuer un massage cardiaque, sinon je serais morte, noyée dans l’eau de mon bain.

Andrew croise les bras contre sa poitrine, mécontent alors que Samuel, sa femme, sa fille, le majordome Kendrick et Beryn m’observent d’un air ahuri sur leur visage.

— Je comprends tout à fait, mademoiselle. Je suis tellement navré pour vous, je ne pensais pas qu’il vous arriverait malheur. Soyez sans crainte, je ferai vérifier ce désagrément au plus vite. Au revoir.

Non, mais l’ancêtre n’a rien capté ou quoi ?

— Hé le vieux, je ne veux plus de votre aide ! Je tiens à ma vie ! Bonne journée, rétorqué-je en lui raccrochant au nez.

Lorsque je me retourne vers mon père, celui-ci est contrarié. Il faut se dire aussi que je me suis mise en danger pour un vulgaire hôtel luxueux qui n’est pas sécurisé ou bien, il est connu pour faire du trafic derrière le dos des autres !

— Habille-toi pour te rendre à la fac, j’ai négocié avec le proviseur pour qu’il accepte de retirer ton exclusion.

Je l’ignore avant qu’il n’attrape brutalement mon bras.

— Ne discute pas, je te ramène à l’université.

— On sait que tu ne m’aimes pas pour me dégager de ta vie, une nouvelle fois.

— Assez pour te protéger des personnes mal intentionnées. Allez, ma chérie, prépare tes affaires et ce soir, on doit avoir une conversation entre père et fille.

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