Chapitre 13 : Alteanne

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Brusquement, les rayons du soleil ardent m’éblouissent et me laissent échapper une faible plainte inarticulée. Les yeux clos, je me détourne de lui, grogne, tire méticuleusement les draps, m’enroule dedans puis m’enfouis sous les couettes.

— Debout, mademoiselle ! braille une petite voix. C’est l’heure !

Un soupir s’exhale de mes lèvres, je me redresse en réfléchissant ou j’ai atterri exactement.

Andrew et moi, nous sommes montés dans son jet privé. Mais tellement que j’ai eu peur de la vitesse à laquelle l’engin volait, je n’ai pas hésité à prendre une énorme dose de somnifère pour oublier ce moment horrible.

Aussitôt, je me relève à la hâte et coule un regard au fond de la pièce.

Pas mal la décoration ! pensé-je en visualisant les lieux.

Le papier peint rosé habille les murs, un bocal de fleurs embellit le bureau blanc laqué en face du lit, quelques armoires et commodes comblent l’espace de la chambre contemporaine à moitié vide puis le baldaquin trônant en son centre.

J’ai l’impression d’avoir loupé plusieurs épisodes en même temps !

Subitement, une petite main caresse doucement mon avant-bras. Je jette une œillade vers la personne concernée et découvre qu’il s’agit d’une fillette assise sur un fauteuil roulant.

Pauvre enfant, cela ne doit pas être facile pour elle !

Elle a de longs cheveux blond foncé bouclés, le teint pâle et des prunelles de couleur noisette avec une mine angélique plaquée sur son visage.

Elle se bidonne, baisse aussitôt ses iris sur ses jambes et serre violemment sa robe de sa main droite, l’air timide.

— Quel est ton prénom, petite ? lui demandé-je d’une voix douce.

— Euh… Beryn, mademoiselle, dit-elle en mordillant sa lèvre.

Bordel qu’elle est mignonne, cette môme !

— Je… je croyais que tu avais mon âge, mais tu es largement plus grande que moi ! Oncle Andrew est un gros menteur, balbutie-t-elle.

— Andrew ? C’est quoi, ton nom de famille ? la questionné-je, intrigué.

— Sullivan.

J’écarquille les yeux, choquée. La gamine a sûrement un lien de parenté avec les jumeaux. Je ne sais pas, je n’avais jamais entendu Adam ni Jagger m’annoncer qu’un membre de leur fratrie était handicapé.

— Il faut se dépêcher, mademoiselle. Ma mère ne sera pas contente si elle est en retard.

Je lâche un long soupir, me lève du plumard, envoie valser les couvertures au pied du lit puis me dirige vers ma valise pour prendre quelques affaires et ma trousse de toilette.

Du bout de son doigt, Beryn me désigne la porte à côté du pot d’Hortensia pour me dire que la salle de bain se trouve là-bas. Je m’y rends.

J’ondule les pointes de ma tignasse, applique la dernière couche de mascara sur mes longs cils et prends le temps d’analyser mon reflet dans le miroir.

Ça fera l’affaire !

Je sors et constate que Beryn n’a pas bougé d’un millimètre, elle est toujours à la même place.

— Pourrais-tu prévenir quelqu’un et demander de l’aide ? Ma roue a crevé… et je n’ai pas mon téléphone sur moi pour appeler ma maman ni mon grand-père.

J’acquiesce et vais dans le couloir, mais il n’y a aucun chat à l’horizon…

— Je vais essayer de trouver quelqu’un qui peut venir au plus vite, lui dis-je avant de quitter la chambre.

Comme à mon habitude, je décide donc de visiter les lieux et tâche de marquer des repères.

C’est encore plus grand que la villa où j’habite !

J’arrive à l’interception quand un jeune individu à la peau basanée fait un bond en me voyant et le vase floral en porcelaine – qu’il tenait entre ses mains – termine sur le sol carrelé, explosé en mille morceaux. Il jette un coup de regard dans ma direction avant de se gratter la tête, dépité.

— Je suis dans la merde, on va me virer !

— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? s’écrie un inconnu avec un fort accent anglais.

Comme un automate, je me retourne vers cette voix faussement agréable.

L’homme frise au moins la cinquantaine d’années, il me dévisage et darde l’autre type d’une œillade meurtrière lorsqu’il découvre l’affreuse décoration, détruite.

— C’est de ma faute, protesté-je. Je cherchais de l’aide pour la fillette, son pneu a éclaté et j’ai fait peur à ce garçon qui tentait de nettoyer cette chose immonde.

Il soupire, agacé.

— Emmène cette fille sur la terrasse, Kendrick.

C’est seulement quand il ordonne à Kendrick de m’accompagner dehors, que le mec me remercie de m’être dévouée pour le truc tout moche.

Ça intéresse vraiment quelqu’un, ces vieilleries ? Je n’ai jamais vu un objet aussi dégueulasse que ce vase !

Le silence s’invite entre nous. En un instant, je brise la glace et m’excuse de mon impolitesse :

— Désolée, je me prénomme Alteanne, lui dis-je en tendant une main à Kendrick, mais il refuse.

— Je suis qu’un simple domestique ici, vous n’avez pas besoin d’être formelle avec moi, mademoiselle.

— Eh, je ne vis pas dans cette maison, donc tu peux m’appeler Alteanne et me tutoyer par la même occasion, lui imposé-je, moi-même mes propres règles avec un sourire.

Kendrick me fait passer par la cuisine et s’arrête en ôtant le couvercle du panier en osier. Une odeur succulente se dégage de la corbeille puis remplit les narines. Il extirpe quelques viennoiseries, attrape la cafetière encore chaude, déverse le jus noir dans un mug puis dépose tout le contenu sur un plateau en secouant énergiquement la tête, amusé.

— Vous devriez vous dépêcher au lieu de rester planter là, votre père doit s’impatienter.

Sans que je ne comprenne, il m’expédie dehors alors que je voulais emporter moi-même mon petit-déjeuner bien que je préfère boire du lait d’avoine ce matin. Mais interdiction d’en avoir, il est réservé pour Beryn, car elle est intolérante au gluten.

Tant pis, je m’en achèterai.

Andrew, la mère de Jagger que j’avais rencontré à la cérémonie d’Alberto Suan, la blonde qui était sur ses genoux et une vieille dame du même âge que le quinquagénaire sont autour de la table de jardin en train de discuter.

Ce sentiment qui m’affirme bel et bien que je suis de trop avec eux. Il ne me donne pas le choix que de m’installer sur une chaise longue, loin de tout le monde.

Andrew est bien trop aveuglé par le décolleté de l’autre gonzesse pour s’intéresser à sa propre fille.

La matinée a très mal commencé, les douze coups de midi sont prêts à retentir. Personne n’a fait attention à moi. Mine de rien, j’ai pu me promener dans le manoir sans avoir un but précis. Il faut se dire aussi que je suis une vraie curieuse. Je finis par fermer la porte avant de voir mon père qui attrape la nana par la taille et la lâche aussitôt dès qu’il m’aperçoit.

— Ah enfin, tu es réveillée ! J’ai cru que tu allais dormir toute la journée.

Désespérée d’Andrew, je lui présente mon majeur, ce qui rend la femme, outrée. Sans plus attendre, je disparais de la circulation et regagne la chambre d’ami en prenant soin de m’enfermer à clé.

Ils ont fait comme si je n’étais pas là alors que, par moment, j’étais très proche d’eux…

Je me dirige vers le balcon pour m’aérer l’esprit.

Je suis peut-être un fardeau pour lui ! Et Cameron, c’est quoi dans tout ça, une pauvre conne ?

Finalement, je me demande si les menaces ne venaient pas de lui pour nuire, Cameron.

Soudain, quand j’essaye de contacter un ami pour passer le temps, un appel de Jagger apparaît sur mon écran.

En voulant couper la sonnerie par le biais du volume, celui-ci accepte la conversation.

Vive la nouvelle technologie, j’ai encore oublié de désactiver cette fonction !

Jagger n’hésite pas à m’agresser dès que la discussion se lance.

— Alors, t’as pris peur, tu t’es pris une chambre d’hôtel pour te cacher ?

Je comprends que ses amis chuchotent et ricanent à travers le combiné.

Ça veut faire son malin parce qu’il a du monde derrière lui ? Ça y est, tous les étudiants l’aiment depuis que j’ai quitté la salle des communes, comme quoi les gens sont rongés par l’hypocrisie.

J’active le haut-parleur pour mieux l’entendre, car je capte mal ici et le réseau grisaille de temps à autre.

— Chez ta mère, rectifié-je.

— Tu désires vraiment te manger une claque dans la gueule, toi ?

— Viens à Londres, je te tendrai sagement ma joue pour que tu me la fous.

Il aboie tellement fort que je ne comprends que quelques mots avant qu’on tambourine à la porte, je m’avance et ouvre brutalement la porte, croyant que c’était mon père, mais c’est l’homme que j’ai rencontré, ce matin.

Instantanément, Jagger réplique en gueulant :

— Je sais que tu n’es pas à Londres, ma famille n’aime pas les gens du peuple et toi, t’en fais partie. Elle t’accueillera jamais ! Sale chienne.

Le vieillard fronce les sourcils et s’empare de mon téléphone en écoutant les insultes que Jagger prononce à mon égard.

— Je regrette d’avoir à te dire ça, mon cher petit fils, mais tu m’en vois désolé. Ton comportement est une honte pour notre lignée et je songe à te remplacer, rétorque le papi.

— Grandpa Samuel ? bégaye, Jagger.

— Effectivement, c’est bien moi, Jagger. Tu n’es pas à la hauteur de mes attentes et je comprends désormais pourquoi ta mère t’a envoyé à Cambridge… Je crois même qu’Alteanne a le physique et le mental pour tenir une telle responsabilité. Je ne t’ai pas élevé avec de la vulgarité et on respecte une femme ! finit-il par dire avant de lui raccrocher au nez. Alteanne, je suis navré… Il n’était pas comme ça autrefois. C’est depuis qu’il est avec cette fille, qu’il a changé. D’ailleurs, je vais les punir, elle rigolera moins, quand elle verra que nous ne lui verserons plus rien. Venez avec moi, j’ai à vous parler.

***

Des débats sur des sujets de politiques, ce n’est pas ma tasse de thé. Encore moins quand il m’a proposé de jouer aux échecs qui se transforment en une éternité.

Sur cinq parties, je n’en ai gagné aucune.

Est-ce que je suis nulle ? Oui, absolument.

— Mademoiselle, je vous suggère de me suivre pour que vous preniez votre dîner.

— Avec plaisir, je commence à avoir faim.

Nous décidons de quitter son bureau et nous discutons sur tout le long du trajet. J’entre seule dans le salon, Beryn déguste ses frites et semble toute joyeuse, lorsqu’elle me voit.

— Tu viens t’asseoir à côté de moi ? Avant, c’était mon frère, mais il m’a laissé tomber.

Pauvre petite… Elle me fait de la peine…

Je me dirige vers elle avant d’entendre Andrew et l’autre qui se marrent ensemble.

— C’est quand tu vas mettre en route un enfant ? Tu n’as jamais pensé à être père ?

— Non, c’est vrai. Un jour peut-être.

C’est moi où j’ai trop bu ? C’est tellement blessant !

Mon palpitant bat à une allure folle lorsque la brune affirme qu’une roturière l’étouffe dans le salon et qu’elle n’était pas du tout à sa place, ici.

C’en est de trop !

Ma décision est déjà prise.

***

Valises prêtes, je les jette par-dessus le balcon. Je mets Rainbow dans sa cage et m’accroche contre le treillis avec la caisse de transport pour descendre.

Une fois en bas, je reprends mon souffle et embarque mes sacs et quitte définitivement cette famille toxique. Seul Samuel est différent des autres.

Soudain, lorsque je tente de tourner, Kendrick surgit de nulle part et me barre la route.

Fait chier, il fallait que je tombe sur le majordome !

— Mademoiselle… Euh Alteanne, tu comptes aller ou comme ça ?

— Cela ne te regarde pas, craché-je en avançant.

— Je suis désolé pour vous. Votre père devient très étrange…

— Ce n’est pas mon père et je ne suis pas sa fille, il ne m’a jamais élevé. C’est un connard qui n’a rien à foutre dans ma vie. J’aurais même préféré que ça soit lui qui meurt au lieu de ma mère. Au moins, cela ne serait pas une grande perte pour ce monde.

Folle de rage, je n’arrive pas à contenir des mots qui viennent de sortir de ma bouche.

Si j’avais su, j’aurais mieux fait de rester à Cambridge…

Maintenant, je dois trouver un endroit pour dormir la nuit ou je m’achète un billet d’avion pour revenir dans mon pays, car je ne retournerai plus jamais dans cette baraque.

Plutôt crever que d’y refoutre les pieds !

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