Chapitre 10 : Alteanne

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Ce matin, je me suis réveillée avec un air maussade plaqué sur le visage. Rainbow, la nouvelle recrue de la villa, s’est donné à cœur joie de planter ses petites dents pointues sur ma joue pour que je me saque du plumard. Toute la nuit, Rainbow a aussi cru que mon lit était un terrain de distraction et que mes cheveux ressemblaient à une pelote de laine pour jouer avec eux.

Au supermarché, je jette un coup d’œil dans le rayon animalerie et m’empare des croquettes de qualité et des friandises que je fous aussitôt dans le caddie.

Rainbow ne manquera de rien avec moi ! pensé-je.

Lorsque je me décide à choisir le gros coussin gris en fourrure et à prendre quelques sachets fraîcheur pour mon chat, je tombe machinalement sur Nate.

À l’époque où j’allais encore au lycée, Nate était le fameux dealer qui me vendait de la drogue. Je lui faisais part de mes soucis et il me donnait de bons conseils que je ne mettais jamais en pratique. Nate est aussi le fils de Javier, le poissonnier.

Aujourd’hui, je suis face à un autre homme, métamorphosé.

Bouche bée, je me mets à le fixer. Il ne porte plus ses habits répugnants qui puaient le shit. Il est vêtu d’un costard qui épouse à la perfection sa carrure. Ses cheveux blonds en bataille sont parfaitement ordonnés et bien coiffés.

— Quelle coïncidence de te voir ici, Alteanne !

— Salut, Nate. Oui, c’est vrai, c’est même étrange ! Alors quoi de neuf dans ta vie ? lui demandé-je.

— J’ai trouvé un bon boulot qui alimente très bien mon compte en banque. J’ai mon petit chez moi, une femme et un enfant en bas âge. Je ne croyais pas que j’étais capable d’avoir tout ça, un jour !

Je suis vraiment contente qu’il ait pu partir de ce milieu de malfrats.

— Depuis quand tu portes un corset ? me requiert-il avec attention.

— T’inquiète pas, j’ai eu un accident à l’université, lui avoué-je en mettant des sticks dentaires pour animaux dans le chariot. Disons que j’ai voulu retenir quelqu’un et cela m’est retombée dessus. Tu sais si ton père est ouvert aujourd’hui ?

— Oui, j’y vais juste après. Si tu le souhaites, je peux te déposer devant le magasin.

J’acquiesce de la tête et fais le reste de mes courses.

En payant la caissière, j’emporte mes sacs à bout de bras et cherche la voiture de Nate du regard. Pour se montrer visible, celui-ci s’adosse contre la portière. Je le rejoins en mettant mes articles sur la banquette arrière puis me dirige vers l’avant pour m’installer sur le siège passager.

Nate finit de boire son soda et démarre le véhicule qui s’élance sur la voie principale. Je regarde le paysage qui s’offre à moi avant d’arriver devant la boutique.

Je sors du bolide et me faufile dans le commerce sans prendre le temps d’avertir Javier de mon arrivée. Je m'arrête net en voyant que Jagger est là dans la pièce.

Lui et moi, nous avons toujours été fans de crustacés, me souviens-je de notre enfance.

Nate se dirige rapidement vers la deuxième caisse pour préparer ce que je prends à chaque fois. Mais je le stoppe.

— Tu peux me mettre un kilo de saumon s’il te plaît ? Cette fois-ci, on va éviter les crevettes.

— C’est nouveau, ça ?

— J’ai un bébé à nourrir et je crois que je vais le traiter comme un roi.

— Tu as un enfant ? me questionne-t-il, choqué.

Jagger s’étrangle avec sa salive.

— Un Siamois mâle, rectifié-je.

— Tu vas vraiment acheter du saumon pour un animal ?

Je hoche la tête, on ne peut plus sérieuse, et réplique :

— Je lui ai épargné la mort, hier soir.

Javier revient dans la salle, me passe le bonjour et dépose un énorme cabas sur le comptoir.

— Voilà, les dix kilos de crevettes, monsieur. Alteanne, je crois qu’il t’a devancé en matière de goût.

Je réprime un rire.

— Jagger a toujours raffolé des salicoques, réponds-je sérieusement.

Je mords ma lèvre inférieure gênée d’avoir affirmé ses préférences à sa place, comme si rien n’avait disparu.

Je suis incapable de modifier les erreurs du passé, mais je suis en mesure de changer le futur.

— Dis, tu fais quelque chose ce soir, Alteanne ? m’interroge Jagger.

— Non pourquoi ?

— J’aimerais savoir par rapport à mon frère, si tu ne vois pas d’inconvénients.

J’acquiesce d’un bref signe du menton en m’acquittant de la somme inscrite sur la caisse enregistreuse.

***

De retour à la villa, j’organise un peu ma chambre pour créer un nid douillet à Rainbow qui s’est rué sur les petites gourmandises au lait que je lui ai achetées.

Je n’ai pas le temps de terminer qu’il a déjà presque tout englouti et m’en réclame.

Le bébé avait faim ! pensé-je en visualisant la gamelle à moitié vide.

Ensuite, je vais à la cuisine et m’apprête à retirer le plat du four quand la sonnette de la maison retentit.

Je hausse les épaules et m’empare des gants pour que mon dîner ne soit pas carbonisé. Je le sors puis entends l’avertisseur qui résonne une seconde fois.

Elle va me rendre dingue cette alarme !

Je me précipite pour ouvrir quand je vois Jagger qui s’est mis sur son trente-et-un, me tend une plante du nom de cymbidium et il est muni d’un sac.

Les orchidées préférées que ma mère adorait.

— Désolé, il n’y avait plus que ça chez le fleuriste.

— Merci beaucoup Jagger, mais tu n’étais pas obligé.

— C’est la moindre des choses. Je voulais m’excuser lors de notre victoire contre les Knights. À cause de moi, tu ne pourras plus jamais pratiquer de sport.

Un sourire amusé ne peut s’empêcher d’étirer nonchalamment mes lèvres. Il est contrarié de la même manière quand j’avais appris que je ne pouvais plus faire du patinage. Il y a toujours une fin à tout. Puis je n’ai jamais envisagé d’être une athlète.

Ce n’est pas ça que je veux faire dans ma vie. Je doute du parcours que je désire avoir plus tard.

J’ai que dix-neuf ans. J’ai encore le temps de choisir la chose qui me fera vibrer.

— Allez, te bile pas pour moi ! Je ne suis pas encore devenue handicapée à ce point-là pour qu’on s’apitoie sur mon sort.

— Mine de rien, t’as toujours été une battante.

— On ne se débarrasse pas de moi aussi facilement. J’ai sondé les couloirs de la mort, mais vu que je suis une personne très chiante et fatigante, on m’a vite banni de l’enfer. Ils ont eu peur et ne veulent pas de moi avec eux au risque que je leur fasse vivre un vrai calvaire, ce n’est pas de ma faute ! m’esclaffé-je pour rendre l’ambiance plus agréable.

Jagger rit aux éclats tandis que je l’invite à entrer dans ma somptueuse demeure.

— Vas-y, fais comme chez toi ! lui dis-je en me dirigeant dans la cuisine.

Je dresse mon assiette lorsque Jagger m’attrape par la taille et m’attire contre lui comme autrefois.

— Ça sent super bon, tu m’as fait quoi à manger ? déclare-t-il avant de me lâcher. Désolé, j’ai trop eu l’habitude de t’avoir dans mes bras quand nous étions petits.

— Tu n’as pas besoin de t’excuser, mais tu es quand même un connard pour me demander si je t’ai préparé quelque chose !

— Tu m’as dit quoi, déjà ? Fais comme chez toi, non ? Moi, je le prends au pied de la lettre.

Je me marre avant que mon téléphone ne m’indique qu’on essaye de me joindre.

Je réponds à la personne qui vient de foutre en l’air mon humeur. Caleb qui revient de plus belle en me déballant ses plus belles phrases qui n’ont jamais eu de sens pour m’avoir trahie comme il l’a fait.

— Tes paroles ne me font plus aucun effet. Dis-toi que ça fait sept mois, il y a une raison pour laquelle je ne retourne pas vers toi.

— Steuplait, mon amour. Je suis tellement désolé. Je t’aime Alteanne, je peux pas imaginer ma vie sans toi, j’arrive pas à t’oublier.

— Tu veux me la faire à la Adam, toi ? Parce que lui aussi a failli me pondre un truc du même style.

— Je vais le buter, ce fils de pute ! vocifère Caleb au bout du fil.

D’un seul coup, mon portable se dérobe sous mon nez et Jagger gère la conversation avec mon ex.

Il lui garantit d’une voix grave et froide.

— Insulte encore une fois ma mère de pute, je vais te trucider et t’égorger comme un porc. La dernière fois, t’as pas compris à mon avis.

Caleb ricane nerveusement.

— Ça y est, cette pute se fait profondément sodomiser par ce clochard qui vide ses couilles dans toutes les chattes du campus. T’as pas peur de lui refiler la gonorrhée ?

On se jauge du regard en levant tous les deux les yeux au ciel avant d’éclater de rire comme de parfaits imbéciles.

Me récupérer avec les insultes qu’il vient d’admettre de sa propre bouche. Jamais de la vie !

Je me réapproprie mon mobile et lui dis ses quatre vérités.

— N’espère rien de moi, c’est bel et bien fini entre nous. Je t’invite à tourner la page une bonne fois pour toutes. Fais gaffe que mon poing n’atterrit pas dans ta gueule. T’as capté, les mots que j’ai prononcés ? C’est terminé, lui affirmé-je en lui raccrochant au pif.

Quel enfoiré, ce type !

Les prunelles de Jagger se figent sur le sol en observant Rainbow qui donne des coups de patte sur sa chaussure.

— T’as bien fait de le larguer, tu trouveras quelqu’un de mieux. En revanche, je ne sais pas ce qu’il a avec mes pompes, ta petite boule de poil.

— Je crois que ce sont tes lacets qui l’intriguent. Bon, tu peux t’installer à table parce que cela m’a donné faim tout ça.

— Décidément, la bouffe et toi !

— Une grande histoire d’amour.

Je pouffe en voyant qu’il sort une bouteille de champagne de son sachet.

Après avoir fini de manger, j’ai nettoyé la cuisine alors que Jagger a vidé la dernière goutte de champagne.

— Ravi d’avoir pu discuter avec toi, Alteanne. Navré que mon frère soit un connard. Je ne savais pas qu’il aurait été capable d’aller jusqu’à se faire passer pour moi. Ce mec n’a jamais aimé qu’on le repousse pour quelqu’un d’autre, avoue-t-il en se redressant de la chaise pour partir.

— Ça m’a fait plaisir aussi, Jagger. Je te souhaite une bonne fin de soirée.

— Toi de même, ma jolie.

Cela fait bizarre de revoir ce garçon avec qui j’ai tout partagé sans la moindre exception et il est devenu un beau jeune homme en dix ans.

Quelqu'un tambourine comme un cinglé à la porte au moment où j'allais attraper Rainbow qui cavale dans toutes les pièces du logis avec son bout de saumon frais dans la gueule.

Il a changé d’avis ? Et si c’était mon père ? Il va croire des choses s’il voit Jagger ici…

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