Chapitre 8 : Alteanne

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Aucun nuage ne perturbe la clarté du ciel azuré.

Il y a un mois, Andrew avait contacté le meilleur chirurgien pour soigner ma colonne vertébrale au plus vite et nous avions pris le premier vol en direction de Los Angeles.

Papa ou Andrew ? Bordel, j’ai encore du mal à m’y faire ! pensé-je sérieusement en tapotant doucement mon menton. Mouais… Mon père, je l’ai jugé trop vite !

Il s’inquiète de plus en plus de mon état alors que moi, je suis sereine. Une canicule hivernale se profile en Californie.

Aujourd’hui, on en a profité pour se dégourdir les jambes à la plage. Sous l’astre de Santa Monica Beach et la chaleur avoisinant les trente-et-un degrés, mes yeux sont éblouis par les rayons du soleil. Vêtue de mon bikini et de ma paire de lunettes, je suis allongée sur un transat puis j’installe mon bras sur mon front en ravalant amèrement mon malaise.

C’était une mauvaise idée de sortir après 30 jours de rééducation.

J’ai tellement l’air d’un clown avec ce corset que plusieurs Angelins et touristes se sont arrêtés dans ma direction pour me dévisager de la tête au pied. À cet instant, j’aimerais me transformer en un vulgaire insecte pour éviter de croiser certaines attentions écrasantes.

Sans crier gare, une ombre ronde cache la lumière ardente.

Aussitôt, je darde une œillade sur le côté puis m’aperçois qu’Andrew a finalement pu trouver un parasol.

— Désolé ma chérie, il y avait un embouteillage sur le périphérique.

— Vraiment ? Ce bouchon, ne s’appellerait-il pas Cameron, par hasard ?

Je n’ai pas eu le temps de dire un mot de plus qu’il me jette l’eau froide dans la figure. Je me raidis sur place.

— Oh putain ! Elle est gelée ! Papa, t’es sérieux là ! hurlé-je à pleins poumons.

Il s’esclaffe à plusieurs reprises et décide de venir s’asseoir près de moi pendant que je fulmine à côté de lui, mais dès que ses fesses se posent sur le plastique de la chaise longue, celui-ci descend d’un étage puis crie tellement fort que tout le monde s’est retourné pour voir qui était l’auteur de ce rugissement bestial.

J’essaye de contenir tant bien que mal mon rire qui est sur le point de franchir la commissure de mes lèvres.

— Le karma s’est retourné contre toi !

Un regard courroucé se déploie sur mon beau visage.

— Tu crois que c’est marrant ?

Je hausse un sourcil, désespérée. Il n’a aucun humour ! On peut rigoler à ses blagues pourries, mais au moment où c’est lui qui vit une maladresse, il ne faut pas broncher.

— Plus amusant que quand tu as renversé la boisson glacée sur moi.

— Je vais attendre impatiemment que tu sois rétablie pour me venger !

Cameron revient du stand et m’offre avec gentillesse un cocktail rosé en s’asseyant sur les jambes d’Andrew.

Certaines femmes qui mataient ouvertement Andrew un peu plus tôt se sont retournées mécontentes.

À tous les coups, ces dames pensaient sûrement que mon père était un homme célibataire.

— Cameron, déclare Andrew. On devrait aller à la pharmacie.

— À ce propos, dit-elle, gênée. Je me suis protégée après notre rupture et dans quelques semaines, je dois passer à l’hôpital pour en remettre un.

— D’accord ma chérie, c’est toi qui décides. Je ne te forcerai pas à l’enlever si tu ne veux pas. Pour ce soir, si vous n’avez rien envisagé, j’ai acheté des billets pour aller voir le Superbowl.

Nous acquiesçons de la tête en même temps, heureuses. Cameron et moi, nous aimons les matchs de football américain.

***

La confrontation entre les Cincinnati Bengals et les Los Angeles Rams était imminente. Les Rams ont gagné face aux Bengals 23-20. Andrew était le seul à hurler dans les tribunes « mais cours plus vite imbécile ! Même mon clebs court plus rapidement que toi ! Ah oui, c’est vrai, je n’ai pas de chien ! ».

Comment avoir honte en quelques secondes ? Mon père a la réponse.

En sortant du stade SoFi Stadium, il me tarde de rentrer à la maison secondaire d’Andrew, je sens que mon corps ne tient plus. À tel point que mon enfant intérieur souhaite plonger dans un sommeil d’aplomb et désire que je lui laisse prendre les commandes pour nager dans sa bulle qu’il s’est construite au fil du temps.

Depuis bien trop longtemps, je rêve constamment de sauver des vies.

Suis-je devenue folle en repensant sans cesse à ses images qui sont gravées et ancrées dans ma mémoire ? D’ailleurs, est-ce le chemin que je dois adopter pour ma destinée ?

Les métiers du secours m’attirent énormément, bien que ma mère ait voulu que je suive son parcours. Une hockeyeuse professionnelle et hors pair. C’était la star dans le monde du sport et tous les gens avaient de l’admiration pour elle. Elle gagnait à chaque rencontre avec la technique qu’elle avait mise au point. Personne ne pouvait rivaliser avec elle et personne n’a jamais su faire son tir qui s’appelait le flying black.

Pour moi, le hockey, c’était juste une passion, rien de plus, avant qu’elle ne s’envole définitivement de ma vie.

Assise sur la banquette arrière de la voiture qui s’élance de plus en plus vite sur la route, mes prunelles se figent instantanément sur les notifications de mon téléphone.

Des tonnes d’étudiants d’Harvard me demandent de mes nouvelles et d’autres me soutiennent. Cela me met du baume au cœur de découvrir qu’on ne m’a pas oublié puisque je ne suis plus aux côtés des personnes populaires. Ça serait hypocrite, si je disais que la notoriété va me manquer alors que pas du tout, je suis enjouée d’être auprès de mes vrais amis, ceux qui ne se donnent pas un genre pour se faire bien voir au campus.

Je réponds à certains de mes camarades et ignore le texto de mon ancien colocataire.

Quelle plaie ce mec !

C’est de sa faute et celle de sa copine ! me répété-je intérieurement en serrant la mâchoire.

À cause d’eux, je ne pourrais plus jamais pratiquer des épreuves d’athlétisme qui exigent de gros efforts physiques. Le patinage, c’est à bannir et le seul souvenir que j’ai de ma mère vient de voler en éclats.

— Au fait ma chérie, est-ce vrai que tu aimes les personnes du même sexe ? me demande mon père, choqué. Désolé, je suis encore perturbé quand on m’a affirmé que tu avais eu une relation avec une fille.

Je soupire, irritée.

— Pour être honnête avec toi, je suis hétéro. J’ai juste divagué lors de mon sevrage d’alcool et de drogue puis je ne dirais pas que j’étais en couple avec une meuf, mais j’ai eu des rapports avec elle et ça s’arrête là. C’est pour cela que j’ai quitté la sororité, je n’étais pas calme et cette fille est trop toxique, lui affirmé-je avant de m’endormir dans le bolide.

***

Évidemment le lendemain, je me suis levée en sursaut et me suis ruée au rez-de-chaussée, comme si ma vie en dépendait. Je me suis rapidement préparée quelques pains grillés avec de la pâte à tartiner et du café pour me réveiller.

D’un revers de bras, j’essuie les perles de sueur qui suintent le long de mon front et remarque qu’il est encore assez tôt. Je m’empare de la télécommande et allume la télé en m’affalant difficilement sur la causeuse lactée.

Mon palpitant s’accélère à un rythme effréné et des cris scandent tout bas dans mes pensées.

Depuis mon plus jeune âge, j’ai tendance à faire des cauchemars de noyade. Au début, j’ai cru que c’était réel, mais le médecin m’a certifié que la mort de ma maman me provoque de fortes hallucinations. Il m’a annoncé que mon subconscient m’avertissait de mes craintes et de mes peurs, les plus profondes. Pourtant, j’ai la sensation d’avoir été témoin ou d’avoir déjà vécu une situation pareille. Une étrange impression de déjà-vu.

C’est sûr que si je demande à Andrew, il va encore dissimuler la vérité comme le fait qu’il m’a caché que c’était lui, mon vrai père. Il se faisait passer pour l’ami de Jack, l’homme qui a épousé ma mère, pour pouvoir me voir. Désormais, j’ai du mal à le croire…

Pas de temps à perdre ! J’ai envie d’avoir des explications à ces questions qui me taraudent l’esprit depuis ces dernières années. Ça ne coûte rien de demander.

J’attrape mon portable posé sur l’accoudoir puis compose aussitôt le numéro d’Adam.

Quelques minutes défilent avant que celui-ci ne réponde à mon appel.

—Salut, ma douce, comment vas-tu ? Alors tes séances ont été bénéfiques ? Tu rentres quand, du coup ? me spécule-t-il, inquiet.

— Mollo avec tes questions, je viens de me réveiller ! Et ne t’en fais pas, je me porte très bien ! J’ai encore des douleurs, mais il faut du temps pour que mon corps s’adapte au corset. Je reviens demain soir ou au plus tard mercredi.

Un large sourire arbore sur mes lèvres charnues quand je m’aperçois qu’il a mis le haut-parleur.

— Mon équipe et celle du hockey te passent le bonjour.

Étonnant de leur part ! Je réponds aux garçons et sollicite à mon ami, la chose que je désirais lui demander…

— Adam, je voudrais te dire quelque chose en particulier, mais j’aimerais que tu sois le plus honnête possible avec moi.

— Je t’écoute, ma belle.

Je reprends une bonne inspiration.

— Lorsqu’on vivait à Green Hills, un enfant ne s’était pas noyé dans la mer ou dans une piscine ? Ce passage est revenu me hanter en pleine nuit. Si tu sais quelque chose, dis-le-moi !

Adam souffle bruyamment à travers le combiné avant d’ordonner à ses amis de se taire une bonne fois pour toutes.

— Non, pas à ma connaissance. Peut-être que tes anciens souvenirs veulent refaire surface, mais qu’ils te font montre tes propres frayeurs. Arrête avec ça, tu vas devenir folle à la force !

On dirait que j’ai affaire avec le docteur incompétent qui me prenait pour une dingue.

— Désolé, Alteanne. J’aimerais t’aider, mais le coach m’attend. Prends soin de toi, ma belle, me rétorque-t-il en me raccrochant au nez.

Génial, je me suis fait passer pour une folle !

— Encore avec cette histoire de noyade ? me lance une voix. Ma fille, je croyais que tu avais arrêté avec toutes ses illusions absurdes.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine, je pose ma main sur ce dernier et jette un regard par-dessus de mon épaule. Andrew a écouté ma conversation avec Adam et il n’est pas ravi que je parle encore de cette anecdote qui préoccupe mes nuits.

Je ne vais pas inventer quelque chose qui me semble vrai. Je crois qu’on essaye de me protéger de quelque chose que je ne devrais pas savoir ou bien c’est mon imagination qui se joue des tours.

— Ma chérie, tu ne devrais pas te poser autant de questions. Ce n’est pas de ta faute, si tu as vécu un accident, c’est la vie qui l’a souhaité. Ne te rend pas malade à cause de ton passé mon cœur. Je suis heureux que tu sois là. Car je ne serais plus là si tu ne faisais pas partie de ce monde avec moi.

Je ravale mes propres sanglots.

Mon père s’assoit sur le fauteuil et me prend dans ses bras pour se rassurer que je suis bien là avec lui.

— Papa, j’aimerais juste me remémorer du temps de maman. Je n’ai que très peu de souvenirs avec elle et savoir qui j’étais avant ce drame parce que je ne m’en rappelle pas. Malgré tous les efforts que j’ai fournis.

Andrew se relève et me tend subitement un cadeau qu’il avait caché derrière son dos.

— Tu as raison, il est tant que je t’offre ceci. Tu n’es plus une mioche ! Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère qu’il te plaira.

Andrew me donne une photo de famille.

Sur la pellicule, je vois : Jack, Jayden, ma mère, Andrew, trois autres personnes et moi. Brutalement, j’effleure le cliché et pointe le garçon qui m’enlaçait par-derrière. Il était tellement heureux.

— C’est Adam ? requiers-je à Andrew qui secoue négativement la tête.

Je viens de comprendre…

Eh bien, je préfère le regarder en photo plutôt que de voir ce type froid et arrogant qu’il est devenu. Alors je le connaissais bien avant son arrivée à Cambridge…

Bordel de merde ! Fais chier, je ne me rappelle plus de rien !

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