Le refuge 1/2

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Le retour est amer. Je m’installe sur le banc de la station de bus tout en veillant à bien rabattre ma casquette. Mes pensées sont tournées vers mon bel inconnu, il me tarde déjà de le revoir, mais quand ?

Une ombre me recouvre. Haussant le menton, je découvre Marjorie m’examiner de son regard glacial. Elle veut paraître dure, mais je la sens soulagée. J'abaisse mon écharpe et lui tire la langue. Elle m'écrase le pied en représailles, tant pour ma grimace que pour la journée infernale que je lui ai fait vivre.

Le bus arrive. Nous badgeons avant de prendre place sur un double-siège. Le trajet se fait en silence. Si elle croit que son mutisme va me faire culpabiliser, elle se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude !

Le soleil achève sa course. À travers la vitre, j'admire la ville se voiler de sa cape de lumière. J'ai toujours aimé cet instant, lorsque les églises et autres monuments se parent de leurs atouts lumineux.

Une fois sorties du bus, nous marchons une dizaine de minutes avant d'arriver à la résidence des Mille-portes. Grimace aux lèvres, j'inspecte les appartements de l’autre côté de la rue. Ils sont tous réservés par nos fans les plus acharnés ainsi que des paparazzi. Aucun d’eux ne squatte à l’entrée,

C’est déjà ça.

Nous pénétrons le parc des Mille-portes. Marjorie referme le portail renforcé de lourds barreaux de fer. Le bruit métallique me donne des frissons. Des aboiements résonnent. Sur notre droite apparaît le vieux gardien Hubert accompagné d’un molosse fermement tenu en laisse. Je demande silencieusement à la grande brune de me libérer.

  • Va donc.
  • Merci, maman, répliqué-je d'un ton piquant.
  • Tu sais que ça ne ne me plaît pas non plus.

D’un réflexe de grande sœur, elle essaye de me prendre dans ses bras, mais je m’esquive adroitement et m’en vais droit vers la maison du groupe au traître surnom de refuge. Enfin, il l’était avant que le succès nous emporte.

Je pousse le lourd battant de bois et arrive dans le hall d’entrée. Comme d'habitude, l'agitation règne. L’une de nos musiques secoue les murs. Des cris proviennent du salon.

Je me défais de mon manteau et de mon écharpe. Jouant machinalement avec l'une de mes mèches bleutées, je pénètre le salon bien différent de celui de mon bel inconnu. De larges et coûteux canapés ceignent une table basse stylisée tandis que des affiches de nos tournées fièrement aux murs. Des bornes d'arcades, des bibliothèques et une colossale pile de jeux bordélifient tout l'espace excepté la moitié gauche de la pièce. Nos instruments de musique y trônent fièrement.

Actuellement à la batterie est en train de se déchaîner le plus jeune de la bande. Un sourire m'échappe alors que je me dirige vers lui en calant mes pas sur le rythme des fûts frappés avec hargne.

Je dois hurler pour me faire entendre.

  • Hey, Daniel ! Garde cette fougue pour demain soir et tu deviendras une légende !

Les baguettes prêtes à rompre s'arrêtent net. Le rouquin se redresse et pousse un cri de joie en me voyant. Du coin de l'oeil j'avise un second garçon s'extirpant laborieusement de l'un des canapés.

  • Tiens tiens, notre ange des ténèbres nous fait grâce de sa présence.

Romain me dévisage de son habituel regard provocateur. J'amorce une réponse cinglante, quand Daniel récupère mon attention en essayant de me sauter dessus. J'esquive adroitement et lui claque l'arrière de la tête sur un rire franc tandis qu'il râle comme un belge sobre.

  • Ne commencez pas ! Nous étions super inquiets ! Pourquoi tu n'as pas répondu à nos messages ?
  • J'étais prise.
  • Dis plutôt que tu voulais te barrer. T’es pas capable de gérer la pression, me titille Romain.
  • Oh ferme-la ! réplique Daniel.

Je m'éloigne de notre batteur. D'un regard noir, je lui précise que je sais me défendre. Ça ne lui plaît pas et il écarte les bras en signe de vexation.

  • Il t'as manqué de respect !
  • Je lui cause comme je veux, note l’intéressé en retournant à son téléphone.
  • T’es mignon, Daniel. Trop pour notre groupe de sauvages, tenté-je en offrande de paix.
  • Ce n’est que l’une de mes facettes. Tu sais bien que je suis un vrai démon !

Il mime une paire de cornes à l’aide de ses doigts et charge dans ma direction. Sans hésiter, j'entre dans son jeu et mime de dégainer une épée divine. Il préfère battre en retraite, non sans cracher de solides insultes.

La musique m'échauffe. Je monte le son et commence à chanter. Daniel m'accompagne à sa fidèle batterie. Je clame l'épopée d'un archange chassé du paradis. L'âpreté de son voyage sur Terre où il pourchasse les démons pour apaiser sa colère, lui qui espère sans y croire au Pardon divin.

Daniel m'encourage d'un cri et accélère le tempo. Ses frappes cognent durement dans ma poitrine à l'écho de la douleur perçant ma voix. Je m'imagine à la place de l'ange déchu. Sa douleur, sa rage, je les ressens comme si elles étaient miennes !

Nous faisons un raffut du diable. Le reste du groupe ne tarde pas à nous rejoindre. Daniel et moi sommes en transe et ne les remarquons qu'après avoir terminé le morceau. Nous échangeons un regard complice avant que je ne salue les nouveaux arrivants.

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