Départ

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Le repas est fin prêt. Moi qui rêvais de flemmarder, me voilà aux fourneaux. Précis dans mes gestes, je m’assure avec une rare précision que mes deux parts de quiche soient parfaitement cuites. Lorsque je les sors du four, je veille à les poser avec style sur mes plus belles assiettes, le fameux héritage familial qu’on ne sort que pour les grands évènements. J’accompagne de salade, bricole une vinaigrette à la sauvage et, grand luxe, sors les cuillers pour un potentiel dessert.

Du bruit provient de ma chambre, la seconde d’après apparaît mon invitée la bave aux lèvres. Elle se jette sur la nourriture qu’elle attaque sans cérémonie. Plus réservé, je prends place face à elle et l’observe en grignotant une feuille de salade. Son attitude laisse croire à une jeune femme accroc à la vie, cependant, son regard obstinément tourné vers le bas trahit une douleur difficile à cacher.

Elle lève enfin les yeux, lorgnant mon assiette. Je soupire et la pousse du bout du doigt en buvant une gorgée d’eau. Elle semble prendre état de son air de sauvageonne, car elle s’essuie la bouche avec sa manche et mange le reste de ma part avec un peu plus de retenue. Je note mon plaid sur son dos, s’en m’en formaliser.

  • Tu es végétarien ou quelque chose de ce genre ? demande-t-elle en léchant les traces de vinaigrette.
  • Non, mais je fais attention à mon alimentation, moins de viande, plus de légumes, conso locale, tout ça tout ça.

Je lui arrache l’assiette des mains, non sans la juger. Elle s’en contrefiche et attrape la cuiller dans l’espoir de voir apparaître un dessert. Comment résister à sa tête de chien battu ? Un haussement du regard et une porte de frigo plus tard, elle savoure ma compote-maison rehaussée de vanille. J'en profite pour remplir le lave-vaisselle.

L'ambiance est légère. Je m'adosse à mon plan de travail et capte son regard bien plus assuré que sur le pas de ma porte. Je la préfère ainsi. On se fixe, elle me détaille de haut en bas. De nouveau ce besoin de m'étudier, d'ailleurs, je me demande,

  • Qu'as-tu pensé de ta petite visite, ma grande ?
  • J'en dis, mon grand, que tu t'es fait un nid douillet que je te suspecte de rarement quitter.
  • Mmh, pas faux, admets-je.
  • Je l'aime bien. Tu ne vas pas m'en virer, hein ?

La peur revient au grand galop.

  • Laisse-moi y réfléchir, princesse.
  • Ne m'appelle pas comme ça, ce n’est pas mon style ! gronde-t'elle en jouant avec ses mèches bleutées.
  • Pardonnez votre humble serviteur, Dark Princess.

Je me veux moqueur, pourtant elle hoche la tête, satisfaite.

  • Là, je suis d’accord.
  • Sinon, le plus simple serait de me dire qui tu es ? Que je mette un nom sur la tempête qui vide mes réserves et vole mes affaires.

Attentif, j’attends sa réaction. Elle inspire, visiblement parler d’elle ne lui plaît pas. Avec lenteur, elle prend son téléphone et y pianote avant de me le tendre. Je m’en saisis, curieux. C’est un clip musical au rythme endiablé, du rock ou quelque chose qui s’en approche. L’image file à toute allure, mais j’arrive à identifier cinq musiciens, dont la chanteuse n’est autre que mon invitée mystère.

  • Ça a du peps.

Concentré sur la vidéo, je remarque trop tard qu’elle s’est rhabillée et s’apprête à partir. Le téléphone m’est arraché des mains.

  • Putain ça ouais ! Le pays entier trouve aussi, il n’y a que toi pour l’ignorer, c’en est presque insultant. En punition, je m’en vais.

S’en aller ? Elle s'enfuit je dirais. Elle s’écrase contre ma porte, j’avais fermé à clé. Elle rit, gênée, et se retire alors que je déverrouille avec tranquillité la serrure.

  • Qui s’enferme chez lui ? T’es vraiment bizarre !
  • N’hésite pas à revenir.

Je n’aime pas tourner autour du pot, et j’ai envie de la revoir. Elle est estomaquée, si tant que je dois gentiment la pousser dehors. Ses joues se colorent d’un beau rouge alors qu’elle s’éloigne à reculons. Nous gravons le visage de l’autre dans notre esprit… Dieu qu’elle est belle. Je crois bien que je me mets également à rougir, car sa figure se fend d’un sourire victorieux. Je dois lui inspirer un peu de pitié, car elle dévoile un morceau de sa cape d’ombre.

  • Elise, je m’appelle Elise. Puisque tu es visiblement le seul dans cette foutue ville à l’ignorer.

Avant que je ne puisse réagir, elle disparaît dans l’escalier. Je referme ma porte, des étoiles plein les yeux et un doux nom aux lèvres.

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