Exploration

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Je fuis l’extérieur et me réfugie chez le garçon. Il ferme doucement la porte alors que je m’aventure chez lui avec une confiance que je croyais disparue. Ici, pas de rideaux tirés, de sonneries incessantes ou de fan hystérique entré par je ne sais quelle faille dans le dispositif de sécurité. Non, je ne vois qu’une vie exposée à l’état brut. Du bazar un peu partout, des drapeaux accrochés au mur venant des quatre coins de l’Europe, ou encore un nombre impressionnant de livres et de bandes dessinées alignés dans une batterie de bibliothèques Ikea fraîchement montées.

Après m’être défait de mon lourd manteau que je pose sur le dossier d’une chaise, j'explore. Je me sens libre ! Le rire me gagne, d’abord discret, puis de plus en plus fort. Je m'essaye à quelques pas de danse dans ce minuscule salon incapable de rivaliser ne serait-ce qu’avec ma salle de bain. Ça sent bon la nourriture et la lavande, je vais m'asseoir sur un haut tabouret contre un bar à l’américaine et tourne sur moi-même, heureuse de cette simplicité. Je me sens dans un cocon, à l’abri.

Je réalise tardivement que le maître des lieux m’observe tout en fouillant les poches de mon manteau.

  • Te gêne surtout pas, m'offusqué-je.
  • Ça, ça dégage, dit-il en jetant mon paquet de clopes dans la poubelle.

Mes cheveux volent tandis que je bondis pour récupérer mon bien. Il dérobe la poubelle qu’il place dans son dos. Nos visages se retrouvent presque collés alors que je lui adresse mon regard le plus méchant. Il se marre et s’éloigne d’un pas tranquille vers la cuisine.

  • Tu as faim ? J’allais manger de toute manière.

Ces trois mots magiques font me rasseoir, attentive. Ses gestes sont sûrs. Il sort couverts et Tupperware, ce soir c’est quiche au fromage et salade. Pas cool, j’aurais préféré qu’il commande un kebab, mon estomac crie famine après une journée à arpenter de long en large les rues animées de la ville. Il note ma mine contrariée, qu’il choisit d’ignorer en préparant deux assiettes. Dépitée, je lui vole cependant un cookie. Il tique, visiblement, ça lui déplaît. J’en prends un second que j’avale tout aussi sec. Na ! Mon menton s’appuie sur mes poings fermés, je le détaille avec la coupable envie de tout savoir sur lui. Et après je critique mes fans…

  • Merci encore pour ton accueil. Ça compte beaucoup pour moi.

Il hausse des épaules comme si ce n’était pas grand-chose. Il ignore dans quoi je suis en train de l’embarquer et cela n’a pas l’air de plus l’inquiéter que la cuisson de sa quiche. Un tel flegme me fascine. Je ne le quitte pas des yeux. Lui-même fait en sorte de souvent revenir à moi.

Me sentant prête, je lance d’une petite voix,

  • Tu me rends mes clopes maintenant ?
  • Non.
  • S’il te plaît ?
  • C’est pour ça que tu es si sage tout à coup ?

Raté. Je lui tire la langue et saute de mon tabouret pour repartir en exploration, non sans lui voler un autre cookie.

  • Mes réserves ne sont pas infinies ! grogne-t-il en me traitant de morfale.

Je retiens l’insulte pour plus tard et me mets à flâner d’un meuble à l’autre. J’ouvre un tiroir, trouve un passeport, des clés, de la peinture et un fatras de pièces de monnaie. Sur la table basse traînent des figurines à peindre et un ordinateur pour lequel une BD lui sert de tapis de souris. De larges fenêtres donnent sur un parc qui se perd dans la pénombre du soir. J’apprécie les fins rideaux qui empêchent les regards indiscrets. Pensive, je frôle des doigts l’un des nombreux drapeaux qui recouvrent les murs blancs.

  • Tu dois aimer voyager !
  • Yep. Ils me rappellent de bons souvenirs.

Son visage se fend d’un sourire songeur.

  • C’est quoi lui déjà ? L’aigle me dit quelque chose.
  • L'Autriche.
  • Et celui-là, avec cette grosse main rouge ?
  • L’Ulster, une région d'Irlande.
  • Mmmh… c’est moche, constaté-je en me demandant comment il peut afficher ce truc chez lui.
  • Ignare va.
  • Et lui ?
  • Tu le fais exprès ?!

Je pouffe de rire en lâchant notre superbe drapeau tricolore puis poursuis l’exploration. Je quitte le salon et m’avance dans le couloir. Je pénètre dans sa salle de bain, sans baignoire, sans couleur, terriblement barbante. Erf. J’ouvre un placard, constate l’absence de parfum, de toute crème, même pas un simple déodorant. Pour moi, c’est la pièce la plus importante d’une maison ! Là, avec les médicaments posés sur le lavabo, on se croirait dans une chambre d'hôpital.

Je fuis les lieux et entre dans la pièce d’à côté, tout de suite plus intéressante vu que se révèle à ma curiosité sa chambre. Je frissonne, il a ouvert la fenêtre pour aérer, ou en prévision de mon arrivée, juste pour m’emmerder, qui sait. Pas grand chose ici non plus. Un lit fait, pas d’affaires qui traînent au sol, peu de détails en fait, si ce n’est un drapeau brodé des léopards normands exposé au mur.

D’une oreille, je l’entends poursuivre sa cuisine en mettant de la musique, un fond sonore sans paroles, quelque chose de bien pourri qui me fait grimacer. Il va falloir que je remédie à ses lacunes, mais dans l’immédiat, j’ai faim et ne veux donc pas le déranger.

Allant fermer la fenêtre, je me laisse chuter sur le matelas et remonte le plaid au pied du lit jusqu’à ma taille. La chaleur revient graduellement.

Une bosse dans ma poche me rappelle l’instrument de torture. Je pousse un long soupir, tâche de calmer la sourde colère qui m’étreint le cœur depuis trop longtemps et rallume le téléphone.

Un milliard de notifications me sautent à la figure. J’ignore consciencieusement les appels de mon manager ainsi que les messages de mon groupe. Même ma coiffeuse a été réquisitionnée pour essayer de me ramener à ma cage ! Après un instant de réflexion, j’ouvre un fil de discussion avec la seule qui ne m’est pas harcelée de messages.

{Moi}
Slt Marj.
Dsl de t’avoir fait faux bond au studio.
Je vais bien, je rentre tout à l’heure.
Ne m'en veux pas stp.

Téléphone posé sur ma poitrine, j’attends la réponse de ma garde du corps. Quelle ironie que ce soit celle dont le job consiste à me surveiller qui compatisse le plus à ma situation. La connaissant, elle doit tenir son mobile entre ses doigts serrés depuis des heures en arpentant tous les anciens coins où j’aimais traîner. Je le sais, car elle a failli m’attraper au Bar’A’Tin. Accoudée au mur face à l’entrée, elle surveillait les passants de son regard noir. Brrr. Elle peut être terrifiante quand elle le veut.

Le portable vibre.

{Jojo}
Relax, Elise.
J’ai eu toute la journée pour étouffer ma fureur.
Te savoir en vie me suffit.
Où es-tu ?
Je viens te chercher.

{Moi}
Tkt j’ai pris une carte de transport.
Je rentre direct au repère avant la nuit.

{Jojo}
Tu crois que je vais m’en contenter ???
Si je suis virée à cause de toi, tous les APR du monde ne pourront te protéger de mes foudres vengeresses !

{Moi}
OK calme, Marjorie.
RDV à l’arrêt Christopher Judge à 19h.

{Jojo}
Tu as intérêt à savourer un max ton escapade.
Ce petit coup ne marchera pas deux fois.

Le téléphone manque de voler. Je me force au calme et le range. Il me faut un moment pour stopper mes tremblements. Je dois suivre le conseil de Marj et profiter de ce bref vol loin de ma cage. Le plaid remonté jusqu’au nez, j’inspire à pleins poumons l'odeur du garçon, puis déploie brusquement mes ailes.

Je cours rejoindre mon bel inconnu.

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