L'inconnu et la connue

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C’est la mi-octobre. Dehors, la lueur décroît rapidement, plongeant mon petit appartement dans la pénombre. L’ambiance est lugubre et donne un avant-goût d’Halloween. C’est ma faute, je rentre trop tard pour espérer pouvoir profiter du soleil ailleurs qu’au travail. Un grognement m’échappe alors que je me cogne le pied contre un coin de meuble. Flemme d’allumer la lumière.

Chaussettes jetées sur le tapis, je me laisse choir sur mon vieux canapé, un cookie entre les dents et une musique lancée au hasard sur le téléphone. Les journées sont longues et s’enchaînent sans pitié. Tant pis pour la vaisselle qui traîne dans le lavabo. Au diable le bac de linge à repasser. Il me faut un instant de calme. Vive la procrastination !

Après une poignée de minutes, un léger bruit me sort de ma léthargie. À demi redressé, je tends l’oreille et capte un discret toquement à la porte d’entrée. Peut-être le voisin qui vient (encore) m’emprunter un paquet de pâtes ou une brique de lait.

Gros soupir.

Trop gentil pour faire le mort, je me relève et vais ouvrir, un sourire fatigué aux lèvres.

Tiens ? Ce n’est pas Robert, discret retraité habituellement accompagné de Simba, son énorme labrador. Devant moi se tient un inconnu, tête baissée, mains fourrées dans les poches d'un épais manteau et large casquette des Yankees portée sous une capuche noire rabattue. Une femme au vu de sa silhouette élancée. Elle sautille sur place, signe de malaise. Je tente un salut décontracté.

  • Euh, yo ?

Tant pis pour la classe. Je me décide enfin à allumer la lumière et attends avec une légère pointe d’impatience qu’elle se décide à aligner trois mots ; “ bonjour, mauvaise porte. "

Elle prend une grande inspiration pour se donner du courage, puis retire casquette et cagoule. Se dévoile alors une foisonnante chevelure noire aux pointes colorées d’un bleu-électrique encadrant un visage fin maquillé des cils aux lèvres. Des tatouages apparaissent à la base du cou et des épaules tandis qu’elle me dévisage d'un regard gris-acier où perce une pointe d'inquiétude.

  • Vous ne me reconnaissez pas ? demande-t-elle, hésitante.
  • Je devrais ?

Brusque panique. En catastrophe je me repasse les personnes croisées ces derniers jours, mais elle ne me dit rien. Pourtant, ma réponse semble la rassurer. Ses épaules se relâchent, son souffle se libère. On se fixe l'un l'autre en silence. Bien que la trouvant bizarre, je ne ressens pas de danger et me laisse tenter par la curiosité.

Appuyé contre le battant de porte, je m’apprête à la questionner, mais elle me prend de vitesse.

  • On était dans le tramway. J’ai trébuché, vous m’avez rattrapée, nos regards se sont croisés.
  • Et ?
  • Et rien.

Le silence revient. Elle me sourit en penchant la tête sur le côté. L’absurdité de la situation me fait rire. Le rouge lui monte aux joues.

  • C-c’est pas une technique de drague !
  • Dommage, ça aurait égayé ma journée.

Elle cache son visage cramoisi derrière ses cheveux à l'aide de ses mains aux ongles noirs. Je la trouve adorable. Qu’est-ce qui m’arrive ? Les mots sortent avec une rare fluidité. Moi qui préfère observer que converser, j’ai une soudaine envie de parler avec elle pendant des heures.

Soudain, des aboiements retentissent dans la cage d’escalier. Robert et Simba rentrent de leur balade. La belle sursaute, son regard oscille entre le couloir et ma porte, elle se mord la lèvre et se décide enfin à lâcher le morceau.

  • Partout où je vais, on me reconnaît, on ne me lâche pas. Tout le monde joue faux jeu pour me pomper un peu de ma popularité à son avantage. Je me sens enfermée dans une bulle de verre, à nue au regard de tous. Ce matin, j’ai craqué. J’ai semé ma garde du corps, je me suis enfuie dans la ville. Quand nos chemins se sont heurtés, j'ai eu peur d'être reconnue, mais rien. V-.. tu es le premier depuis des semaines avec qui je me sens libre d'être moi, simplement moi.

Elle fait un pas en avant, baissant d'un ton, tellement que je dois tendre l'oreille pour l'entendre.

  • Je ne veux pas être vue…

Le plus discret des appels à l'aide.

J’hésite.

Tss. Arrête tes conneries, qu'est-ce que tu as de mieux à faire, étendre le linge ?

Lentement, je me place de côté. Elle ne se fait pas prier et entre, tête basse et un merci murmuré. Un frisson me secoue tandis que je referme la porte en saluant mon voisin apparaissant dans le couloir.

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