La grotte de Générosa

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Générosa, restait fixée sur le sol tendre de la grotte exposée plein sud. De la vallée monumentale, elle contemplait son intériorité intemporelle. Agapatou avançait lentement, décrivant la courbe hésitante des approches prudentes.

— Entre ma fille. Je t'ai vu venir. Depuis deux jours, je surveille ta marche courageuse. Approche un peu, que je te sente.

Les mains de Générosa effleurèrent Agapatou.

— Accepte l'eau.



— Accorde-toi le repos.



— Déshabille-toi à présent.

Une fois nue, elle plaça la jeune femme devant l'entrée de la grotte, face au soleil.

— Reste ainsi, ferme les yeux, laisse-toi imprégner de sa chaleur.

Agapatou bras en croix, accueillit les rayons chauds, pénétrants. Générosa découvrit le corps noir émouvant. Elle lui passa une pâte épaisse à base de terre argileuse, sentant fort le rance, colorant sa peau d'un ocre ambré. Générosa installa une natte sur le sol.

— Bois cette décoction. Allonge-toi sur le dos, je vais te masser.

Ainsi étendue, elle sentit les pieds de Générosa fouler chaque partie de son anatomie, hormis la tête.

— À présent, tourne-toi sur le ventre, je vais achever de te relaxer.

Elle s'équilibra debout sur Agapatou, les pieds masseurs, de tout son poids.

Agapatou s'endormit.



***



La respiration calmée, elle retrouva son sommeil et fut propulsée sur la montagne enneigée.

— Que veux-tu Agapatou ? lui demanda une voix indistincte. Elle chercha d'où pouvait provenir le ton interrogateur de son invisible interlocuteur. Contre son épaule gelée, un aigle géant déchiquetait les entrailles d’Agapatou. Sa main gauche gisait entre les serres d'un aiglon acharné, déjà occupé à ingurgiter les doigts ensanglantés.

— Merci aigle de m'accorder la première place à ton festin. Puis-je te demander une faveur avant d'achever ton repas ?

— Parle, pitoyable humain ?

— Une heure de ton temps. Je veux survoler le monde. Une heure de ton temps. Je veux que tu m'emportes haut, très haut dans le ciel.

— Lorsque je t'aurai avalé, tu voleras autant que moi, demande autre chose.

— Je veux être sur ton dos majestueux et voir le soleil de près.

— Ton souhait sera exaucé dans une autre vie.

L'aigle dévora Agapatou, recracha un os pointu, lissa ses plumes, bouscula son petit contre le rocher, et prit son envol. La neige poudreuse recouvrit l'aire du rapace. Trois mille mètres plus bas, la vallée encore dans l'ombre, se prolongeait dans le calme profond des abîmes silencieux.

Arrivé à l'entrée de la grotte, l'aigle se posa sur un murmure d'elle.

— L'as-tu rencontré ? Demanda Générosa.

— Je suis en lui.

— Ainsi te voilà délivré du poids de ta vie. Une nouvelle époque commence pour toi. Adieu.

— Je reviendrai.

— Pars et reviens-moi, me délivrer à mon tour.

L'aigle s'envola, paisible, porteur des désirs connus d’Agapatou.



***



Agapatou se réveilla en nage. Générosa était assise en tailleur à côté de la jeune femme, semblant attendre ses paroles. Les mains posées contre ses tempes en sueur, elle la calma avec un chant profond, psalmodié sur un ton monocorde.



***



Le second rêve troubla son esprit vagabond. Enfermée dans une cellule de béton, Agapatou flottait dans l'océan en compagnie des méduses graciles.

— Tu as bien fait de choisir cette embarcation. Tes grilles te protégeront du requin affamé.

— À choisir, j'aurai préféré une flottille légèrement mieux agencée.

— Contente-toi de ce que tu as, d'en trouver les avantages avant d'imaginer autres facéties irréalisables.

— Je ne me contente de rien du tout. Vos forces rassemblées pourraient venir à bout de ce verrou ? Tenterez-vous de m'aider ?

— Soit. Place-toi au fond de ta prison ! Nous allons en desceller les gonds.

La grille entrouverte permit à Agapatou de s'évader. Ainsi libérée, elle put poursuivre son voyage sur le toit de sa cellule. Une bande de requins plus tard, Agapatou fut happée par le plus leste d'entre eux.



***



Agapatou se réveilla. Générosa barrait l'entrée de la grotte. Elle lui dit :

— Pourquoi cherches-tu à fuir ?

— Je marche, je passe, je me dépasse pour découvrir le monde.

— De mon trou, j'ai connu plus de paysages que tu ne pourras jamais découvrir, rencontré plus de personnages sur mon chemin que ceux qui croiseront ta route.

Ne va pas chercher si loin ce qui est très près de toi, ce que tu possèdes en toi.

L'écoute reste une sage posture, lorsque tu sais que tu ne sais rien. Veux-tu m'accompagner ?

— Il me manque les horizons nouveaux. J'ai besoin de la chaleur, du froid, de l'humide et du sec en même temps.

— À toi de savoir si tu veux retrouver ce que tu désires ou si tu désires retrouver ce que tu veux. Je ne te retiens pas. Nos chemins s'éloignent vers d'autres destinations.

Agapatou s'habilla, reprit son courage, emballuchonna réflexions et énergie nouvelle, quitta le lieu, le personnage après maints remerciements.






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