Gaucho et rochers au plein air

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Coriéga disait que le gaucho était un animal de grand air. Par tous les temps, il vivait dehors et couchait sur son recado, à la fois selle et lit. Le cheval était l'accessoire obligé. Tel le cow-boy, il lui était indispensable, car il était toujours au contact de sa selle, jour et nuit.

Avec sa bride et sa selle, le gaucho était quelqu'un, une personne sinon respectable du moins étiquetée. S'il ne les avait plus, ce n'était plus un homme. Aimant le jeu, la boisson, la querelle, la mort ne l'effrayait pas.

La vie humaine ne vaut pas grand-chose.

Qu'importe, disaient-ils en haussant les épaules quand on les informait de la mort d'un de leurs camarades : il y a tant de beaux chevaux qui meurent ! Touchés par la grâce de l'absurde, ces passagers du temps chahutaient les fondements de l'être et du non-être.

Dans la pampa, ils y chassaient le bétail sauvage. La bête était tuée, dépouillée. Elle pourrissait et empestait sur place. Chaque homme tuait sa vache par repas, en mangeait un quartier et laissait pourrir le reste. Les hommes avec lesquels travaillait Yoshitérù ressemblaient à des demi-sauvages. Vêtus de cuir grossier, ils endossaient le costume des monstres d'inhumanité. La vie n'avait pas plus de valeur que celle des animaux. Ils tuaient pour ne pas être tués, pour se nourrir, pour le plaisir. Les charognards accompagnaient les équipages de gaucho trouvant de quoi se repaître grassement des carcasses abandonnées.

Cavaliers infatigables ils vivaient dispersés, habitaient des huttes de clayonnage et de terre construites par leurs prédécesseurs indiens ou non. Pas de porte. Pas de fenêtre. Coriéga racontait cela le soir autour d'un feu, en consommant sa plante sauvage. Réduite en poudre, la yerba mate infusait longtemps dans l'eau chaude. À l'aide d'une bombilla, ils aspiraient à tour de rôle le plaisir du moment de repos.

La nuit se couvrait des bruits suspects. Là-bas, c'était la veuve folle toute de noire plumée qui poussait de longs cris mélancoliques, répondant à l'éclat de rire aigu et hystérique du sorcier.

Un jour Coriéga initia Yoshitérù à la chasse au nandou avec les bolas. La bête pourchassée eut le temps d'apprécier sa liberté dès l'instant où l'arme menaçante de l'apprenti chasseur empêtra les sabots du propre cheval de Yoshitérù stoppé net. Tomber de haut était une discipline quotidienne du métier de vacher. Certains la pratiquaient plus souvent que d'autres. Coriéga ébruita sa moquerie à qui voulait bien rire avec lui.

C'était dans la pulperia de Pépino qu'il trouvait le meilleur public autour de sa fameuse eau-de-vie. La bagarre était une discipline respectable qui ne les empêchait pas parfois de dégainer le grand coutelas ouvragé par son ami Chico.

***

Contre la cabane, trois gros rochers maintenaient un pilier de soupente affaissée. Assis, sur l'un d'eux, Yoshitérù pensait retrouver la force de repartir plus loin.

— Crois-tu vraiment nécessaire ta quête, visant une improbable destinée ? lui demanda un rocher.

— Est-ce bien à toi, cailloux, de me conseiller sur ce que tu ne connaîtras jamais ?

— Je ne suis que pierre. Je ne suis qu'un roc de granit à la pesante existence des monstres froids. Je n'ai de certitudes, que celles dont on veut bien me priver. Bloqué ici, j'entends les plaintes et les souhaits des passagers du temps. Avant qu'ils ne me construisent cette vilaine cahute sur la tête, je voyais le soleil, je scrutais les nuages transporteurs d'images des lointaines contrées, j'attendais la pluie. À présent, mes journées sont synonymes de protection me privant de la liberté de voyager. M'aideras-tu ?

— Si je peux rendre service, je me mets à ta disposition.

— Alors, arrache-moi cette toiture, redonne-moi la vie. Mon inutilité déguisée ressemble à un carcan. Sous couvert d'une position confortable réduite à la fonction massive et solide de mon anatomie, l'homme me prive de cette liberté d'être, sans entrave.

— Serais-tu rocher volant ?

— Non, pas. Bien ancré en terre, j'ai pourtant besoin d'air libre, de vent frais ou chaud. Me manque la pluie, patiner mon grain, le gel, crevasser ma peau nue.

Yoshitérù fixa la corde à son cheval de bât, plus robuste. Sans tirer fort, celui-ci parvint à arracher le poteau défaillant, entraînant dans sa chute, l'ensemble de l'ouvrage charpenté. Le rocher en fut quitte pour une éclisse, cicatrice vivante gravant de joie son espace originel retrouvé.

Yoshitérù compta les jours longs, succédant aux incertitudes ennuyeuses. Refusant cet arrêt d'existence il décida :

— Je veux partir aujourd'hui.

***

C'est de poussière dont il s'agit. De cette poussière qui fuse du sol. Celle qui s'élève sous le vent cinglant et pénètre entre les vêtements. Celle qui donna à Fante l'occasion de mordre la vie.

Au loin, c'est le temple des nuages hauts, clairsemés sur fond de ciel limpide.

Soleil brûlant.

Feu du sable dans les yeux

Donnant à la sueur,

L'acidité aiguë des vieux vins oubliés,

Non bus.


Soleil caché.

Attrait inexorable

Donnant à la marche

L'acuité viscérale d'un nectar à retrouver.

Son but



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