Angkobora

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Pour atteindre l'autre rive du fleuve Absolutis, Yoshitérù décida de profiter de la traversée du troupeau de Thimbarou le vacher. Celui-ci, à cheval sur une bille de bois creuse, à l'aide de ses Tibili, tibili plouf, invitait les meneuses cornues à entrer dans l'eau trouble. Le reste du bétail suivait en confiance les anciennes bêtes déjà en train de nager, la tête cherchant l'air avec peine. Yoshitérù choisit un taureau possédant une belle paire de cornes, à laquelle il put s'accrocher le temps de l'épreuve. Les bêtes se ruèrent à la poursuite de Thimbarou le vacher, soucieux de rejoindre au plus vite les hauts plateaux et leurs promesses de verdure avant la fin de matinée.


***


La seconde partie de la ville d'Angkobora jouissait d'une ambiance survoltée. Les rues interminables avaient des tracés compliqués. Yoshitérù quitta une zone brouillonne, profusion de cases, de cabanes, de bungalows construits pêle-mêle à la va comme j'te pousse les uns à côté des autres, tantôt séparés par d'étroits corridors insalubres, tantôt agencés de part et d'autre d'un semblant de rues disproportionnées, permettant aux autobus et gros poids lourds de circuler plus facilement.

Éprouvant peu d'intérêt pour l'endroit, Yoshitérù gagna le port. Les camions, acculés aux entrepôts géants, attendaient leur chargement. Entremêlés d'histoires de circulation bloquée, de pieds écrasés, de conducteurs imprudents au milieu des cyclistes à sonnettes, les crieurs de commerçants scandaient les qualités de leurs marchandises. Bousculé, chahuté, Yoshitérù se heurtait au chaland, bloquait les stressés nerveux, errait sans but, n'imaginant pouvoir se sortir de ce bourbier fourmillant. Entre dithyrambes pompeux et insultes glaireuses, sur fond de musique hurlante diffusée dans les bars grands ouverts, les courses des enfants se faufilaient, joyeuses, pour être stoppées net, devant les femmes qui invectivaient les pickpockets.



Les travailleurs maigrichons espéraient se faire embaucher pour décharger les cargos. En file indienne, les engagés portaient sur la tête, protégée par des linges, des sacs de riz, des sacs de poudre de lait, des sacs de chaux, des sacs de ciment, des sacs de céréales, des sacs de sacs, des sacs lourds, des sacs d'effort, des sacs toute la journée, des sacs pleins de poussière, des sacs remplis de cris et hurlements, des sacs gonflés par la sueur des travailleurs du port. À son tour, Yoshitérù se chargea de sacs d'arachides, une seule fois, malheureuse, sur la tête, les autres suivantes, sur l'épaule. Sa file à lui s'engouffrait dans le ventre d'un navire aussi haut qu'un immeuble, en suivant le chemin étroit de passerelles aux marches instables.

Une cloche sonna. Les travailleurs s'attablèrent devant la porte d'une bukka, et dévorèrent le contenu pâteux de leur plateau-gamelle, trop vite mastiqué.

S'adressant à son voisin :

— Depuis quand fais-tu ce travail ?

— Depuis toujours, répondit-il en se léchant les doigts.

— En une matinée, je suis déjà crevé.

L'homme, aux dents absentes, afficha son franc sourire comme d'autres te serrent entre leurs bras réconfortants.

Yoshitérù, discipliné, au second coup de sifflet, reprit le rang, sous une chaleur écrasante.



Trois semaines complètes de travail éreintant comblèrent les cales volumineuses. Avec en poche sa maigre paye, Yoshitérù regagna sa couche improvisée sur le bateau, bien à l'abri des regards, pour s'y endormir profondément.

Évasion délivrance, l'océan préparait au grand départ.



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