Rencontre

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Le marché des féticheurs de la ville d'Angkobora s'étendait sous des hangars aux toits de tôle. Il y régnait une odeur de chair pourrie. Emportée par sa curiosité naturelle, Agapatou s'arrêta devant leurs étals d'aspect répugnant.

Le premier vendeur somnolait, au-dessus de ses sacs en toile de jute. Il avait disposé par couleur, des poudres fines ou grossièrement concassées, des écorces d'arbres, des herbes sèches. Son voisin vendait des statuettes, des gris-gris petits. Sur le sol plus loin étaient alignés des fétiches, gongons, gris-gris aussi. Un marché réservé bien sûr aux initiés. Là, le vendeur alpaguait les visiteurs avec ses ossements blanchis, ses crânes minuscules d'animaux magiques, ses peaux de reptiles, ses plumes en diadèmes, ses osselets bruyants. Chacun recevait des poignées de poudre sur la tête pour l'inviter à se protéger des mauvais esprits.

Tu avais un mal à guérir ? Tu voulais réparer une offense, un problème amoureux ? Les guérisseurs traditionnels et les sorciers présents trouvaient place sur le marché, avec tout ce qui leur était nécessaire pour préparer leurs décoctions (les ossements humains étaient vendus dans le plus grand secret). Ces sorciers ou charlatans listaient ce dont le malade avait besoin comme des médecins le prescriraient. Souvent, les clients achetaient la commande et ressortaient avec l'ordonnance dissimulée. Les prix élevés ouvraient les discussions interminables, palabres et s'achevaient par une poignée de main signant leur entente mutuelle. Agapatou s'extirpa de la foule parvint à ce qui ressemblait au centre de la ville. Les bâtiments élevés lors de la présence coloniale se fissuraient marqués par « l'abandonnique » aiguë. Contre les murs blanchis, suintait encore une odeur de cadavres aux pieds cerclés de fers. Les hommes blancs habillés légers dédaignaient les femmes Zungueiras installées sur le bitume pour vendre à la sauvette leurs marchandises.

Agapatou se réfugia au calme, sur le port. Le frais du soir l'incita à s'abriter dans le ventre d'un gros navire.


***


Les bruits de la ville, avalés par l'eau de mer, se noyèrent dans le gris des solitudes. Agapatou était là. Éteinte dans le noir, elle regardait Yoshitérù. Lui, fatigué d'avoir tant porté, observait sa compagne arrivée comme par magie.


***


Un matin, leur navire prit le large.

Nourris exclusivement de cacahuètes et d'huile de palme, leurs menus au quotidien eurent les effets diarrhéiques prévisibles. Bercés ou réveillés, tantôt ballottés, tantôt agacés par le bruit sourd des vagues contre la coque, les deux clandestins étendus, se rapprochèrent un peu plus chaque jour, pour lutter contre le froid qui les enserrait. Cachée elle aussi très près de lui, Agapatou accompagnera Yoshitérù tout le temps de la traversée.

En route, mains et paroles se lièrent, se délièrent.



Il n'est ni lieu ni temps pour celui qui reçoit un cœur à aimer.


(fin de la première partie)

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