6 - Nouvelle vie

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Me voilà mariée et sans travail car j'ai quitté mon emploi d'ouvrière. Nous emménageons un petit appartement dans une maison individuelle au cœur du village. Je dois maintenant m'adonner à des tâches auxquelles je ne suis ni préparée, ni habituée, préparer des repas, gérer un ménage. Mon mari, très complaisant m'encourage à dépenser autant que de besoin, mais comme ce n'est pas mon argent, j'éprouve des difficultés à le faire, craignant d'avoir à subir de multiples reproches. Ce qui bien sûr n'arrivera pas, mais il me faudra du temps pour lâcher prise. Comme je m'y attendais mon mari quitta son emploi pour intégrer les effectifs de l'entreprise familiale. Ses débuts seront encourageants, voire prometteurs .... Ce qui bien sûr ne durera pas !

Un mois s'écoula avant d'emménager un nouvel appartement dans une maison de caractère dans le village voisin. Nous intégrons un rez-de-chaussée composé d'une cuisine avec toilettes, d'une salle de bains, d'une salle à manger, de deux chambres, d'un sous-sol à aménager avec une cave, d'un garage et d'un grand parc que mon mari aménagera pour y accueillir des chiens de chasse. Ce n'est pas très grand, pas très propre, mais suffisant car nous n'avons pas les moyens de le meubler. Les économies de mon conjoint nous permettrons d'acheter cuisinière, frigidaire et chambre à coucher. Tables, chaises et buffet, nous serons donnés par nos parents. Nous n'avons qu'une voiture que mon mari utilise pour se rendre au travail. Je resterai seule pendant de longues journées, à l'attendre. Comme nous sommes excentrés, il m'est difficile de me rendre au village pour y faire mes courses. Les visites se font rares, ma mère n'étant disponible ni pour me recevoir ni pour me rendre visite, trop affairée par l'entreprise. J'occupe mes journées du mieux que je peux. Comme nous n'avons pas de télévision, j'écoute beaucoup la radio. Je deviens mélancolique d'autant plus que mon conjoint, tombé sous l'influence de ma mère, me néglige. Il rentre de plus en plus tard, n'a pas de conversation, m'adresse des reproches, ne s'inquiète jamais de mon état, et surtout n'aime pas que je sois à ses côtés lorsque nous sortons ensemble. Comme si mon statut de femme enceinte l'irritait ! Il marche cent mètres derrière, ou devant, mais jamais à mes côtés. Pour m'occuper, j'ai domestiqué une petite souris qui avait pris l'habitude de courir sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. Je la nourrissais avec des miettes de pains et des coûtes de fromage. Elle savait venir gratter le carreau lorsque je ne lui prêtais pas assez d'attention ! C'était devenue ma confidente, lui raconter mes déboires m'occupait et m'amusait car elle faisait mine de m'écouter. Le dimanche nous avions pris l'habitude de nous rendre chez Lulu, mon beau-père, qui tenait sa ferme avec rigueur. C'était un homme énergique, gentil et très prévenant. Je repartais toujours les bras chargés de victuailles, lait, œufs, légumes de son jardin, ou encore d’une moitié de lapin. J'ai beaucoup aimé cet homme qui se souciait de moi, et je le regretterai longtemps après son décès. Le dimanche donc, nous passions l’après-midi en sa compagnie et de celle de mes belles-sœurs et beaux-frères. Les hommes s'attablaient pour jouer à la belote, pendant que nous les femmes nous tricotions ou discutions de tout et de rien. Je m'entendais bien avec Marie-Jo, la sœur cadette de mon mari. Elle n'était pas mariée et n'avait pas de copain officiel. J'ai aimé passer ces après-midis en leur compagnie, c'était pour moi l'occasion de sortir de mon quotidien et d'avoir un peu de conversations.

Ma grossesse arrivait à son terme. Cette après-midi-là, alors que je revenais de la maternité pour y avoir suivi un cours sur l'accouchement, j’eus un accident de voiture ; J'ai serré de trop près le bord de la route, pour me laisser dépasser par un automobiliste pressé, et j’ai fait un tonneau. Je reçus le volant dans le ventre ce qui enclencha de vives douleurs. Je fus extirpée du véhicule par de bonnes âmes qui venaient à croiser ma route. Plus inquiète de l'état de la voiture que de moi-même, je m'empressais de la faire déposer chez le garagiste du coin, celui dans lequel travaillait mon beau-frère Rolland en tant qu'apprenti mécanicien. Si les dégâts furent légers, je devrais payer le prix de mon erreur. Le lendemain les douleurs s'étaient intensifiées, c'était un jour de fête nationale ; nous étions invités chez Lulu. Persuadée que cela allait passer, j'en dis le moins possible. Le surlendemain matin les douleurs étaient devenues insupportables ; je priais mon mari de m'emmener à la maternité ce qu'il refusa au motif qu'il devait se rendre au travail. Il m'emmena néanmoins avec lui pour que je prenne conseil auprès de ma mère qui m'envoya bouler en m'intimant de me débrouiller. Je pris la voiture et me rendis seule à la maternité. Les douleurs, que j'associais à des contractions, étaient d'une telle intensité qu''elles m'empêchaient de passer ou de rétrograder les vitesses. Je dus m'arrêter en plusieurs fois avant d'arriver à bon port. Je fus reçue par une sache femme qui m'ausculta et conclut que mon col n'étant pas dilaté, et n’ayant pas fait les « eaux » je devais retourner chez moi. Désappointée, à bout de souffle, je m'assis dans les escaliers qui menaient aux étages, refusant de bouger, répétant inlassablement que j'étais seule, incapable de me véhiculer avec ces douleurs qui me tenaillaient le ventre. J'attendrai donc dans les escaliers de perdre les eaux pour que l'on me mette en chambre. Eût-elle été touchée par mon désarroi, toujours est-il qu'elle s'empressa d'alerter mon gynécologue qui vint dans les minutes qui suivirent et me fit installer dans une chambre. Dans la matinée il vient me consulter, confirmant le diagnostic de la sache-femme mais m’assura que l’accouchement se profilait. Je devais prendre patience ; cela faisait quarante-huit heures que je souffrais et je n'arrivai plus à contenir les spasmes qui étaient tout de même identifiés comme étant des contractions. Il passa la porte de la chambre et s'adressant à l'infirmière il l'assura qu'il prévoyait mon accouchement pour seulement le lendemain. Il était dix heures du matin, j'accoucherai le soir à vingt-trois heures au moment où les douleurs s'étaient atténuées, je n'avais plus de contractions et le bébé était engagé. C'est donc à la force des poings d'une sache-femme enfoncés dans mon ventre et à une épisiotomie que mon enfant vit le jour, cyanosé certes, mais vivant ! J'étais dans un état second, je ne sentais plus mon corps, les douleurs m'avaient anesthésiées, je ne sentais plus rien, j'étais épuisée mais heureuse, j'avais donné la vie. Ce bébé de quatre kilos deux cent cinquante, de cinquante-deux centimètres, avec des cheveux bruns, de longs cils noirs qui balayaient ses petites joues roses, des petits poings fermés, étaient une prouesse de la vie. Il était à moi, je lui avais donné le jour et il deviendra ma raison de vivre !

Il me faudra plusieurs mois pour me remettre de cet accouchement. Si je n'avais pris que treize kilos pendant ma grossesse, j'en perdrai vingt en seulement dix jours de maternité. Je n'allais certes pas m'en plaindre, cependant je ne retrouvai pas mes forces. Tout m'était effort, me lever, nourrir mon bébé, (car oui j'avais décidé de le nourrir au sein), le changer, le laver, jouer avec lui. Les jours passaient et mon physique me lâchait. Restée debout était une épreuve, j'avais l'épouvantable impression que mes organes allaient sortir par mon entre-jambe. Un jour ma mère me trouva au sol dans ma cuisine me tordant de douleurs, le bébé nu sur la table à langer. Alerte rouge ! elle nous prit tous les deux à son domicile pour s'occuper de nous. Mais les jours passaient et je ne récupérais pas. Je me voyais partir à petit feu, j'étais sûre que j'allais mourir. En désespoir de cause, le médecin fut finalement appelé et décida de faire des examens. Il s'avéra que j'avais une distanciation pelvienne doublée d'une anémie fulgurante et qu'il était urgent de s'en préoccuper. On m'administra un traitement de cheval qui me fit prendre plus de vingt kilos en trois mois. J'ai dû arrêter de nourrir mon nourrisson au sein car mon traitement lui avait déclenché une diarrhée aigüe. Le pédiatre qui le suivait alors le mit au régime, au motif qu'il était né gros et qu'il deviendrait obèse. Seulement cela nuit à son développement et à dix-huit mois il ne marchait pas. J'ai changé de pédiatre qui me fit arrêter son régime pour le nourrir selon ses besoins, car, ses mots résonnent encore dans ma tête, l'enfant "crevait de faim". Décidément le sort s'acharnait, mais je ne baisserai pas les bras.


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