Acte 4

2 minutes de lecture

Bien qu’Hadès reconnût les qualités divines de cette musique, son pouvoir éclatant sur le monde, sa nécessité et celle du poète musicien, son âme rétive aux Arts ne tomba pas en pâmoison.


Alors, la voix d’Orphée se fit entendre : douce, profonde, émouvante. Il évoqua de Perséphone la longue absence rituelle, ces six mois de séparation cruelle, cet hiver amoureux alors qu’elle semait l’été sous le ciel lumineux, parmi les vivants. Si Hadès pouvait ressentir le manque de son épouse pendant ses six mois d'absence, n'était-il pas capable d'imaginer ce que pouvait représenter une privation éternelle ? Ne restait-il pas, dans son cœur, une petite flamme, une place pour les sentiments ? Ne comprenait-il pas mieux que tous les autres dieux cette solitude sans l’être aimé ?


Point de nuit éternelle dans ses entrailles : Hadès usa de son pouvoir. « Comme je te comprends, poète, dit-il d’une voix caverneuse. J’imagine la plaie béante qui s’ouvre à chaque minute au souvenir d’Eurydice, cette fatalité. Comme l’absence est déchirante ! Je t’autorise à la ramener au monde des vivants mais attention : pas une seule fois tu ne te retourneras, ni ne lui parleras ! Aucune des créatures des enfers ne viendra interférer dans votre marche, elles ne vous verront pas. Sache qu’Eurydice ne te parlera pas. Les fantômes n’ont pas de voix, mais qu’elle suivra, dans ton ombre, chacun de tes pas. A toi, poète, de tempérer tes désirs, aussi verras-tu si tu la mérites vraiment ! »


Ainsi Orphée quitta le palais du Dieu des enfers, suivie du fantôme de la dryade : c’était elle, Eurydice ! Sous le voile cotonneux de son corps évaporé, ses traits, sa chair dessinaient les contours merveilleux de sa silhouette aimée. Orphée la sentait, fondue dans son ombre, glacée comme le souffle du meltémi. En proie à ce désir désir de plus en plus violent de lui parler, de la regarder, cette urgence irrépressible, plus sourde encore que les voies de la passion, il accentua sa marche, jusqu’à ne plus sentir cette fraicheur derrière lui, par devers lui, ce qui le plongea dans les gouffres effroyables du doute.


Il s’arrêta quelques instants, haletant, décidé à l’attendre, jusqu’à ce qu’il la devine près de lui, mais il ne ressentait plus cette sensation, perdue pour toujours. « Eurydice ! hurla-t-il en se retournant, comme fou, victime de cette déraison ». Il n’aperçut, l’espace de quelques secondes cruelles, qu’une lueur diffuse étouffée par les ténèbres de la nuit : Eurydice, évaporée, disparue, aspirée à jamais par le monde des morts !

Annotations

Vous aimez lire Nicolas Raviere ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0