Acte 5

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Orphée remonta à la surface de la terre, accablé de chagrins, les yeux gonflés de larmes, la bouche pleine de cris, puis il marcha des heures et des heures dans un silence pesant que ne lui connaissait pas la nature. A son passage, les animaux s’arrêtèrent, les plantes se courbèrent. Tous compatirent à la douleur du poète, qui se trainait lamentablement, avec sa lyre, sur les sentiers des paysages mornes qu’il ne regardait plus.


Las, le cœur crevé, rongé par la culpabilité, il traversa jour après jour campagnes et forêts, plaines et montagnes, égrenant ses larmes sur la terre meuble, retrouvant à l’aube d’un jour nouveau la voix des Arts pour chanter son tourment et faire revivre, au travers de ses notes éplorées, son amour éternel pour la belle Eurydice.


Sa musique, mue par d’autres émotions, ne soulagea pas son cœur inondé de remords, qui saignait à chaque note sa fatale détresse. Ni la nature ni les animaux n’y trouvèrent allégresse et beauté, mais un désarroi si profond qu’il plongeait le monde au fond de l’abîme.


Les femmes pourtant, à cette histoire d’amour, s’émouvaient de ce pathos et partageaient les larmes du poète maudit : elles s’inventaient Eurydice, prêtes à le suivre dans son propre enfer, pour rejoindre sa couche désertée ; être aimée ainsi, et guérir cet homme.


Orphée, désemparé, ignora ces créatures, qui n’étaient que des ombres : aucune lueur d’espoir dans les torches qu’elles brandissaient pour l’éclairer. Qu’elles saignent des larmes d’amour ou répandent de merveilleuses paroles, jamais elles n’éclaireraient le brasier intense de ses yeux noyés ; seule feue Eurydice allumait en lui le désir et l’amour, faisait crépiter l’âtre de ses iris, où soufflait la cendre grise d’un volcan éteint.


Or, toujours, il partait par mille chemins, condamné à errer jusqu’à ce que la mort l’appelle. Il la trouva enfin, au coin d’un sentier poussiéreux, charmant d’une complainte tragique ménades et satyres sur le chemin des Dyonisies : attirés par ce chant funèbre d’une tristesse absolue, frustrés que l’éphèbe en proie aux larmes ne cédât à leurs avances empressées, les dévots enivrés se ruèrent sur Orphée dont il déchiquetèrent sans bruit les oripeaux et la chair, transformant le poète, enfin heureux, en mare de sang.


Telle est la légende du musicien poète Orphée ! Nul ne sait s’il retrouva la belle Eurydice aux confins des Enfers. Les Muses éplorées, ramassant ses membres dévorés, n’ont jamais fait le deuil de celui qui leur donna la vie, se promenant non loin de son tombeau en Leibèthres. C’est en ce lieu, au pied de l’Olympe, que l’on entend parfois au crépuscule le lamento d’Orphée, cherchant toujours sa lumière.

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