La plume sur le goudron

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Je viens de poser pied sur la terre ferme de cette petite ville fantôme.

Le trajet en bus a été éprouvant: chaleur agressive, turbulences crâniennes, odeurs de transpiration et nausée qui en découle, comme la désagréable impression d'être une vulgaire tortilla prise au piège de la ferraille d'un micro-onde géant. Il me reste peu d'argent, alors le temps que le chauffeur du bus s'indigne et ait le réflexe de se détacher, j'étais déjà pour lui le lointain souvenir d'un frodeur détalant dans l'infini du décor. Je viens de poser pied sur la terre ferme de cette petite ville fantôme et voila qu'il faut déjà que je prenne la fuite.

Je suis orphelin de la notion du temps. Ma montre, je l'ai troquée à un passager du bus contre un paquet de clopes. Et puis j'ai dormi. À mon réveil le bus était quasiment vide, juste moi et cette grosse dame en train de se liquéfier sur place, qui était descendue ici, d'ailleurs.

Ici, d'ailleurs.

Aucune idée du nom que l'on peux attribuer à ici: Le goudron qui cloque, la poussière recouvrant tout ce qui est matière et les oliviers dressés tenant tête au soleil, ici la fournaise, ici le paradis des serpents, ici le purgatoire sur terre. Ici, c'est le sud, voilà la seule certitude, quand on fuit l'obscurité, on se dirige vers le soleil. Je m'enfonce dans la ville. Les rues sont désertes. Le silence ambiant semble résonner comme une alarme d'avertissement, prémices d'une menace invisible. Quelques bruits de moteurs en fond sonore, une chaussée vide et des deux cotés de cette dernière, de hauts blocs en béton aux façades multicolores troublant tant bien que mal l'identique maussade de l'architecture. je suis affamé, symptôme inévitable pour le nomade qui veut sentir le pouls du monde, la faiblesse qui donne la force de marcher. Je rêve de nourriture, et comme dans un bon vieux Mad Max, je suis le mec prêt à dévoiler son instinct de survie pour le moindre bout d'os a grignoter. J'en commettrais bien des larcins peu honorables mais les rideaux des fenètres voilent les quelques spectres mouvants, je sais que la solitude n'est qu'une illusion, l'étranger évoque visiblement quelques méfiances au sein des foyers d'ermites du patelin. Le manque devient une obsession, je m'imagine une belle entrecôte, saignante, persillée et tout ce qui va avec, le beurre dégouline sur ses flancs, je la vois sautiller dans la poêle, elle suffoque, me tire sa gueule de desespoir et me supplie de la croquer, c'est si attendrissant. Moi, je veux la dévorer bien-sûr, mais j'ai la bouche cousue, impossible de mordre dans la chair qui frétille, un supplice, je tente de montrer les crocs mais demeure impuissant devant le délice, quelle est cette vicieuse entité couturière qui prend un malin plaisir à me torturer l'esprit, putain de calvaire, bordel, ça ne peut être que mon esprit, la chaleur et mon estomac me jouent des tours. Je songe à ce moment là à troquer ma vie contre celle d'un labrador au bon flair, histoire de trouver de quoi me calmer, mais pas un foutu clebard dans le coin pour faire du troc, pas même une foutue présence humaine tout court, c'est pas que j'aime pas la solitude mais l'ambiance western, vent qui siffle et motte de foin me glace un peu le dos, je veux croiser l'humanité, pas forcément pour m'adonner au cannibalisme, juste un voyant témoin m'indiquant le chemin de la réalité. Je marche et toujours rien. Un peu plus loin, enfin, la première silhouette au loin fini par se dessiner, vague esquisse d'une forme humaine figée dans l'horizon, peut être encore un coup de la chaleur illusionniste, peut être un oasis allait il bientôt apparaître de nulle part. En me rapprochant j'entrevois ce qui a l'air de ressembler a une somptueuse créature comme j'en ai pas vu depuis bien trop longtemps, et si par malheur elle n'était que mirage, alors j'accepterais volontier cette délicieuse peine. Je vais bientôt en avoir le coeur net. Quelques pas plus loin, le doute n'est plus permis: elle est bien faite de chair et d'os. Allongée sur les marches du perron d'une humble maisonnette, la demoiselle fait briller sa peau sous les couleurs du ciel, je peux distinguer ses jambes dorées, tumultueuses liaisons entre deux talons hauts noirs et une jupe aussi blanche que la vertu des nonnes. Une longue tresse brune flotte sur sa clavicule nue jusqu'au niveau de son nombril, tout aussi dévoilé et scintillant comme une émeraude au soleil, scintillant comme elle, efflorescence gorgée de soleil, semblant promettre des délices à quiconque passerait la ceuillir, la totalité de ses pores sécrétant les hormones du désir, bourgeons aux arômes sexuels, une plante psychotrope, envouteuse de chiens errants. Je m'approche et la regarde dans les yeux, pénètre dans le profond lagon de ses verts iris et ça, ça vaut mille fois un oasis, ensuite je bloque sur ses seins comprimé par le tissu prêt à craquer, je dois être en train de faire une micro mort cérébrale, parce qu'après ça elle me souris d'un air évocateur en mâchant son chewing gum. Salut beau mâle, tu t'es perdu ? T'as l'air épuisé, tu veux entrer te relaxer?. C'est l'aimant, je suis la carcasse métallique. Je m'avance en pilotage automatique et m'accroupi devant elle, reviens un peu a mes esprits, le temps d'observer l'environnement, c'est trop beau pour être si facile, alors je scrute les fenêtres de la maisonnette, il y a là le regard menaçant d'un homme au visage dur à travers les carreaux. Elle, attend sa réponse en caressant explicitement sa mèche. Je comprends qu'il ne vaut mieux pas essayer de tricher, alors je décline l'offre: Pour un mec fatigué chérie y'a un endroit moins cher où, contrairement à toi, on peut rester toute la nuit une fois qu'on y est entré. On appelle ça l'hôtel et c'est kiff kiff niveau prix.

Elle lâche un rire, ma triste consolation, et pas peu fier de l'avoir divertie, je continue mon chemin l'entrejambe en ébullition, suivi par le regard de l'homme derrière le carreau et ma misérable vie.

Après ça je me tape encore quelques kilomètres. La chaleur, malgré le coucher de soleil imminent, est toujours aussi agressive, je pense aux chameaux, c'est vraiment un situation de merde, chameau. Les trottoirs sont un brin plus fréquentés, quelques commerces ouverts et puis deux-trois piétons par ci par là. Je passe sous un balcon. Ya là des gars qui fument et rient à l'éclat, j'en suis pas certain mais pense que ces rires s'adressent à moi, moi et ma dégaine de clochard, moi et mes oripaux pleins de poussière, moi et ma frustration qui maudit les gars sur les balcons et puis leurs femmes dans leurs lits. Moi, je sais pas où dormir mais ne m'inquiéte pas, les étoiles ne manquent jamais d'hospitalité.

La nuit finit par tomber. Je tombe sur une ruelle aux couleurs vives. Je suis un bon labrador, finalement. L'endroit est bruyant, des rires, des cris, des chants et des odeurs familières, celles de la pisse et de la débauche. Les bars ici semblent être les seuls édifices encore debout, vestiges d'une quelquonque guerre où seuls les rats étaient parvenus à survivre, comme toujours. Je me dirige vers la lumière la plus proche. Sous l'enseigne rouge, deux clochards luttant à même le sol se disputent un paquet de clopes à demi plein, je les enjambent et pousse la porte d'entrée. Au dedans c'est la beuverie, le spectacle burlesque de viandes saoules s'agitant dans le décor sur fond de musique latine. L'épaisse fumée de tabac qui stagne travestit la lumière jaune gisant des néons au plafond. Les verres valsent, coulent par cataractes sur les femmes se voulant aguicheuses et les hommes impatients, les mains sont baladeuses, les cuisses ne le sont pas moins. Sur le comptoir sont affalés les moins endurants, les autres consument la nuit.

En vérité, la seule personne à jeun ici semble être le barman, c'est par conséquent la seule personne qui remarque ma présence.

J'attrape un tabouret, attend cinq bonnes minutes et quelques signes de la main avant le tavernier se décide enfin à venir me voir. Je dis j'aurais besoin d'un sandwich et le gars m'illumine de son plus beau sourire en m'expliquant que c'est pas le genre de la maison. Sans blague. Alors file moi une bière fraîche. Et le destin une fois de plus me condamne à me remplir de houblon. Je prend la décision, en collaboration avec moi-même, de claquer mon misérable budget en ces lieux, tampis pour la bouffe des gens que je volerais.

Je les regardent faire la fête sans trop d'entrain, le virus ne m'atteint pas, je suis claqué et pas assez alcoolisé, même leurs femmes tartinées de rouges à levres grossiers avec leurs gros culs qui twerk et leurs décolletés dégoulinants ne provoquent en moi l'étincelle, c'est là une piètre mascarade et je vais sans doute tous les insulter quand je serai bien bourré. Au bout d'un moment je repère un mec au milieu de la pièce, dans la fleur de l'âge et du genre pas commode. Grand et barraqué, il domine la pièce, ce genre de mec à qui on irait pas dire merde, qui attire naturellement une certaine attention, le charisme palpable à des kilomètres. Sur son visage dur de boxeur expérimenté trône une grossière balafre, traversant sa joue gauche, de son œil vif jusqu'à se perdre dans une épaisse barbe. Toutes les femmes autour de lui sont là à adopter des postures de soumission, riant niaisement à ses moindres faits et gestes, les hommes en font autant d'ailleurs, ce gars là capte les regards, ouais, ce gars là doit être quelqu'un, c'est une gueule et les gens devant lui usent de courbettes ridicules, comme tiraillés entre la crainte et l'admiration.

Mais pas elle.

Elle, je viens à peine de la remarquer, cest l'exception qui se tient dans un coin sombre avec sans doute l'intention de s'effacer quelque peu, mais ses espoirs demeurent vains, son insolente beauté innonde le lieu. Elle a l'air petite, menu sans avoir pour autant oublier d'avoir des formes, son visage est rond et pur comme celui des poupées en porcelaine. Sur ses longs cheveux chatains rampent des mèches blondes, ça lui donne un côté fauve, où peut être flamme, à peu près l'idée que je me suis fait d'elle au premier coup d'oeil, sauvage, brûlante, dangereusement excitante. Elle, elle est différente, elle ne sourie pas. Les ondulations de sa volumineuse chevelure recouvrent partiellement son visage, il n'en sort qu'un oeil au regard vif et puissant. Je croise ce regard. Quelque chose se passe. Cet oeil noir évoque quelque chose de tragique, relevant du désespoir contrôlé, de la fatalité acceptée, c'est le reflet de l'indifférence, son oeil noir évoque en moi quelque chose de flou, je peux sentir ce quelque chose, comme je sens mon poul s'accélérer et mon âme se faire transperçer. Elle est là, stoïque et arrogante, balançant des ronds de fumée en me devisageant d'un air terrifiant, insondable, elle me regarde moi, pas les autres. Les secondes finissent par devenir des heures de torture sous le joug de l'oeil de Medusa et je me surprend à supplier les aiguilles du temps de faire durer ce calvaire dans un élan masochiste. Quelque chose à ce moment là flotte alors sur la couche du monde, comme de la magie, noire et envoûtante. Et puis le mec à la balafre pointe le bout de son nez. Il s'approche de la fille et lui chuchote quelque chose à l'oreille. Elle, ne détourne pas son regard du mien. Il l'embrasse dans le cou sans qu'elle ne fasse preuve d'une once de résistance, sans y mette de l'entrain pour autant. Ensuite il lui agrippe un sein de l'une de ses deux grosses mains velues et le regard de la fille se volatilise dans la fumée. La grosse bouche du gros dégueullasse vient se poser furtivement sur celle de Medusa la flamme fauve, c'est à ce moment qu'elle tourne la tête pour éviter le contact de ses lèvres sur celles de son prédateur d'un geste lent et désuet. Les veines du balafré se mettent à gonfler dans des disproportions étrange, il change rapidement de couleur et finit par lui balançer un poing en pleine face. Je vois la petite s'écrouler au sol, la lèvre ouverte.

Quelqu'un coupe la musique, le silence s'empare brutalement de la pièce.

Pour qui tu t'prends salope ! Relève toi, tu dégueulasses le plancher ! Tu vas m'nettoyer ça de suite !

Le chef a parlé, a capella s'il vous plaît. Plus personne n'ose émettre un son, à part peut être quelques soulards et leurs bafouilles incompréhensibles.

Vous en faites une tête! Elle a l'habitude, elle encaisse bien!

Quelques enfoirés acquiescent.

Allez c'est la mienne, tournée générale!!!!

Alors la foule pousse un cri de joie à l'unisson, comme si le grand manitou venait de marquer un but, après quoi, la fête repart de plus belle.

Je ne dis rien.

Je tourne la tête et continue à boire. Après tout, c'est pas mes affaires.

La soirée se déroule sur tapis marron, j'enchaîne les bières, quelques filles viennent s'assoir sur mes genoux, toujours cette même rengaine: Tu veux monter chéri? Je distribue les refus, nop, nop, nop, nop. Au bout d'un moment, je remarque l'œil vif du balafré qui me dévisage, un sentiment de peur vient traverser mon esprit en coup de vent. Pour masquer mon émotion et l'alcool aidant, je trouve rien de mieux à faire que de soutenir son regard et lui déballer par la même occasion mes couilles virtuelles sous le nez. Il se dirige alors vers moi:

- On passe du bon temps?

- Plutôt ouais, et vous?

Je distingue la surprise sur son faciès.

- Et vous? Faut comprendre par là que tu me prends pour une vulgaire personne âgée?

- Non m'sieur, c'est juste que là d'où je viens, on reçoit une éducation.

Un petit temps d'arrêt s'immisce dans la conversation, pendant lequel un sourire plein d'assurance vient s'étaler le visage illuminé du balafré, comme s'il se réjouissait de la réponse. Il se retourne et demande l'attention de l'ensemble des gens présents :

- Mesdames et Messieurs, un étranger veut nous donner des leçons de savoir vivre!

Tout le monde se met alors à rire.

Alors jeune homme nous t'écoutons, fais nous part de ton analyse. En quoi sommes nous des gens mal élevés?

- Bah vous voyez m'sieur, chez moi, on frappe pas une femme quand on prend un râteau.

Aïe.

Je vois de suite que ça passe pas, le visage du balafré se durcit, ses yeux se plissent, ses veines se mettent à gonfler comme précédemment, c'est encore plus effrayant de prés, je savais qu'en tenant tête à ce genre d'individus on courait le risque de se la faire couper, mais ce connard dépassait les bornes et personne ici n'osait lever le petit doigts. Il s'approche à quelques centimètres de mon visage:

- Et pourquoi Monsieur-savoir-vivre n'est pas venu me faire part de son indignation?

- Je crois que vous le savez.

- Non. Je t'écoute.

- Parce que je suis un lâche, comme tous les hommes ici présent.

Les gars présents le prennent mal et lâchent deux trois noms d'oiseaux colorés. Le grand chef fait signe de la main, du genre vous inquiétez pas je gère, et puis il reprend:

- Oh mais tu te trompes, tu es certainement un lâche mais surement pas un homme, puceau. -quelques rires gras viennent se poser sur ces dires- Je te présente mes excuses pour l'autre salope. Pour me faire pardonner, je te propose de te lever de ce tabouret, ouais, tu vois, pour me faire pardonner, je t'offre l'opportunité de devenir un homme. T'es ok puceau? Les mêmes rires gras, puceau, un adjectif apparemment très poilant dans la région.

- Je vous l'ai dis je suis un lâche.

Un court silence, le bourdonnement agonique d'une mouche se débattant dans un verre quasi vide et puis le balafré reprend la parole en adoptant un ton plus agressif:

- Bon écoute puceau (warff, Warrf, waaaarff), tu sais où t'es ici?

- J'ai ma p'tite idée ouais.

- Très bien ! Alors c'est simple, soit les filles te plaisent et t'alignes les billets, sois tu lèves ton cul de MON tabouret et tu te barres, Capiche ?!!

- Capiiiche... Au quel cas où j'voudrais choisir aucunes de vos deux propositions, il se passe quoi ?

Dans les secondes qui suivent ma question, mon arrogance porte son fruit, il tombe une grosse poire de l'énorme homme tronc en plein milieu de mon visage, sur le coup j'ai bien l'impression de me faire arracher la la tête tant le poids de son poing est lourd et écrasant. Je dégringole du tabouret et contemple les étoiles. Me voilà gisant au sol.

- J'ai préféré te mimer la réponse, tu m'en voudras pas puceau?

Et les rires gras viennent recouvrir mon corps tapis sur le sol. Tout le monde applaudit.

- Allez dégage clochard !

Je sors dehors sous une standing ovation, en titubant, tout seul comme un grand.

Une fois dehors je sors mon mouchoir, mon nez pisse le sang. La musique au dedans a déjà redémarrée, du coup je suis déçu de n'avoir été qu'un banal interlude pour ces tas de merde!

J'attends de retrouver pleinement mes esprits, j'en profite pour faire le point sur celui qui je viens de me prendre dans la gueule et tous ceux qui l'avait précédé. Le constat est accablant: Ma vie est encore plus pourrie qu'hier, ok, mais donc certainement mieux que demain, alors je vais pas attendre sagement que demain vienne m'en mettre plein la gueule. Je me relève et reprend la route. Mais pour aller où d'ailleurs?C'est alors qu'une voix aiguë vient couper mon élan:

- Hey !

Je me retourne. C'est la fille à la lèvre ouverte.

- Tu me veux quoi toi ?!

Malgré ma réponse sèche, elle se met à me prendre en filature, se souciant visiblement de ma santé:

- J'voulais voir comment il t'avais défoncé. Vas y fait voir ?

- Barre toi.

- Aha, il t'as bien niqué ! Ça t'apprendras à ouvrir ta grande gueule.

- Tire toi j't'ai dis.

Aucune autorité, elle reste là avec son comportement de commissaire et son ratio de deux questions/secondes.

- T'es bizarre. Tu fous quoi ici? T'es une sorte de vagabond ?

- Et toi? T'es une genre de pute ?

Bim.

- J''en déduis donc que t'es vagabond... Faut vraiment être une merde pour devenir clodo si jeune.

- T'as quel âge toi?

- 20ans.

Je me suis mis a rire.

- Pourquoi tu ris?

- Faut vraiment être une merde pour devenir pute si jeune.

- La misère te fais rire?

- Très peu, mais la satisfaction que j'éprouve à l'idée de savoir qu'il y a des gens qui galèrent encore plus que moi, ça, ça me fait rire.

- Oh mais ton jugement est erroné Mister punching ball.Tu vois moi grâce a Diego...

- Diego?

- Ouais Diego!

- Enchanté Diego.

- Ouais, grâce a Diego, j'ai tout c'que j'veux, du fric, des bijoux, un toit. Toi, regarde toi, t'as la gueule en sang, les fringues trouées, tu pues chépas trop quoi, puis comme un bon clodo qui s'respecte, j'parie qu'tu sais même pas où dormir.

- Et en plus j'ai mal aux pieds. Chez toi.

- Quoi chez toi ?

- Je vais dormir chez toi ce soir.

Elle se met à rire et à accélérer le pas, on se trouve maintenant côte a côte.

- Elle est bonne celle là! T'as vraiment cru que tu pouvais baiser une fille comme moi? Tu crois vraiment qu'une fille comme moi se taperait un clodo comme toi? Tu pourras jamais baiser une fille comme moi! Mets toi bien ça dans la cabeza.

- Si j'avais cinquante dollars sur moi tu serais déjà à quatre pattes.

Re-Bim.

Je laisse peser un bref silence, pendant lequel je ressent de vagues remords suite à la phrase exagérément vulgaire que je viens de lui envoyer en pleine figure. Ça n'a pas l'air de la gêner:

- Tu viens d'où ?

- Du même trou noir que toi. On vient tous du même trou noir.

- Très spirituel... Qu'est ce qui cloche chez toi?

Je demeure concentré sur l'horizon, sans lui porter attention. Elle, me fixe du regard, c'est déroutant, elle semble n'éprouver aucune pudeur, pour quoi que ce soit. Elle pose les yeux sur ma gourmette:

- Dis donc c'est un paquet d'fric c'que tu trimballes sur ton poignet! C'est le prénom d'une fille? T'es marié?

Je pousse un rictus:

- J'ai l'air si désespéré que ça?

- C'est quoi ?

- Un souvenir.

- De qui?

- Peu importe.

- Un mort?

- Qu'est ce que ça peut bien te foutre !

- En tout cas ça fait de l'argent clochard...Qu'est ce qui cloche chez toi?

- Ta gueule.

Elle se tait un moment. Avant de reprendre de plus belle.

- Pourquoi tu m'embrasses pas?

Sa voix aiguë doublée de sa curiosité insolente me tape sur le système. Je préférais quand elle se prenait des marrons. Je décide de ne plus répondre, espérant qu'elle se lasse de parler dans le vide.

- Pourquoi tu m'embrasses pas?

Mais ça semble pas être la bonne tactique.

- Pourquoi tu m'embrasses pas???

Alors je reprend la discussion.

- J'ai pas d'argent.

- La plupart des mecs m'auraient sauté dessus tu sais.

- Tu sais que j'ai pas d'argent.

- T'es pd?

- J'ai pas d'argent!!

- EMBRASSE MOI!!

Je me fait surprendre, elle me saute au cou et ses lèvres égratignés viennent se poser sur les miennes, elle est rapide bordel. Je réagi pas, il faut parfois savoir être docile. Ses lèvres, elles sont tendres, elles ont le goût du sang, ses lèvres semblent être à son image, molotov alliant douceur et violence, le nectar est délicieux. Bien-sûr, moi, je capitule, je me laisse glisser vers les portes du plaisir, je fourre ma langue dans les profondeurs de sa bouche, et elle s'y prend assez mal, sa langue est hésitante et trop rapide a la fois, elle me fait un bain de bouche, peu habituée à travailler cet orifice je me dis. Je glisse deux doigts dans sa culotte, elle est de suite plus à l'aise, la collégienne vient de s'évaporer dans la nuit noire, laissant place à une femme m'agrippant rigoureusement le sexe et là on sent de suite le professionnalisme. Ça m'excite terriblement, j'ai envie de la prendre là, en plein milieu de la rue mais je préfère la pudeur à l'exhibitionnisme, je souleve sa taille de guêpe et la dépose sous un porche non loin de là, elle a la légèreté d'une plume. La température monte de quelques Celsius encore, entre le corps à corps vigoureux se glissent les battements de son cœur venant pilonner ma cage thoracique, pendant ce temps j'explore ses courbes fermes à l'aveuglette, les yeux noyés dans sa dense chevelure. Elle commence à descendre pour entreprendre un travail de déboutonnage. Mais cette foutue pudeur ne cède pas à l'excit-exhibitionnisme, je la freine dans son élan. Elle me reprend:

- J'ai envie de toi.

- J'ai pas d'argent.

Elle me souris, me repousse à son tour:

- Y'a un hôtel pas loin d'ici. Le directeur, c'est l'un de mes clients, du genre plein aux as! Il est fou d'moi, il m'offre des diamants, Il dit que je les portent mieux que sa femme. J'peux m'arranger pour qu'on passe la nuit là bas.

Je lâche un sobre Ok.

- Faudra que tu joues le client, il accepterait pas que j'me pointe avec un mec qui paye pas, tu comprends?

Ouais.

Direction l'hôtel.

Pas loin d'ici qu'elle avait dit. Trois kilomètres qu'on marche. Mes pieds me font un mal de chien, je songe à ce moment là a troquer ma vie contre celle d'un vétéran du Vietnam amputé des deux membres inférieurs. À ça se rajoute toujours la faim, mais qu'importe, le spectacle des talons hauts de mon escorte claquant sur le pavé et les mouvements de ses fesses s'agitant à chaques pas qu'elle fait devant moi valait bien tous les plus grands plats de chefs étoilés. J'arrête de penser à Paul Bocuse et aux vétérans.

On fini par arriver à l'hôtel. Elle propose qu'on se sépare, sois disant que le mec qui tenait l'hôtel supportait pas de la voir avec d'autres mecs, qu'il préférait entretenir son déni, pauvre taré amoureux d'une pute. Il a le syndrome Richard Gere? je lui dit. Elle a un regard interrogatif et je dis laisse tomber j'vais t'attendre derriere. Elle entre dans l'hôtel et moi je fais le tour du bâtiment, comme convenu. J'atrends devant la sortie de secours. Les minutes parraissent longues, un peu comme quand on te pose un lapin, et puis une lumière au-dedans s'allume. Je sursaute. Elle m'ouvre en se moquant de ma surprise: Allez dépêche-toi !

Je rentre et cours a ses trousses dans le labyrinthe de couloirs. Je sais pas vraiment pourquoi on cours mais ça l'amuse beaucoup, il y a quelque chose d'enfantin dans l'intonation de ses rires et ça me plais, je me contente de suivre pour pas me faire larguer. Je cours derrière elle jusqu'au deuxième étage. Chambre 221. Elle ouvre et se jete sur le lit en plein fou rire. Je m'allonge auprès d'elle, son rire est contagieux. On fini par reprendre nos esprits. Je plonge dans ses yeux. C'est à ce moment précis que je me rend compte, à quel point elle est sublime, ouais, au point d'en être terrifiante. Je reste bloqué quelques instants en la contemplant de si près, j'ai la désagréable impression de rapetissir, je me sens l'espace d'un instant minuscule, si petit et vulnérable. Sa main vient éffleurer ma joue. Je crois apercevoir furtivement la détresse de son regard. C'est un ange, l'enfant déchu de ce gigantesque monde, elle est perdue, tout comme moi. Les secondes restent suspendues quelques instants au plafond. Juste quelques instants. Elle change brusquement d'attitude et me saute schizophréniquement dessus. Je suis subitement chevauché par ma cavalière, elle releve son buste et se déshabille. Je fais de même. J'avais vraiment sous estimé sa poitrine, elle est généreuse sans le tissus. On colle nos corps nus dans une douce étreinte, sa peau de bébé brûlante contre mon alliage en métal, elle me fais du bouche à bouche, c'est définitivement pas son truc alors j'entreprend de la retourner d'un geste brutal mais bien dosé, je vais te montrer moi comment on s'exprime avec la langue. Allongé sur le dos, son corps devient muse, le support charnel pour l'encre de mes doigts et la prose de ma langue mutine. Je lèche délicatement le haut de son torse tout en descendant en rappel entre les gorges de ses deux seins et je ne désire dans ce périple entamé qu'une seule et délicieuse finalité: aller lire sur ses lèvres. J'arrive au nombril, petit cratère creusé, je l'explore furtivement avec le bout de ma langue, ne pas trop s'attarder, les femmes sont sensibles aux métaphores. Sous la sensation des chatouilles elle se met à rire. C'est là que je m'en rappelle, ce rire me ramenant à cette fois où, plus jeune et moins expérimenté, j'avais par je ne sais quelle initiative maladroite entrepris de faire un cunilingus à une prostituée espagnole lors d'une virée nocturne entre copains. La pute avait pouffé de rire, ce rire qui voulait dire il est mignon le puceau il croit faire jouir une vieille routière! Le rire attendris d'une femme non mal attentionné, certes, mais résonnant comme humiliant dans les quelques souvenirs qu'il me restait de ce moment. Un rire en rappelant un autre...

Après tout, c'est une pute elle aussi, et si j'étais le deux millième de la liste? Si j'étais pour elle qu'un novice? Si j'étais pas à la hauteur? Je savais bien rouler des pelles moi mais si elle avait croisé un jour le dieu de la baise? Je suis qui moi, face à son expérience? Tout semble pourtant naturel, je me persuade, ça peux pas être une vulgaire passe, ça peux pas être un job, non, je la carresse et la sent frissonner, c'est pas possible, c'est pas un jeu, son souffle court, ses tétons durs, bordel ça simule pas un téton, elle a peut être froid? Non! il se passe quelque chose de sincère et c'est tout:

Ça chatouille?

Oui. Continue.

Ouf.

Je glisse un peu plus bas jusqu'à atteindre le duvet de sa flore vaginale, des effluves bucoliques dans les narines, ça doit sentir le jasmin ou ce genre de douceur qu'on retrouve au bord des champs de fleurs les soirs d'été. Son bassin se raidis, commence a tanguer comme pour faire glisser le plaisir. J'arrive entre ses cuisses écartées, nez à nez avec son jardin dont il est coutume d'appeler secret. Je l'embrasse langoureusement, éffleure les lèvres humides, ses cuisses se resserrent, compriment ma tête, ça veux dire ne n'échappe pas, continue. Je débusque le clitoris, fais quelques tours de cadran et puis dérégle l'heure, son bassin dans la tourmente, entre les vagues incessantes et toujours plus fréquentes, la pression de sa main sur mon cuir chevelu, elle pousse des cris à peine audibles, petits mais bien réels, une pute au mieux ça simule, au pire ça rigole, elle, n'a pas la conscience pour pouvoir choisir entre les deux. Je lève mon regard pour m'en assurer en n'y voyant que l'arrête de son menton et sa lèvre inférieure distendue, comme engourdie par le désir, c'est bon, je tiens la barre! J'ai pas touché une femme depuis longtemps, qui plus est une aussi séduisante, et le mât du capitaine est hissé depuis bien trop longtemps déjà, alors je sors de son entrejambe pour remonter sur elle. Ma précipitation n'a pas l'air de la déranger, elle aussi est a point. Elle m'embrasse hystériquement, tension sexuelle à son comble, timing parfait. Je passe ma main dans ses cheveux pour lui découvrir une oreille: Comment tu t'appelles?

On s'en fout.

Elle m'empoigne le sexe et le fait glisser entre ses cuisses. La chaleur de sa cavité profonde me serre les trippes, son corps se raidis puis courbe avant de se laisser tomber, comme une mise à mort par épé, sa pomme d'Adam vient percuter mon visage, je suis prêt. Les va et vient commencent, je prend mes repères, doucement. Elle, m'aggripe déjà le cou en me dévisageant d'un regard agressif et ça c'est déconcertant, doucement ma belle, doucement, non! Plus fort! Ses ongles rentrent dans ma peau, ses hanches pillonent les miennes, c'est le signal, vas y franco j'suis pas ta mère, non! Je t'ordonne d'y aller franco! Sous la pression de ses ongles inquisiteurs je commence a la marteler, c'est elle la patronne, moi le sextoy organique, son sextoy organique, avec un fusil sur la tempe, l'otage sexuel qui se laisse prendre au jeu, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu'à ne plus sentir mon corps, le sien, son aura, sa présence, ni même ses ongles enfoncés profonds dans ma chair, je commence a reprendre le dessus, domine la dominance et n'entends que de lourds gémissements laissant présager l'imminence d'un syndrome de Stockholm. Une gêne musculaire viens m'extirper de cette atmosphère brutale, à bout de souffle, la vision et les esprits plus nets, le rythme devient plus doux jusqu'à quasiment s'arrêter, laissant ruisseler les peaux. Elle ferme les yeux pendant le cessez le feu. J'en profite pour la retourner sur moi en m'allongant comme un seigneur attendant qu'on le travaille au corps. Ce qu'elle entreprend tout de suite, puissante et inusable, l'entracte n'avait pour elle que trop duré. Elle snobe le trot et passe directement au galop, je la soutient, mes mains sur ses hanches, en me délectant du spectacle de ses flammes mouvantes tournoyant comme un feu de camps en pleine bourrasque, fouettant son corps nu et mon visage. C'est dément, brut, bestial, harmonieux, je me fais aspirer en perdant le contrôle, cette fille là c'est le feu, la foudre, le noir, le blanc, le rouge et toute la gouache de couleurs vives, l'espoir, la fatalité, la putain vertueuse, vierge de bonheur, se donnant sans compter, la vraie beauté, la naturelle, émanant de la moindre particule de son corps, de son âme m'éclatant en pleine face comme l'explosif, la bombe qu'elle est. Je sens la montée et elle sait le voir, elle accélére le pas dans une dernière ligne droite embrumée au beau milieu des cris gutturaux de nos deux corps ne faisant plus qu'un, les veines tendues, les faisceaux rouges, la conscience au bord du précipice, je sens le fluide se déjecter en elle avec une violence inhabituelle, j'ai l'impression de frôler la mort avec la totalité de mon être érogène.

C'est fini.

Le silence blanc, L'eau qui dort, deux corps inertes flottant dans l'univers, l'univers entier se concentrant chambre 221.

Elle se laisse tomber sur moi, la tête sur mon épaule. Je la serre dans mes bras et puis on s'endors sans vraiment s'en rendre compte.

Je me réveille le lendemain, agressé par les rayons du soleil traversant les carreaux. Je suis seul. Je me lève, regarde le ciel par la fenêtre et souris. Il est resplendissant, on a beau se fâcher avec les cieux, le soleil reviens toujours. Je m'allume une clope en scrutant les vestiges de la bataille de la veille: des fringues et des draps par terre, une table de chevet renversée, sur l'autre, tiens donc, une culotte. Sa culotte. Sa façon à elle de m'offrir un souvenir. Je l'attrape. Au-dedans est dissimulé un mot.

Hey mon amant !

J'ai pris la fuite comme UNE VOLEUSE. Tu m'excuseras mais quand j'ai pensé a la réaction du personnel quand ils découvriront qu'il il y a un intrus dans l'hôtel, je t'ai imaginé en train de courir a poil pour fuir, et ça m'a beaucoup fais rire alors j'ai pas pu m'empécher de te laisser seul, dans ta merde. Je t'avais bien dit que tu pouvais pas baiser une fille comme moi, tu resteras quand même un agréable souvenir. Quand a moi, comme ton mouchoir était plein de sang, je t'ai laissé ma culotte, comme ça, tu penseras à moi quand tu te moucheras !

Bonne continuation mon amant.

Lili.

Je pouvais maintenant mettre un nom sur cette culotte. Lili.

OUVREZ CETTE PUTAIN DE PORTE! C'EST LA DERNIÈRE FOIS QUE JE VOUS LE DIS, J'APPELLE LES FLICS!

Merde.

La situation est causasse. Je suis planté là comme un con, à poil, une culotte à la main, et je souris en rêvant, et derrière la porte il y a là quelqu'un qui n'en a rien à foutre de tout ça et qui veux me faire casquer.

Oui, oui. Une seconde, j'arrive.

VOUS ÊTES QUI BORDEL!

Je m'habille et ouvre brusquement la porte avant de bousculer les deux hommes surpris qui s'y tiennent. Je sprinte jusqu'à la sortie. Une fois dehors, j'arrête pas de courir. Je viens d'arriver sur la terre ferme de cette petite ville fantôme et voilà qu'il faut encore que je prenne la fuite, mais je me sens vivant, j'ai mal au nez, au ventre, je suis sans un rond mais je suis heureux, plus vivant que jamais.

Je me met à rire en repensant à Lili.

Quelle garce.

Je marche jusqu'en dehors de la ville pour y faire du stop.

Le soleil tape encore et toujours, les gens klaxonnent sur le bord de la route, certains rajoutent même des signes ostentatoires en guise d'illustration, région accueillante y'avait pas à dire. Une voiture finit par s'arrêter non loin de moi, mais juste pour se payer ma tête, j'arrive à son niveau et le conducteur avançe vingt mètres plus loin. Trois fois. À la quatrième je prend la situation avec le sourire et lâche l'affaire. Un bon moment passe et une âme charitable s'arrête, cette fois ci pour de bon, une voiture cabossée aux bruits suspects, pas très rassurant mais je fais pas de chichi. Je monte. C'est un vieux en état assez moyen au volant.

Direction nulle part l'ami! ou ailleurs, c'est comme tu veux!

Le vieux me scrute d'un bref regard et ne se donne même pas la peine d'émettre le moindre mot. Ok. Ça risque d'être long.

Et effectivement. Le compteur de l'épave que mon chauffeur pilote semble être bloqué à soixante km/h, qui plus est le vieux ne dit mot et je commençe sérieusement à croire qu'il est muet. La route elle est déserte, infinie, les paysages aussi, des cactus à perte de vue des deux côtés du goudron ramoli. Le désert sec me pousse l'espace d'un moment à penser a des idées malsaines, comme au meurtre par exemple, a piller mon transporteur et a récupérer ses biens, notamment sa voiture, aussi pourrie soit elle, qui sait, il y a peu être une pelle dans le coffre et les endroits pour enterrer un cadavre ne manquent pas ici, j'ai vu des tas de gens faire ça dans un tas de film, et puis voilà, je regarde le pauvre petit vieux et j'abandonne l'idée, il est déjà presque mort de toute façon. Ouais, je me filerais à ma bonne étoile, comme je l'ai toujours fait, persuadé qu'elle existe. C'était certainement lié, après cette reflexion, je pense a ma mère. Je pose alors le regard sur mon poignet.

Ma gourmette a disparu.

Tu pourras jamais baiser une fille comme moi…

J'avais oublié que c'était une pute.

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