Chapitre Cinq

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Ils arrivèrent juste à l’heure pour l’angélus, Paul et Steven récitèrent le bénédicité avec les frères. Steven fut invité à partager le repas de la communauté. Il aurait été difficile de le rejeter, et aucun des frères n’y aurait songé. Après le déjeuner, Steven discuta avec les frères pendant que Paul allait s’entretenir avec le prieur Joseph. Il se fit pardonner pour ses absences devenues nombreuses. Plus d’une fois, il avait dû se faire remplacer pour la messe du matin par l’un de ses condisciples. Joseph le regarda amusé.

—   Manques-tu à ton devoir pour des raisons futiles ?

—   Non mon père, j’aide un ami en difficulté.

—   Alors, je ne vois pas de problème. Contente-toi de t’organiser avec tes frères pour que les offices soient toujours célébrés en temps et en heure. Pour le reste, c’est une affaire entre toi et notre Seigneur.

—   Merci mon père. Priez pour nous.

—   Je n’y manquerai pas, je prie pour chacun de vous à chaque instant.

Paul déposa une bise sur la joue de son vieux frère. Il était prieur depuis bien avant l’ordination de Paul, et était réélu à la majorité par ses frères, tous les trois ans. Contrairement à la doctrine de saint-benoît, il ne représentait ni le Christ ni une autorité supérieure, juste un frère qui prenait les décisions de manière démocratique après avoir été élu à ce poste.

Ensuite, Paul alla dire sa messe de la journée. Steven l’accompagna. Une fois l’office terminé, ils remontèrent chez Paul. Il examina son ami, il paraissait bien mieux qu’il ne l’avait été depuis cinq ans. Ses yeux brillaient, il souriait, ce qui ne lui arrivait plus aussi fréquemment.

—   Comment te sens-tu ? Tu es prêt à rencontrer ce lama ?

—   Sans aucun doute. N’y vois pas un manque de foi. Je pense que ce « maître » pourra m’aider.

—   Jamais je ne prétendrai le contraire. Lorsque j’étais jeune, j’ai vu un film exceptionnel. « Rencontre avec des hommes remarquables. » Réalisé d’après l’autobiographie du philosophe Georges Gurdjieff. Il démontre d’une manière certaine que la sagesse ne dépend d’aucune religion ni d’aucun critère intellectuel. La sagesse est. C’est très certainement ce que nous appelons la sainteté. Je crois en Dieu et en notre seigneur Jésus. Pourtant j’imagine que, dans sa tâche, il a fait appel à l’humanité entière. Que nous soyons chrétiens, Juifs, musulmans, hindouistes ou bouddhistes, il y a une sagesse dans chacune des religions existantes.

—   Amen – rétorqua Steven en riant. – Paul tu es le frère que je n’ai jamais eu, ton assentiment est très important pour moi.

—   Tu es mon frère, je serai toujours là pour toi.

Les deux hommes se préparèrent. Paul revêtit son habit de prêtre, costume noir, col blanc, et le Tau de Saint François accroché autour de son cou. Steven s’habilla plus simplement, un jean propre, une chemise blanche et immaculée, accompagnée d’une veste de daim ancienne qui lui restait depuis sa chute.

Les deux hommes prirent un taxi jusqu’à l’immeuble de Tseyang, ou Sophia, d’après ce qu’elle leur avait révélé de son passé. Elle les attendait dans la rue. Ils n’étaient pas en retard et ils espéraient qu’elle n’avait pas attendu trop longtemps. Elle courut jusqu’à eux dès qu’elle les aperçut. Le temps de faire signe au taxi de ne pas repartir, elle les poussa à se rasseoir à l’intérieur.

—   Pourquoi prendre le bus, alors que nous pouvons nous rendre chez mon maître en quelques minutes ?

Puis, elle donna une adresse au chauffeur. Le taxi roula environ trois ou quatre minutes, avant de les déposer devant un immeuble sombre. Il aurait eu besoin, au minimum, d’un bon ravalement. Mais ce n’était pas ce qui leur importait. Ils suivirent Tseyang à travers les escaliers poussiéreux. Il y avait bien un ascenseur, mais il était bloqué entre deux étages et semblait en panne depuis des années. Ils montèrent jusqu’au quatrième. Tseyang s’arrêta devant une porte. Elle frappa trois fois, comme dans un code. Trois coups simples ne pouvaient former un code, pourtant la voix derrière la porte répondit simplement.

—   Rentre Tseyang, je vous attendais.

Tseyang se contenta de pousser la porte, ils entrèrent tous les trois. L’intérieur était très différent de l’extérieur. C’était une grande pièce, avec un petit coin-cuisine dans un angle. Les persiennes étaient baissées, et seul un filet de lumière éclairait la pièce. Le lama Jigmé était assis dans la position du lotus face à un autel représentant sans aucun doute les Buddhas et dieux du bouddhisme, pourtant aucun des deux amis n’aurait pu l’affirmer. Tseyang fit une prosternation devant son maître en se mettant à plat ventre devant lui, puis en levant ses mains jointes au-dessus de sa tête. Le lama Jigmé qui était habillé d’une robe rouge, recouvrant une fine robe jaune, lui fit un signe de la main, demandant d’arrêter.

—   Ne me présentes-tu pas tes accompagnateurs ?

—   Maître, nous ne savons que penser, ils sont dans le désarroi, et ont besoin d’aide. J’ai pensé que vous pourriez leur fournir cette aide.

—   Pourquoi être venue jusqu’à moi ? Tu connais déjà la solution…

—   Je ne comprends pas, quelle est la solution ?

—   Nalanda. Tu en as besoin et visiblement tes deux amis sont comme toi. Emmène-les à Nalanda voir les Buddhas, alors ils seront libres et peut-être toi aussi…

Tseyang regarda son maître. Il était assis dans la posture du Buddha face à eux. Il souriait de ce sourire que ne peut qu’avoir un Sage. Le sourire de la sagesse pure, ou bien la vacuité.

—   Maître ne pouvez-vous leur parler, ils ne me comprendront pas, je ne suis rien.

—   Messieurs, m’avez-vous entendu parler à ma jeune élève ?

—   Oui, nous vous avons entendu, mais votre réponse n’est pas claire pour nous.

—   Seigneur Jésus, vous autres, Chrétiens, êtes si sages et en même temps si aveugles. Suivez Sophia dans sa nouvelle demeure. Vous y rencontrerez le Buddha. Ne craignez rien, il n’essaiera pas de vous convertir, a quoi cela servirait-il ? Vous avez déjà trouvé votre voie, et elle est la bonne voie, celle de l’Esperance et de la libération. Vous y rencontrerez un guide, juste un guide. Il vous expliquera pourquoi Steven à ses absences incompréhensibles aux mortels. Peut-être vous expliquera-t-il, à vous, Paul, pourquoi vous continuez de ressentir ce manque en votre âme…

—   Quel manque ? – S’exclama Paul.

—   Je ne vous ferais pas l’affront de répondre. Vous n’êtes pas en paix avec vous-même. C’est dommage, car vous n’êtes pas loin de l’éveil. Suivez Sophia, trouvez une réponse à vos questions.

Puis le maître se leva et alla préparer du thé. Il revint quelques minutes plus tard avec une tasse, et but sans même jeter un regard à ses « invités ».

—   Partons ! – Leur ordonna Tseyang, il ne nous dira rien d’autre.

—   Est-ce habituel ?

—   Non, pas vraiment, mais lama Jigmé est un peu comme Steven, il entre en transe avant de répondre aux questions que l’on pose. Ensuite, il oublie simplement.

Paul ne comprenait pas grand-chose à cette explication, Steven non plus. Mais ils n’allaient pas froisser Tseyang, que son maître avait appelée deux fois par son nom de baptême bien chrétien, pour cette mise au point qu’ils ne comprenaient pas aussi bien, qu’ils l’auraient espéré.

Ils quittèrent le bâtiment où vivait lama Jigmé désemparé. Paul et Steven se regardaient, ne sachant qui devait prendre la parole, et surtout pour dire quoi… Tseyang regardait ses pieds, visiblement gênés.

—   Je ne comprends pas. Maître Jigmé est généralement très précis dans ses directives. Il y a un sens à ses ordres que je ne comprends simplement pas. – Expliqua-t-elle. Paul lui prit la main en souriant.

—   Ne vous en faites pas Sophia, les paroles de votre maître ont un sens, nous devons juste découvrir lequel… – Elle lui sourit en retour.

—   Au premier abord, c’est on ne peut plus simple. Il vous demande de me suivre à Nalanda, où je pars étudier dans deux jours…

—   Qu’est-ce que Nalanda ? – Questionna Steven.

—   La plus grande université et monastère bouddhiste que le monde a connu depuis mille ans. Vous ne connaissez pas Nalanda ?

—   Non, je suis désolé…

—   Cette université a été créée par les plus grands saints que le monde bouddhiste ait connus depuis le Buddha. Elle a été inaugurée par les plus grands représentant du monde tibétain. Sa Sainteté le dalaï-lama, les chefs des cinq grandes écoles religieuses du pays. Les fondateurs ne sont autres que les plus grands ascètes de la planète. L’émanation de sept grands Buddhas. Vous ne pouvez pas ne pas en avoir entendu parler. L’émanation de Sangye Menla, Buddha de la médecine, n’est autre que la fille de notre présidente. Quant à Lhamo, émanation du Buddha Maitreya, elle a été tuée et est revenue à la vie.

—   Vraiment ? C’était en quelle année ?

—   En 2011, une vidéo avait été prise en cachette et elle a été diffusée sur internet pendant des mois.

Effectivement, Paul avait un vague souvenir d’une histoire de miracle dont toutes les chaînes de télé avaient parlé. Mais il n’y avait pas prêté attention. Steven était à l’époque dans son procès et avait beaucoup d’autres choses en tête. Paul ne s’occupait que de son frère à l’époque.

—   Y croyez-vous en cette histoire de résurrection ? – Demanda Paul.

—   Vous m’auriez posé la question il y a dix ans, j’aurais répondu « NON » sans hésiter. Je ne croyais en rien, alors une résurrection, que ce soit celle de Jésus ou d’un autre, non merci. Aujourd’hui, j’ai découvert le Buddha et j’ai trouvé un grand maître. J’ai vu Lhamo se relever après avoir été poignardée à mort, j’étais là-bas. Alors oui, je crois en sa résurrection. Désormais, je sais au fond de mon esprit que tout est possible à celui qui croit !

Steven regardait Paul et la jeune femme en souriant. Il n’aurait pas osé rire, pourtant il y avait de quoi. Ils venaient de recevoir un cours de catéchisme de la part d’une jeune femme ; leur cadette de quinze ans.

—   Où se trouve Nalanda et quand partons-nous ? – Demanda-t-il, sur un ton doucereux.

—   À mille miles précisément. À Buda dans l’Illinois. J’avais prévu de partir en stop, vous aurez le courage de me suivre. Ou préférez-vous que l’on prenne le bus ?

—   J’imagine que tu ne roules pas sur l’or non plus ? D’un autre côté du stop à trois, ce ne sera pas facile. Combien coûte le trajet ? – Questionna Steven.

—   Environ 130 dollars par personne à plein tarif. On peut espérer une réduction étudiant, et peut-être une pour votre ami Paul, depuis quelque temps, le religious Act, encourage les compagnies qui soutiennent les religieux.

—   Attendez un peu ! – S’exclama Paul. – Nous n’allons pas partir ainsi à l’autre bout du pays sans avoir la moindre idée de ce que nous allons trouver.

—   Tu as raison, tu m’as toujours accompagné, mais aujourd’hui c’est beaucoup demander. J’irai avec Tseyang, si elle veut bien de moi. Toi, tu as un travail à mener à bien. Une communauté à gérer. Ne t’inquiète pas, je t’appellerai régulièrement.

—   Tu penses vraiment que j’ai veillé sur toi tout ce temps, pour te laisser tomber, lorsque ça devient important ? Dès que nous serons rentrés, j’irai parler à frère Joseph, je lui demanderai un congé. Je n’en ai pris aucun depuis plus de quinze ans, il est temps !

—   Dans ce cas, je vous laisse. Je dois passer à la fac pour récupérer ma lettre d’introduction pour mon nouveau maître. Je vous appelle ce soir ?

—   Oui, nous te tiendrons au courant du résultat de l’entretien avec frère Joseph.

Tseyang leur fit une bise à chacun, puis elle partit dans la direction de Naropa, tandis que Paul et Steven allaient attendre le bus. Steven n’était pas à l’aise, il aurait préféré partir seul avec Tseyang en stop. Ce serait long, le stop n’était pas apprécié par les conducteurs aux USA, celui qui n’avait pas de voiture, ou était incapable de prendre un Bus ou l’avion était généralement très mal vu. Surtout, il s’en voulait d’apporter encore des ennuis à Paul. Il le savait, les prêtres étaient nourris et logés, mais il ne gagnait rien, sinon quelques centaines de dollars par mois. Ce que l’on qualifiait d’argent de poche. Il ne pouvait laisser son ami, débourser presque quatre cents dollars pour leurs trois billets. Il n’en parla pas, avec un peu de chance, le père Joseph aurait une bonne raison de garder Paul au monastère.

Dès qu’ils furent rentrés, Paul réclama un entretien avec le prieur. Et celui-ci le reçut immédiatement. Pendant ce temps, Steven alla travailler au jardin avec les frères chargés de cette tâche. Puisqu’il avait été accueilli dans la communauté, il essayait d’aider aussi souvent que possible.

Paul entra dans le bureau de Joseph, et s’assit face à lui. Le vieux prêtre lui sourit.

—   Un entretien privé ? Tu m’avais toujours habitué à plus de simplicité. Comment puis-je t’aider ?

—   J’aimerais prendre un congé. Je ne l’ai jamais fait, mais c’est normalement possible.

—   Bien sûr, le droit canonique le prévoit. Il est dit « Le curé peut chaque année s’absenter pour des vacances, durant, au maximum un mois, continu ou non, les jours d’absences pour la retraite spirituelle n’étant pas comptés dans le temps de vacances ». Quand partirais-tu ? Et pour quelle raison ?

—   À Nalanda, je ne sais pas encore pour combien de temps. Sûrement moins d’un mois.

—   Nalanda ? Tu parles de l’université bouddhiste.

—   Vous la connaissez ?

—   Frère Paul, il y a eu une résurrection dans ce lieu. L’église à enquêter, nos médecins ont rencontré la jeune femme, et même notre Saint-Père Paul Dominique 1er, y a fait un séjour. Il me serait impossible d’ignorer ce lieu et cette histoire.

—   Quelles ont été les conclusions du Saint-Siège ?

—   Elles n’ont pas été publiées. Les résultats étaient gênants pour l’église. Nous croyons dans la résurrection du Christ. Que devons-nous penser d’une résurrection véritable, à notre époque et dans une religion non chrétienne qui rejette l’idée d’un Dieu.

—   Une résurrection véritable ? Vous y croyez vraiment ?

—   C’était filmé, des milliers de personnes étaient présentes près d’elle. Les cinq coups de poignard étaient chacun mortel. Pourtant elle s’est relevée, et n’avait aucune blessure.

—   Un trucage, pour une bonne publicité ?

—   Non, le fou qui l’a attaqué était connu, il a été tué par la sécurité. La présidente Donsel était sur place. Je suis trop vieux pour un aussi long voyage et j’ai un travail à effectuer ici. Pourtant, j’aimerais vraiment t’accompagner.

—   Alors, j’ai votre accord ?

—   Je n’ai aucun motif de te refuser ce déplacement. Par contre, je te refuse le congé. Ce n’en est pas un. Considère-le plutôt comme une retraite spirituelle, ou une enquête que l’église te charge de mener, chez ces moines bouddhistes. Tu conserves tes jours de vacances, et tu pourras les utiliser si tu désires rester un peu plus longtemps.

—   Merci mon père.

—   Une dernière chose, je vais te confier une lettre que je te charge de remettre à ma nièce qui vit dans cette ville de Buda. Elle connaît bien l’université, elle t’aidera, j’en suis persuadé.

—   Vous avez une nièce bouddhiste ? – Le vieil homme éclata de rire.

—   Ce serait une mauvaise chose, d’après toi ? Non, elle est chrétienne, mais a quitté la foi romaine. Pour une fille d’Irlandais, ça peut paraître scandaleux, mais elle s’est convertie et a été ordonnée dans la religion épiscopalienne, elle est prêtre. Tu l’as déjà rencontré, elle vient me rendre visite régulièrement. Elle est mariée avec un des lamas de Nalanda.

—   Vous me donnerez votre lettre, je vous promets de lui remettre en main propre.

Les deux hommes se séparèrent et Paul alla préparer ses affaires.

                                

 

 

 

 

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