Chapitre Deux

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Nalanda – 28 Juin 2016

 

 

Les cours et enseignements de la journée étaient terminés. Jakli et ses sœurs rentraient tranquillement à la maison. Elles utilisaient deux de ces petites voiturettes de golf électriques qui étaient mises à disposition des enseignants, visiteurs et certains étudiants. Cinq ans avaient passé depuis leurs découvertes en tant qu’incarnation des grands Buddhas sur terre, la pacification de l’empire du Milieu, et l’apparition de la nouvelle Nalanda. Leurs six filles, Yeunten, Palmo, Chönyi, Drölma, Wangmo, Lhemi, étaient nées par miracle, lors de leur voyage au Tibet. Elles avaient aujourd’hui 5 ans. Quatre filles étaient nées de l’union de Jamyang avec Matilda, Jakli, Ja et Sam. Et deux de l’amour échangé par Drimey et Lhamo.

Leurs six petites sœurs n’avaient que deux ans. Comme prévu, elles étaient venues au monde le même jour à la même heure et nommaient, Jaklilyn, Jalyn, Matilyn, Samlyn, Lhamolyn et Jamyalyn. Jamyang avait choisi les prénoms en nous expliquant que Lyn signifiait « enfant de », mais nous ne connaissions pas cette langue, alors que nous n’étions censés en ignorer aucune. Nos emplois du temps avaient été revus, pour qu’à chaque instant, un membre de la famille soit présent pour surveiller les enfants.

Tous, aussi bien les membres de la famille de Lhamo que celle de Jakli, étaient lama et enseignaient à Nalanda. Tenzin lui aussi, était enseignant. Dujom, incarnation de Chögyal Rimpotché, émanation de Manjusri et fils dans cette vie de Drimey, avait maintenant quatorze ans. Son épouse [uniquement spirituelle pour le moment] Tashi, quatorze ans elle aussi, suivait ses études avec Phuntsok, Mingyur, Tin et Khampo. Par ailleurs, les quatre enfants enseignaient à leurs élèves comme des maîtres totalement adultes. C’était des enfants merveilleux. Leurs douze petites sœurs étaient pour chacun d’eux des joyaux. Chacune d’elles voyait en eux des grands frères et sœurs. Régulièrement, ils recevaient les membres de leur école de la troisième voie et bénissaient, ou ordonnaient leurs disciples. Toute la famille des sept Buddhas vivait à Nalanda. Jhampa l’époux d’Amélia était aussi souvent absent qu’autrefois. Il était toujours pilote pour United Airlines, et effectuait trois ou quatre vols par semaine. Il était papa d’une petite fille du même âge que ses cousines aînées, nommée Nuru. Élodie était maman elle aussi et avait un petit garçon nommé Norbu-Raphaël. Antonio, son mari, restait un chrétien convaincu, personne n’aurait cherché à l’en dissuader.

Autre Chrétienne, mais aussi Lama engagé dans la voie, Maud était leur sœur, gardienne des Buddhas depuis des siècles dans l’ordre des Templiers, aujourd’hui mariée à notre fils Phuntsok et mère d’une petite fille, Christelle-Péma, née une demi-journée après les nôtres. Bientôt, elle serait un maître accompli.

N?land? était désormais la plus grande université religieuse du monde, elle accueillait plus de dix mille étudiants sur une surface de 10 000 hectares. Pas loin de deux cents pavillons et petit immeuble formaient le campus. Cinq temples et près de douze centres de retraite complétaient l’ensemble. Il n’y avait ni route ni chemin, juste de l’herbe identique à celle des pâturages. Les troupeaux de la ferme de Gage, Abby et leurs enfants, vivaient libres comme l’air, au milieu des bâtiments du monastère. Un groupe était composé en début d’année de trois étudiants, un novice de première année, un étudiant de seconde et un dernier de troisième. À eux trois, ils étaient chargés de s’occuper d’une vache et de son veau. N’était-ce pas la meilleure des méthodes pour apprendre à respecter toutes vies, et développer sa compassion envers ceux qui n’avaient pas eu autant de chance que vous à l’arrivée dans ce monde. Ainsi, lorsqu’une des bêtes mourait, le Bardo Thödol lui était lu de la même manière que pour un être humain. En règle générale, le bouddhisme tibétain ne croyait pas dans la capacité des animaux à comprendre le phénomène de la mort. Par conséquent, leur lire le Bardo était inutile. Jakli, Jamyang, Matilda, Drimey, Sam, Ja et Lhamo étaient persuadés du contraire, alors la pratique avait été établie dès la première année suivant l’ouverture de Nalanda. D’autres très grands maîtres comme Kalu Rimpotché avaient arpenté les zoos dans le passé, récitant des mantras spéciaux pour l’éveil des animaux.

Lhamo et Jakli parcoururent les douze kilomètres les séparant de leur pavillon en une demi-heure. Leur voiturette pouvait aller bien plus vite, mais elles étaient arrêté tous les cent mètres, par un professeur, un étudiant, ou un simple visiteur désirant les saluer. Elles répondaient à chacun, même si elles croisaient beaucoup de curieux qui réussissaient à échapper à la surveillance de Wallace, ancien Sheriff de Buda, devenu chef de la sécurité du campus. Ces derniers voulaient voir de leurs yeux, celle qui avait été mortellement blessée devant les caméras de télévision, et qui était revenue d’entre les morts. Un amateur avait filmé son assassinat avant de le diffuser sur YouTube, ça avait été la vidéo la plus vue de l’histoire du site en deux semaines de temps. Jamais elle ne confirmait leurs doutes, mais jamais elle ne niait catégoriquement. En règle générale, une bénédiction suffisait aux touristes pour qu’ils rentrent chez eux.

Les « enragés » comme ils aimaient les appeler, étaient plus gênants. C’était des fous, se réclamant de sectes sataniques ou de sectes encore plus obscures comme le Dragon Noir, qui voulaient leur disparition. C’est ici que Wallace, John et les trente étudiants qui les assistaient en permanence avaient toute leur utilité. Ce service de sécurité était composé d’étudiants, maître dans les arts martiaux. Wallace, ou Namduk, de son nom tibétain, n’avait généralement aucun mal à les faire fuir, ou les arrêter. Alors, le nouveau Sheriff de Buda les embarquait selon les lois établies.

Leur pavillon se trouvait dans l’ancien champ à l’arrière de la ferme des parents de Lhamo. Gage et Abby vivaient dans le corps de ferme. Quatre pavillons avaient été construits à l’arrière. Le premier était le foyer des sept Buddhas et de leurs douze filles, le second était celui d’Élodie, Antonio et leur fils. Le troisième formait la demeure d’Amélia, Jhampa et leur fille. Le quatrième était la demeure de Maud, Phuntsok et Christelle-Pema. Le dernier, abritait Tsering, la sœur de Jakli, Tchen son mari, leur fille de 14 ans, Péma et son petit frère Tsetang, de cinq ans. Nos enfants étaient nés en même temps.

Les quatre pavillons formaient un arc de cercle derrière le bâtiment principal. Une table assez longue pour recevoir vingt-cinq personnes trônait entre leurs pavillons et la demeure des parents. Charles et Catherine, père et mère adoptifs de Jakli, avaient gardé leur belle et confortable maison près de Kewanee, elle gardait l’une des portes de l'université, cependant ils étaient présents très tôt le matin pour enseigner, et repartaient souvent le soir très tard.

Dès que la voiturette fût garée dans l’étable et branchée sur le secteur pour sa recharge de la nuit, elles se rendirent vers la ferme. Gage et Abby étaient dans la cuisine en compagnie de Maud.

C’était une femme à l’esprit ouvert et en rien sectaire, elle pensait que la religion pratiquée par chacun n’était pas réellement le plus important. La véritable clef du salut était pour elle la capacité d’éprouver de la compassion et d’aimer son prochain. C’était une femme rayonnante, elle avait environ trente-huit ans et était arrivée à Buda dix-sept ans plus tôt, juste après son ordination. Elle avait fait l’unanimité parmi la population, essentiellement anglicane, du village. Les murmures provenant des entrailles du village, prétendaient qu’elle avait reçu une demande en mariage par semaine pendant les cinq premières années suivant son arrivée à Buda. Cependant sa réponse était toujours la même : « Je veux vivre pour le Christ et seulement par le Christ ». Elle était jolie, petite, environ 1m60, avec des yeux bleus et des cheveux roux. Son origine était Irlandaise, son nom d’origine gaélique était O’Mordha : en anglais-américain, il signifiait « Majestueux ». Elle aurait pu être la descendante d’une famille de Viking. Pourtant, ce qui était réellement important, était son amour pour l’humanité. Jamais elle n’avait rejeté personne. À l’arrivée des premiers réfugiés tibétains, elle s’était battue pour eux, laissant l’église ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour qu’ils aient un abri.

Depuis maintenant cinq ans, suite à la visite du pape Paul Dominique premier, et tous les représentants des plus grandes églises chrétiennes, des groupes d’études chrétiennes venaient régulièrement faire des stages de méditation à Nalanda. Ils étudiaient certains yogas dont le but était de les aider à maîtriser leur esprit pendant la prière. Maud faisait la liaison entre les lamas et les stagiaires. C’était un énorme travail, elle s’occupait déjà de toute les fonctions de son ministère en ville. Messe, confession, visite aux malades, etc. En plus, elle passait des heures dans Nalanda. Elle recevait l’enseignement des lamas. Ce n’était pas difficile pour elle. Elle avait accouché à nos cotées, tout comme un Buddha véritable. Lhamo observait la jeune femme, et elle qui était toujours si souriante, semblait abattue.

—   Que se passe-t-il, Maud ? Quelque chose te préoccupe, je le vois bien. – Lui dit Lhamo.

—   L’évêché veut m’envoyer à Peoria. – Peoria était à cinquante miles au sud de Buda.

—   Pourquoi ? Qui peut mieux que toi, s’occuper de la paroisse de Buda. – Demanda Gage à son tour.

—   Personne. – Dit-elle en se forçant à rire. – Il n’est pas question de me remplacer. L’évêché ne désire pas seulement vendre l’église et les logements dépendants. Ils veulent simplement fermer. Il y a une autre église à Cambridge. Les habitants de Buda seront rattachés à Cambridge. Il y a déjà deux prêtres là-bas, donc je ne suis pas utile.

—   Combien de fidèles as-tu ?

—   Entre ceux qui viennent de Kewanee, Buda et Princeton, pas loin de 80 le dimanche.

—   Je comprends. Si l’archevêché avait une église, qu’il n’ait pas besoin d’entretenir. Annulerait-il cette décision ? – Demanda Lhamo.

—   Le problème, je pense, est financier ; alors dans ce cas, ils n’auraient aucune raison d’insister.  

Lhamo souriait, tout comme le reste de sa famille.

—   Maud va embrasser Phuntsok et Christelle. Après le dîner, nous irons dès ce soir visiter ta nouvelle église.

—   Que voulez-vous dire Maître ? – Demanda Maud surprise et sans voix.

—   Buda, c’est Nalanda, mais c’est son église et tous nos voisins qui nous ont accueillis sans jamais se plaindre. Buda, c’est son prêtre. Une femme dévouée qui aide sans jamais compter les heures. Buda sans toi, Maud, ne serait plus le même endroit. Sans compter, que je n’imagine pas les Benson ou les Tyler, faire soixante kilomètres tous les dimanches matin pour se rendre à Cambridge… – Monsieur et Madame Benson avaient près de quatre-vingts ans et n’avaient plus de droit de conduire. Les Tyler étaient dans un cas similaire.

L’église catholique la plus proche était à Bloomington à plus de cent cinquante kilomètres, mais il y avait huit prêtres qui chaque dimanche allaient dire la messe dans les lieux les plus reculés comme Buda. Ils utilisaient l’école, ou la salle municipale, mais la messe était dite au moins une fois par mois. Le repas terminé, Khampo et son épouse, la Kandroma Chimé, vinrent les rejoindre et Khampo entraîna Maud derrière lui en lui tenant la main. Depuis, la guérison de sa jambe et son mariage avec Chimé, il avait rajeuni de presque vingt ans, au sens propre du terme.

Ils montèrent dans le Humer de la communauté et se rendirent à Buda. Ils descendirent la rue principale et passèrent devant l’église Anglicane. Elle avait du charme. Une petite église en brique rouge, avec une immense porte à double battant en bois. Ce n’était pas une église très ancienne, peut-être avait-elle cent cinquante ans. Khampo arrêta la voiture près du petit lac, juste derrière son ancien temple.

Ils descendirent de voiture et se rendirent devant la porte du Temple. Lama Khampo l’ouvrit doucement. Pour chacun d’eux, ce temple était rempli de souvenir. Une fois à l’intérieur, tout était en excellent état. Plusieurs personnes venaient régulièrement vérifier l’état du bâtiment, et au besoin s’occupaient des réparations. Il semblait immense. Il était totalement vide. Ne restaient que les portes, et vitraux.

—   Non, non et non ! Je ne peux pas accepter. Je sais ce que cet endroit représente pour vous, lama Khampo. Vous avez vécu ici, travaillé ici, enseigné ici. – Lança Maud dans un cri de désespoir.

—   Un temple est fait pour prier. Celui-ci ne peut rester à l’abandon. Tu lui offriras le retour de la prière. C’est le but de son existence. Tu n’as pas le droit de refuser. Il faudra déménager les affaires de l’église et tout installer ici. Dès demain, tu auras le matériel et les personnes nécessaires pour t’aider. Ce soir, occupe-toi d’écrire à ton évêque. Nous signerons la lettre nous aussi. Nous l’avons déjà rencontré. Tu rentres avec nous ? – Questionna Lhamo.

—   Non, je vais prier un peu dans ce lieu merveilleux. Essayer de faire quelques croquis pour voir comment je vais tout installer.

—   Je vais rester avec toi. Je te montrerai aussi les bungalows, ils pourront t’être utiles. Tu verras aussi la sacristie. Enfin, je demanderai au Buddha de laisser cet endroit. Tu le béniras selon tes croyances. – Lui dit Khampo.

—   Maître penseriez-vous que Jésus et le Buddha ne peuvent cohabiter ? Ils vivent en moi depuis si longtemps. – Il se contenta de rire.

—   Non, je pensais que, toi, tu préférerais qu’il en soit ainsi.

—   Détrompez-vous Maître, depuis le temps que nous nous connaissons et que je vis à vos côtés, je serais réellement aveugle si je ne voyais pas les miracles du Dharma.

—   Alors au travail. – Lui dit en riant le vieux Maître.

Les jours qui suivirent passèrent très vite. Une série d’étudiants de Nalanda, tous volontaire, s’occupèrent de repeindre l’intérieur du temple selon les directives de Maud. Toute la ville participa, tout d’abord un des couples de la paroisse organisa une pétition, que toute la ville signa, quelle que soit la religion des signataires. Ils firent aussi une collecte, qui ne rapporta pas énormément, mais le geste était important. Ensuite, il lui fut prêté un camion pour le déménagement. Les bancs, croix et bénitiers ne sont pas simples à transporter. Le plus difficile fut l’installation du crucifix. Il faisait trois mètres de haut et pesait cinq cents kilos.

Enfin, cinq jours plus tard, l’ancienne église était vide. La nouvelle était prête à y voir célébrer sa toute première messe. Lama Jhampa, le mari d’Amélia qui avait aidé aux travaux comme beaucoup d’autres interrogea Maud au sujet de la pétition :

—   Ma sœur, tu as eu énormément d’écho favorable, suite à ton expulsion et à cette pétition. Même la chaîne de TV régionale est venue faire un reportage. – Elle rit en y repensant. Ils avaient filmé le déménagement et l’avaient interviewé plus d’une heure. Le reportage avait duré six minutes. – Que feriez-vous si l’évêque annonçait qu’il renonce et que vous pouvez reprendre votre église ? – Elle lui sourit. Si Jhampa n’était pas le lama type, il n’avait rien à envier au reste de sa famille. Pourtant, c’était un ancien militaire et il restait pilote actif sur United Airlines. Il vivait dans le monde moderne.

—   J’y ai pensé longtemps. Puis, j’ai écrit à l’Archevêque. Ma lettre était très simple. Je lui expliquais, qu’avec l’aide de Nalanda les paroissiens de la nouvelle Église du Sacré-Cœur avaient choisi leur lieu de culte, l’avaient peint, décoré et aménagé eux-mêmes. Cette église nous appartient. Personne ne nous en chassera. Je lui conseillais très humblement de céder l’ancienne église et le bâtiment à l’église catholique qui en manque vraiment. Voilà, tu vois, je suis encore là pour un moment.

—   Je le vois, Maud, mais si l’archevêque décide de te muter ? Que pourras-tu faire ?

—   Je ne crois pas l’archevêque assez vicieux pour faire une chose pareille. Sinon, je me battrais. J’ai beaucoup de personnes qui me soutiennent. Alors j’en appellerai au primat de notre église.

La conversation s’arrêta là. Maud pria dans « son » église pendant trois heures, puis rentra se coucher chez elle à Nalanda.


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