VII - Adieu Guarligue

6 minutes de lecture

  Quand Henri s’éveilla à l'aube, il trouva le lit vide. Il repoussa les draps, vit le linge taché et pensa que le baron serait satisfait de savoir que le mariage avait bien été consommé. Ce n’était pourtant pas sa préoccupation principale. Où était passée sa femme ? Henri ne la trouva nulle part dans la chambre et ne connaissait pas suffisamment le manoir pour se lancer à sa recherche. Il se résigna alors à se préparer pour le petit déjeuner.

   À la table des matinaux, Henri retrouva son plus jeune frère, Simon. Contrairement à son habitude, il n'avait emporté aucun livre à décortiquer dès le petit déjeuner. Cela lui manquait pourtant et assombrissait son humeur. Simon resta muet, se contenta de hocher la tête au discours de Guenièvre et de Madame de Passegué. La baronne de Guarligue n’osa pas questionner Henri sur le bon déroulement de la nuit et l’entretint de banalités dès qu'il se fut attablé. Henri s’ennuya rapidement tout en se demandant si son épouse appréciait de genre de conversation. Était-ce du coût de toutes les jeunes femmes ? Il serait curieux de le découvrir. Néanmoins, cela n'empêcha pas Henri de se montrer charmant envers sa belle-mère. Tant que le baron n'était pas dans la pièce, il pouvait bien se montrer un peu plus naturel. Cela ne devrait pas perturber les plans de son père.

   Le violent claquement d’une porte annonça l’arrivée de Vanessa. Les serviteurs la saluèrent joyeusement tandis qu’elle s’installait à table sans prendre la peine d’aller se changer. En culotte de monte, elle avait les cheveux défaits et l'air frondeur. La fraîcheur du matin lui avait joliment coloré les joues. Elle s’assit aux côtés de sa mère et mangea avec appétit sans accorder un regard à son époux.

   Simon observa les jeunes mariés et soupira. Il était un grand romantique derrière sa façade taciturne et le manque de communication entre son frère et sa belle-sœur manquait cruellement de poésie. Le benjamin s’excusa auprès de la baronne et quitta la table, bientôt imité par Henri. Ils avaient hâte de rentrer à Longvent.

   Aussitôt les Boisnoir sortis, Guenièvre s'empressa de questionner sa fille. On aurait dit une enfant à l’affût de quelques secrets de chambre. Vanessa croqua à pleines dents dans une pomme tout en l'écoutant :

  « Votre père semblait ravi de la cérémonie. Il a bu, ri et dansé pendant la réception. La soirée s'est passée à merveilles. Qu'en avez-vous pensé ? »

   Vanessa porta sur sa mère un regard sévère. La réponse lui importait-elle ? La baronne s'était abstenue de lui donner ses recommandations de mère, sa vie ne tournait qu'autour du baron qu'elle redoutait comme la peste, sans rien tenter pour lui échapper. Vanessa prit donc la liberté de ne pas lui répondre. Elle attrapa deux petits pains et remonta dans sa chambre de jeune fille. Ses chambrières s'affairaient à ranger ses dernières malles avant le grand départ. Bientôt, elle quitterait Guarligue et tous les domestiques qu'elle avait connu. Bientôt elle appartiendrait à Longvent. Mais plus jamais, ô grand jamais, elle ne se laisserait à nouveau dominer par son époux. Jamais. Elle se le jura.

*

   Lors du dernier repas avec les trois familles réunies, la vanité du discours de Monsieur Enrique n'échappa en rien à l'esprit acéré de Simon qui ne souhaita plus qu'une chose : retrouver le silence de leur domaine afin de reprendre ses études. Il n'avait pas eu l'occasion d'échanger avec sa belle-sœur, mais il se promit d'y remédier en chemin. Elle était très belle et ce serait un plaisir de la peindre et de converser avec elle. Il n'imaginait pas qu'elle puisse en manquer. Elle avait un regard vif qui lui rappelait celui des juments sauvages que ses frères domptait dans l'élevage familial. En comparaison, sa sœur paraissait fade et triste, juste bonne à toujours être du même avis que vous.

   Le benjamin lança un regard à son père qui continuait de jouer les invalides auprès du baron tout en grattant peu à peu le vernis afin de faire son enquête. Philippe croisa son regard et lui fit un clin d’œil furtif. À tel point que Simon crut avoir rêvé. Toutefois, une chose était certaine : ils partaient après le repas. Il n’était pas prévu qu’ils s’attardent outre mesures au manoir des Sangbrûlés. Ce soir, ils auraient probablement fait la moitié du chemin. Il tardait à toute la fratrie de rentrer à la maison. Henri était épuisé et ses chevaux lui manquaient. Richard avait faim d'un appétit charnel que la réception des Sangbrûlé n'avait su comblé. Quant à Simon, il avait hâte de retrouver le silence de sa bibliothèque.

*

   Après le repas, alors que les trois frères devisaient de choses et d’autres dans l'appartement mis à leur disposition, Monsieur Philippe les interrompit pour demander la compagnie de son aîné quelques instants. Père et fils changèrent de pièce, s’installant près d’un secrétaire en chêne sans décorum.

  « Alors, mon garçon, comment s’est passé ta nuit ?

  — J’ai fait mon devoir.

  — Oui, mais est-ce que Vanessa te plaît ? Au moins un peu, je l’espère.

  — Je reconnais qu’elle est belle et qu'elle a du répondant. Cependant, j'ai peur qu'elle se montre capricieuse.

  — Elle ne me semble pas de cette trempe-là. Vous apprendrez à mieux vous connaître avec le temps. Si c'est tout ce que tu lui trouve comme défaut pour le moment, je suis heureux, décréta-t-il après une courte pause en tapotant tendrement l’épaule d’Henri. Comme convenu, je te lègue toutes les charges. Dès que nous serons rentrés, je signerais tous les papiers et tu pourras présenter Vanessa comme la Comtesse de Longvent.

  — Vous n’y êtes pas obligé, Père. Il vous reste de belles et longues années devant vous. Sans compter que l'élevage prend beaucoup de mon temps.

  — Ne dis pas de sottises, je me fais vieux. Je vais aller m’installer au pavillon de chasse et j’y coulerai des jours heureux, fier de mes trois garçons. À ce propos, si tu arrives à nous pondre un héritier dans l’année, il se pourrait que je vive assez longtemps pour rencontrer mes futurs petits-enfants.

  — Je vous en aurais donné sans que vous ayez recours au chantage, Père. »

   Le comte sourit affectueusement et s'éloigna afin de retourner à la supervision des préparatifs du voyage. Henri le retint avant qu'il n'ait atteint la porte.

  « Une dernière chose, Père ! Je souhaiterai que vous présentiez vos excuses à Vanessa. Elle pensait vous épouser. Puis-je savoir pourquoi vous l'avez manipulée de la sorte ? »

   Philippe souriait en se tournant vers son fils. Le genre de sourire qu'il arborait quand l'un de ses stratagèmes fonctionnait à merveilles.

  « Ce n'est pas Vanessa que je manipule. »

  Après cela, il quitta la pièce et Henri resta là, à méditer ces paroles. Qu'est-ce que cela signifiait ? Jouer la comédie ne suffisait donc pas ? Pourquoi Vanessa n'avait-elle pas été prévenue ? Henri avait la désagréable sensation de mentir à sa jeune épouse, et il avait la conviction que cela ne marquait pas un bon début pour leur mariage.

*

   Les adieux furent larmoyants d’un côté de la famille Sangbrûlé. Sophia et Guenièvre s’épanchèrent pathétiquement sur leurs prochaines retrouvailles. Vanessa leur accorda peu d’attention. Elle préféra figer le manoir de Guarligue dans sa mémoire. Elle comptait bien ne jamais y remettre les pieds.

   L'événement traîna en longueur. Enrique tint la jambe à Philippe et à Henri pendant de longues minutes, de peur que le vieil homme ne tienne pas ses engagements. Perdant patience, Vanessa monta dans la voiture où attendaient déjà ses beaux-frères.

  « Pressée de rentrer faire des héritiers, ma sœur ?

  — Ne la pervertit pas avec tes pensées ignobles, Richard.

  — Quel rabat-joie ! Ne l’écoute pas, Nessy. Simon est le moins amusant de la famille.

  — Nessy ? releva Vanessa en grimaçant spontanément. Quel horrible surnom !

  — Ah ! Ah ! Père avait parié que tu détesterais. Comment veux-tu que l’on t’appelle ?

  — Vanessa.

  — Bien. Vanessa, je te souhaite la bienvenue dans notre famille. Puisses-tu couler des jours heureux avec Henri. »

   Vanessa se renfrogna aussitôt et se cala pour regarder par la fenêtre. Simon donna un coup de coude à Richard qui ne comprit pas ce brusque retournement. Il n’eut pas le temps de s’attarder sur la question, Henri et le patriarche de la famille de Boisnoir montèrent à leur tour, donnant ainsi le signal du départ.

  « Rentrons à la maison. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0