VI - Nuit de noces

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  Tandis qu’ils étaient ballottés sur les routes mal entretenues du domaine, Henri étudia sa jeune épouse. Alors qu'ils étaient en tête à tête pour la première fois, elle se tenait le plus loin possible de lui, esquivait ses regards, recroquevillée contre la paroi de la voiture. Il soupira finalement en comprenant l’expression renfermée de Vanessa.

  « Je vous présente mes plus sincères excuses pour les agissements de mon père. Il aime jouer avec les apparences. Personne ne vous avait prévenu que j’étais celui destiné à vous épouser, n’est-ce pas ? »

   Silencieuse, le regard porté au loin par la fenêtre, elle haussa simplement les épaules. Comme si cela lui était égal. Il sourit et eut envie de la taquiner un peu pour la dérider.

  « Auriez-vous préférer prendre mon père pour époux ? Il est encore charmant pour son âge. Beaucoup de femmes le disent.

 — Vous êtes vieux tous les deux. Quelle différence cela fait ?

 — Je n’ai que vingt-huit ans.

 — C’est presque le double de mon âge, railla-t-elle.

 — Vous êtes encore une enfant.

 — Et vous, un vieux croulant. »

   Ses réponses fusaient avec vivacité. Henri se surprit à sourire, amusé par la jeune fille. Elle ne se cachait pas sous des apparences de poupée malgré son teint de crème et ses grands yeux clairs. Il commençait à comprendre ce que son père avait vu en elle.

  « Vous êtes très belle. Cette robe vous va à merveilles.

 — Les couturières du domaine sont douées pour recycler les vieilles étoffes.

 — C’est une bonne chose. »

  Elle lui lança un regard où il lisait à la fois la surprise et la méfiance. Voilà le petit côté sauvage dont le comte avait parlé. Henri lui sourit gentiment et tendit la main vers elle.

  « Même si c'est un peu tard à présent, permettez que je vous fasse ma demande. Mademoiselle Vanessa Sangbrûlé, acceptez-vous d’être mon épouse ? »

   Vanessa regarda la main puis reporta son regard dans le lointain sans lui répondre. Elle avait promis de bien se tenir. Elle s’enferma donc dans le silence. Henri avait l’impression qu’elle cherchait à le fuir par ce moyen futile. C’était quelques peu blessant alors qu'il s'efforçait d'être aimable. Mais peut-être restait-elle sur la première impression qu'il avait donné la veille, en jouant le rôle qu'on lui avait assigné. Henri trouverait bien un moment pour s’en prendre à son père. Il soupira et souhaita qu’ils arrivent bientôt. Le silence commençait à lui peser. La beauté de Vanessa était indéniable, mais que feraient-ils s'ils ne parvenaient pas à s'entendre comme mari et femme ?

*

   La fête fut somptueuse. Afin d'épater les deux familles, Monsieur Enrique n'avait pas lésiné sur les moyens pour une fois. L’orchestre jouait des airs à la mode classique et moderne, les invités s’amusaient, dansaient et buvaient dans une bonne entente. Sophia discutait avec son époux et sa belle-mère avec qui elle semblait bien s'entendre déjà. Il fallait avoué que Sophia était pleine de douceur et qu'elle saurait ne pas interférer avec qui que ce soit sur le domaine de la douairière. Cette dernière n'avait pas à craindre de perdre sa place. Monsieur Enrique passait de table en table pour s’assurer que tout le monde profitait bien. Vanessa cessa rapidement d'observer son géniteur, son sourire était si faux que cela lui faisait bouillir les tripes. Elle préféra s'intéresser à sa nouvelle famille.

   Le comte de Boisnoir racontait ses anecdotes avec animation, radotait un peu. Henri bavardait avec les invités des trois maisons. Il semblait à son aise. Vanessa passa une grande partie de son temps à l’étudier. Il n’était pas laid, c’était indéniable, mais la beauté ne faisait pas le caractère. Hormis le fait qu'il était une grande brute possédant un don de stratège militaire, il était quand même beaucoup plus vieux et plus grand qu'elle. Si ne la dominait pas pas, que lui ferait-il ? D'un autre côté, Vanessa remarqua qu'il buvait peu, souriait beaucoup quand il était près de sa famille, surtout avec son cadet. Ils devaient avoir le même sens de l'humour pour plaisanter ainsi.

   Quand il croisa son regard pour la énième fois, elle refusa de baisser les yeux. Il lui sourit et leva sa coupe pour boire à sa santé. Vanessa lui tourna ostensiblement le dos. Elle aurait voulu détester tous les membres de cette famille, mais plus elle les observait et plus elle doutait de ses convictions. Entre le dîner et le mariage, elle avait l'impression qu'ils avaient changé, en mieux. Même le benjamin lui semblait un brin sympathique dans son apathie. Elle avait la sensation de perdre ses repères, de ne plus savoir qui ou quoi croire. Elle qui se targuait de parvenir à cerner les gens avec facilité, elle se retrouvait perdue.

   Vanessa quitta un moment le hall de la réception pour prendre l’air dans le jardin. Elle s’assit sur son banc préféré, face au bassin où la plupart des poissons n'avaient pas passé le dernier hiver et retrouva un peu de sérénité en écoutant le bruit de la petite fontaine. Elle ne voulait pas penser à la nuit de noces. Elle profita donc de cet instant de répit avant de retourner à son devoir.

   La fête continua jusque tard dans la nuit. Les époux furent félicités toute la soirée. Puis soudainement, six hommes attrapèrent les jeunes mariées et les portèrent au-dessus des invités pour les rendre à leur époux. Henri récupéra Vanessa dans ses bras comme si elle ne pesait rien tandis que Sophia se retrouvait les fesses par terre trop lourde pour son maigre mari. Tout le monde riait et criait, encourageait l’aîné des Boisnoir à monter à la chambre consommer le mariage.

   D’abord Vanessa se débattit, gesticula, tenta de leur échapper. Puis les avertissements de sa sœur lui revinrent et elle se fit violence pour se laisser faire. Elle ferma les yeux et tenta de se convaincre qu’elle était à des lieux de là, dans un champ immense, balayé par le vent, sur le dos de Scar. Elle respira profondément et ne perçut le silence du couloir qu’au moment où elle comprit que le bruit qui tambourinait à ses oreilles n’était que son cœur. Elle ouvrit un œil et croisa le regard attentif d’Henri.

  « Est-ce que tu as eu peur ?

  — Évidemment ! s’entendit-elle répondre au tac au tac. Quels rustres oseraient traiter une jeune fille de la sorte ?

  — Ce soir tu deviendras femme. Ma femme, ajouta-t-il avec une grande douceur. Tu n’as plus de raison d’avoir peur.

  — Permets-moi d’en douter ! »

  Henri souriait et ce n'était pas à cause du vin. Sans se rendre compte, ils s'étaient tutoyés. Lui par tendresse, elle par défi. Toutefois, Vanessa avait dix mille raisons d’avoir peur. Dans quelques instants, ils étaient sensés consommer le mariage. Elle se crispa et détourna le regard. Compatissant, Henri la porta jusqu’à la chambre qui avait été préparée pour eux.

   De grandes bougies brûlaient dans chaque coin, fièrement dressées sur des candélabres à huit branches. Le lit était très larges, les draps, éclatants de blancheurs. Elle déglutit. Il la déposa délicatement au bord du matelas avant de reculer.

   Vanessa fut soulagée de le voir s’éloigner. Elle reprit son souffle et tâcha de se rassurer. Peut-être que ce ne serait pas aussi terrible que le lui avait annoncé Sophia. La jeune épouse y crut jusqu’à ce qu’Henri commence à de déshabiller devant elle.

   Il commença par retirer sa veste en point de laine bleue. Puis il défit sa ceinture et la déposa sur l’assise du fauteuil où il avait suspendu sa veste. D’un mouvement souple, il se délesta de ses bottes. Jusque là, elle se dit que c’était pour se mettre un peu plus à l’aise. Il enleva ensuite sa chemise, puis son pantalon. Il se montra finalement entièrement nu devant elle. Vanessa déglutit et détourna les yeux, embarrassée comme jamais elle ne l’avait été.

   Lentement, Henri approcha. Il s’immobilisa tout près d’elle et caressa la joue de la belle effarouchée pour l’obliger à le regarder.

  « Est-ce que je te dégoûte ? »

   Vanessa fut incapable de répondre. Elle détourna vivement le regard en se crispant un peu plus. Elle l’entendit soupirer. Il posa un genou au sol et entreprit de défaire tous les liens de sa robe. Vanessa tremblait. Elle aurait voulu le repousser mais elle avait promis de se tenir tranquille. Alors, elle se laissa faire, les poings serrés. Il commença par la décoiffer. Il retira méticuleusement chaque épingle jusqu'à ce que ses cheveux se répandent sur ses épaules. Ensuite, il lui retira sa robe, son corset puis ses jupons et ses bas. Elle n’avait plus que sa chemise de coton. Elle avait froid, se sentait vulnérable et serra ses bras autour d’elle.

  « Veux-tu te mettre sous les draps ? »

   Saisissant l’opportunité de se soustraire à son regard, Vanessa hocha la tête et se glissa entre les draps tièdes. Elle soupira rassurée, pensant qu’il s’arrêterait là. C’était mal le connaître et être fort ignorante des devoirs conjugaux.

   La laissant s’installer confortablement, Henri fit le tour du lit. Elle roula pour lui tourner le dos et il vint doucement se coller à elle en l’enlaçant. Elle semblait si fragile, loin de la petite sauvageonne dont lui avait parlé son père. Il sourit et l’attira doucement contre lui.

   Vanessa sentit son souffle contre son oreille et frissonna. Il était difficile de dire à quel point elle haïssait son père de l’avoir mariée à un inconnu. Même s'il se montrait délicat, elle ne lui faisait pas confiance. Elle ferma fort les yeux et pria pour qu’il s’éloigne d’elle.

  « Veux-tu bien te tourner ? »

   Il parlait doucement. C’était pour mieux la manipuler évidemment. Mais elle avait promis de se tenir tranquille. Hideuse promesse. Vanessa se fit violence et obéit. Elle se retourna et se retrouva enveloppée dans les bras de son époux. Il sentait les épices et... l'homme, supposa-t-elle. Cela ne ressemblait à rien qu'elle connaissait en tout cas. Elle ferma ensuite les yeux et pria. Pourvu qu'il fasse vite et qu'elle puisse dormir.

   Henri posa ses lèvres sur les siennes, chastement, puis lui entrouvrit les lèvres pour y glisser sa langue. Elle résista à l’envie de le mordre. Elle n’en tremblait que plus encore. Mais il ne semblait pas le voir. Il la serra plus fort contre lui, sans pour autant lui faire mal. Puis elle sentit les liens de sa chemise se défaire sous les doigts agiles de son mari, probablement plus expérimenté qu’elle. Elle avait envie de se cacher, de fuir, de disparaître. Elle se focalisa sur la haine qu’elle portait à son père pour se forcer à rester en place. Elle avait promis de se tenir tranquille.

   Bientôt Henri sentit la chaleur de son jeune corps nu contre le sien. Il la sentait frémir sous ses doigts. Il faisait pourtant son possible pour être doux et attentionné. Le craignait-elle tant que cela, ou était-ce la peur naturelle de la première fois ? Préférant l’ignorer, il embrassa sa gorge, ses lèvres, ses joues. Il faisait preuve de tendresse pour lui montrer qu’il n’était pas une brute. Il prenait son temps.

  Vanessa était au supplice. Elle luttait pour ne pas le repousser et s’enfuir à toutes jambes. En plus, il dégageait de plus en plus de chaleur. Cela devenait gênant, et inconvenant. Elle sentait quelque chose de dur contre son ventre. Mais surtout, ce qu’il lui faisait la rendait bizarrement confuse ; les baisers de cet homme éveillaient d’étranges sentiments en elle.

   Vanessa gémit soudainement quand il prit soin de ses seins et Henri saisit l’occasion. Il la fit glisser sous lui et s’installa entre ses jambes. Elle le regardait, les yeux brillants, l’air perdu. Il l’embrassa et la fit sienne sans précipitation.

   Elle eut mal. Au plus profond d’elle-même. C’était donc contre cela que Sophia avait voulu la mettre en garde ? Vanessa sentit des larmes couler de chaque côté de son visage. Elle finit par se cacher le visage de honte et Henri s’immobilisa en comprenant que quelque chose n’allait pas. Il se retira et la prit doucement dans ses bras pour la bercer.

  « Là… c’est fini. Ne pleure pas. »

   Il lui caressa les cheveux et lui dit de gentilles choses pour la rassurer. Vanessa n’y entendit rien et pleura jusqu’à tomber de sommeil. La journée avait été épuisante. Il ne la toucha plus de la nuit. Et surtout pas après avoir découvert les nombreuses cicatrices sur le dos de sa jeune épouse. Il ignorait ce qu'elle avait pu vivre jusqu'à présent, mais il se promit de bien la traiter et de prendre soin d'elle.

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