V - Mariage heureux

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  Le lendemain, réunies dans le salon des dames pour l'habillage, les deux sœurs étaient entourées de multiples petites mains qui s'évertuaient à les rendre parfaites pour la cérémonie à venir. Lorsque tout fut prêt, les modistes, couturières et domestiques quittèrent le salon pour laisser aux jeunes femmes le temps de converser en attendant qu'on les invite à descendre.

  Dès la porte refermée sur la dernière personne étrangère au manoir, Sophia attrapa brusquement Vanessa par le bras. La cadette s’étonna de la mine déterminée que sa sœur affichait et lui prêta attention.

  « S’il te plaît, Vanessa, soit irréprochable pendant la cérémonie et laisse ton époux faire son devoir pendant la nuit de noces, sans faire d’esclandre. Je ne voudrais pas que tu sois aussi malheureuse que je l’ai été. »

   Vanessa observa Sophia avec étonnement. Elle savait que le premier mari de sa sœur avait été un monstre et que ce fut un soulagement qu’il se tue à la chasse, mais de là à la mettre en garde, quelque chose l’intriguait.

  « Tu as peur que je ruine ton second mariage ? réagit la cadette avec amertume.

  — Non, Van ! Lui répondit sa sœur avec une douceur pleine de tendresse. Il ne s'agit pas de cela. Je ne veux pas que tu souffres comme j’ai souffert. Je t'en prie, promets-moi de bien te tenir.

  — Il me semble que c’est déjà trop tard pour les souffrances, répliqua Vanessa en pensant aux corrections de son père.

  — Tu te trompes. Il y a pire, lui rétorqua Sophia en revoyant sa première nuit de noce. Surtout ne t’agite pas quand il fera son devoir. Essaie de te détendre. Ne t’oppose pas à lui. Je t’assure que ce qui t’en coûtera sera pire que les coups de bâton de père. »

   Devant l’air inquiet de sa sœur, et sa rare détermination, Vanessa lui promit de bien se tenir. Tout en descendant les grands escaliers pour rejoindre la calèche, Vanessa réfléchit aux propos de Sophia. C’était la première fois, à sa connaissance, que sa sœur lui parlait de son premier mariage. Elle s’était montrée discrète à ce sujet depuis qu’elle était revenue du domaine de sa belle-famille. Si elle était sortie de sa réserve, c’était sûrement pour une bonne raison. Vanessa garderait ses conseils en mémoire. Elle n'était pas têtue au point de refuser chaque conseil que l'on pouvait lui donner.

   Après tout, la cadette ne connaissait rien aux choses de l’amour, et encore moins à celles du mariage. Elle n’avait passé que deux semaines à la cour des débutantes. Le baron n’avait pas aimé son comportement et l'avait renvoyée au domaine familial bien avant la fin de la saison mondaine. Aussi, la jeune fille ne savait pas vraiment ce qui l’attendait. Vanessa et Sophia avait une vie sociale quasiment inexistante par la volonté du baron. Il les autorisait à sortir uniquement pour les événements qui pouvaient renforcer directement son pouvoir et son influence.

   Son seul moyen de s'ouvrir sur le monde était la littérature. Toutefois, Vanessa avait conscience que toutes ses lectures étaient romancées : ce n’était pas la réalité. Ce fait maintint son esprit belliqueux au repos et les deux sœurs montèrent en silence dans la voiture qui les mena au temple. Elles n’échangèrent pas un mot en chemin. Sophia marmonna des prières jusqu’à leur arrivée tandis que Vanessa gardait les yeux dans le vide. Elle préférait ne pas imaginer la vie qui l'attendait et soupira en souhaitant être à des kilomètres de là, galopant sur le dos de son étalon.

*

   Le baron les attendaient de pied ferme devant les portes du temple. Tous les invités étaient déjà à l’intérieur. Les valets de la calèche les firent descendre du véhicule puis ramenèrent les voiles opaques devant le visage des fiancées, tandis que leur père leur rappelait leurs devoirs d'épouses.

   Lorsque tout fut en place, Enrique les prit chacune par le bras avec une élégance feinte pour entrer en scène et les mener jusqu’à l'autel où le prêtre célébrerait les deux unions. Tout en remontant l'allée, Vanessa fut prise d'une envie viscérale de fuir. Fuir les regards qui suivaient leur avancée. Fuir cet époux dont elle ne voulait pas. Fuir le contact de son père qui la répugnait au-delà de tout.

   Ils arrivèrent bien trop vite devant l’autel. Vanessa avait gardé les yeux baissés. Elle n'y voyait rien avec son voile d'une blancheur éclatante. Le baron lâcha ses filles puis s’écria :

  « Je confie mes filles au jugement d’Ogani.

  — Ogani les accepte car toutes les femmes sont ses enfants, répondit le prêtre. »

   Enrique s’inclina, déposa une fleur pour chacune de ses filles dans les coupes qui scelleraient leur union puis il rejoignit son épouse au premier rang. Vanessa serrait les mâchoires en fixant droit devant elle. Son futur époux était à sa gauche. Elle percevait sa présence mais ne voulait pas le regarder. Même si le comte n’était pas une personne désagréable au premier abord, c’était une autre affaire d’y être attachée par les lois sacrées du mariage.

   Le prêtre maria d’abord Sophia à José Passegué. C’était dans l’ordre des choses puisque c’était elle l’aînée. Puis vint son tour. Vanessa ne pourrait pas échapper à la vision de son époux. Ils se placèrent l’un en face de l’autre sur l’ordre du religieux. La nervosité faisait trembler Vanessa. Elle sentit la chaleur des mains du comte sur les siennes et cela la rassura malgré elle. Et si tout se passait bien pour une fois ?

   Le religieux lia leurs mains avec une étoffe de soie rouge. Son voile était vraiment agaçant à lui masquer ainsi la vue, et à la fois cela lui permit de ne pas montrer à tous à quel point elle était fébrile et loin de désirer cette union. Il lui semblait qu'elle respirait fort. Ce n'était peut-être que la lourde étoffe contre son visage qui lui donnait cette impression. Elle essaya de se détendre et de se calmer. D'après les mots du prêtre, la cérémonie s'achèverait bientôt.

   Soudain, Vanessa trouva un détail suspect. Le comte n'avait pas les mains ridées. Elle caressa doucement sa main pour s'assurer de cela. Qui avait-elle à son bras si ce n'était pas Monsieur Philippe ? Sa nervosité grandissante, Vanessa pria pour que le prêtre accélère et qu'elle puisse enfin voir à qui elle était mariée.

   La jeune épouse trépigna d'impatience jusqu'à se figer quand son mari releva le voile pour l'embrasser cérémonieusement. Après le chaste baiser, Vanessa croisa le regard franc de Henri de Boisnoir. Il lui sourit doucement pour se montrer agréable pendant qu'elle le dévisageait avec surprise. Pourquoi était-elle mariée à l’aîné du seigneur de Longvent ? Elle coula un regard vers les invités et le comte Philippe lui fit un petit signe de la main très amicalement. Cela plongea un peu plus Vanessa dans la perplexité.

   Le prêtre libéra les deux couples et tous les invités se levèrent pour célébrer ensemble la fin de la cérémonie. Son époux à ses côtés, Vanessa déglutit péniblement en cheminant vers la sortie. C’était fait. Elle était mariée. La main chaude d’Henri sur la sienne la guida lentement vers leur véhicule. Le carrosse des Boisnoir était garée juste devant le temple. Il l’aida à monter puis s’installa à son tour. Sa sœur en fit de même dans la voiture de sa nouvelle famille, puis les cochers ramenèrent les attelages au château de Guarligue pour le dîner.

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