Chapitre 1

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Les basses surpuissantes de la musique à l’étage se glissèrent par l’entrebaillement de la porte. Le chandelier vibra sur ses écrous, sa lumière tamisée éclatant les rebords des carreaux, le cadre des miroirs et les gouttes le long des deux lavabos. Dap s’appuya contre la porte en la refermant et sa vision s’accommoda au décor. La mélodie de la techno qui résonnait dans le bar était presque distincte malgré l’ampleur cacophonique des caissons de basse. Le jeune homme se sentit rassuré de voir que plus rien ne bougeait dans les toilettes, hormis son pied qui tapait nerveusement sur le carrelage. Toutes les conditions étaient réunies, à croire que sa soirée ne pouvait être plus parfaite. Un coin insonorisé et, pour une fois, un Dap de début de soirée qui avait encore les idées claires.

Il se hâta le long des trois cabines de toilette et poussa la porte de chacune d’une pichenette. La javel collait encore ses relents au fond des cuvettes et même sur la poignée des toilettes. Dap porta un coup d’œil curieux à sa montre cette fois. Il avait quand même deux verres dans le sang, sa perception du temps pouvait se montrer biaiser. Vingt-une heures trente-deux.

— Y’en a qui perdent pas leur temps.

Dernière cabine. Dap se rencogna dans cette dernière et en poussa le loquet, les bruits de la fête au-dessus aussi suaves qu’une musique de chambre. Seul un espace au-dessus de la cabine laissait passer la lumière du chandelier et c’est à l’aide de celle-ci que Dap retourna le contenu de ses poches sur la cuvette des toilettes. Il laissa son portable, son porte-feuille, le ticket de caisse de son sandwich de midi et les clés de chez lui. Dap ouvrit son porte-feuille et une montagne de tickets de caisse et de métro déferla au sol, au milieu de sa carte bancaire, des cartes d’abonnements de magasins dont il n’avait jamais reçu plus d’un tampon de fidélité, la photo d’une femme aux cheveux roux et un billet de dix euros. Il étouffa un grognement et tira d’un compartiment secondaire, un petit sachet carré en plastique qu’il colla dans la paume de sa main, maintenant trempée de sueur.

Trois petits coups secs à sa porte. Dap se précipita pour ouvrir et tomba nez à nez avec la figure surprise d’un homme de son âge, le poing encore levé. Ses cheveux bouclés en bataille encadraient un visage épais, à la peau tanné et craquelé par une acné pernicieuse. D’une tête et demi plus petit que Dap, il arborait une simple chemise blanche sur un pantalon de costume, déjà taché par un malencontreux jet de bière probablement.

La surprise passée, la figure ronde se renfrogna et les yeux noirs du jeune homme pétillèrent de colère. Son poing levé se desserra, pointant tour à tour la porte et Dap à l’intérieur de la cabine.

— Le code, dit-il d’une voix qui résonna aigre et désagréable dans l’habitacle des toilettes. C’était trois coups rapides et un coup lent !

— On avait établi un code ?

— Bien sûr. Si jamais c’était quelqu’un d’autre.

— Qui frappe avant d’aller aux chiottes ?

— La question n’est pas là ! C’est aussi pour que personne ne se trompe. Trois coups secs et un coup lent, c’est pourtant pas compliqué à retenir.

Dap repoussa la porte jusqu’au bout, s’appuyant avec nonchalance d’un coude sur la poignée, ses doigts jouant avec la lumière presque stroboscopique dû aux caissons de basses à l’étage, pour faire apparaître le petit sachet en plastique à la vue de l’autre.

—Mec, on est là pour parler de coups sur une putain de porte ou pour tirer un coup ?

Un sourcil broussailleux disparut sous la tignasse de l’autre homme et pendant une seconde, Dap eut une vision de sa soirée brutalement écourtée à boire des pintes avec ses potes déjà éméchés pour finir d’ici une heure chez lui, le ventre barbouillé et le moral dans les chaussettes. Affolé par cette perspective, Dap se colla son plus beau sourire, celui qui révélait à peine ses dents et marquait astucieusement ses pommettes que la vingtaine n’avait pas encore fondue dans les affres de l’âge adulte.

Il ne put cependant retenir un rire, parce que quand même, il avait fait une bonne blague. Heureusement pour lui, un trépignement surexcité des danseurs d’électro à l’étage noya son ricanement. Le chandelier se balança d’avant en arrière, marquant les traits encore sceptiques du jeune homme devant Dap. L’éclat dans ses yeux noirs s’intensifia. Dap fit un pas en arrière et l’autre se glissa dans la cabine.

Il se contorsionna pour refermer la porte, effleurant Dap au passage qui ne bougea pas d’un pouce malgré l’espace qu’il avait encore derrière. Il ne quittait pas les cheveux bouclés du regard et parce que Dap le dominait d’une tête, il remarqua la fine pellicule de sueur sur son crâne. L’homme tourna le loquet et braqua ses yeux noirs comme des pépites sur Dap. Si Dap avait cru à une quelconque nervosité de la part de l’autre, ce dernier n’en laissait rien paraître.

Son sourire charmeur disparu, Dap tendit la main, paume ouverte sur le préservatif.

—Tu veux faire ça comment ?

Sa voix rauque le trahit et il espéra pendant une seconde que l’autre lui rit au nez et quitte les toilettes, le laissant seul avec son désir qui grimpait au galop. Cet espoir contrit, dû à la peur de l’inconnu, de la déception, se trouva banni au fin fond de son être quand tout d’abord, son futur partenaire ne put retenir un frisson dans ses épaules larges, et referma les doigts de Dap sur le petit sachet en plastique.

— Vas-y.

Dap ne dirait pas qu’il avait l’expérience de ces situations. Ni même qu’il avait de l’expérience tout court en matière de relations physiques avec autrui. Il savait juste qu’il avait envie, l’autre aussi, et que lorsque leurs regards s’étaient croisés plus tôt, dans le bar, à deux tables d’écart de leurs groupes d’amis respectifs, le message s’était télégraphé entre eux à la manière des coups sourds que les basses donnaient sur les murs. Armé de cette certitude comme courage, Dap ne laissa pas une seconde la gêne ou l’embarras l’emporter.

Il se pencha en avant, prêt à coller ses lèvres contre la bouche de l’autre. À cette distance, il voyait très bien les cratères que sa sortie de l’adolescence avait laissé, à peine recouvert par une pilosité faciale épaisse et noire. En-dessous, les lèvres entrouvertes soufflèrent une haleine ambrée, propre à la bière qu’il avait surement renversé lorsque Dap s’était approché de lui au bar pour lui suggérer de se retrouver en bas. Cette vision rêvée ne dura qu’une fraction de seconde, une paume ferme se referma sur sa nuque et détourna ses lèvres tremblantes vers sa nuque. Dap ne s’en formalisa pas une seconde, certains et certaines n’aimaient pas embrasser le premier soir. Il déposa un simple baiser juste derrière le lobe de l’oreille et laissa passer deux battements de cœur. Les doigts sur sa nuque se pressèrent sur la tonsure de ses cheveux coupés courts à cet endroit. Dap reprit, d’abord en douceur puis à mesure que la main dans ses cheveux tourner et retourner sa coiffure, il imprima la même fougue à sa bouche et sa langue. D’un coup de menton, il écarta le col dessérré de la chemise de son partenaire et embrassa l’omoplate, tiède de cette odeur humaine au mélange si unique. Il sentait agréablement bon, pour n’importe quel quidam qui venait transpirer dans ces bars bondés en plein été. Un combo de bière, de sueur marqué par un déodorant encore frais et de papier fraichement sorti de l’imprimante.

Il n’avait même pas remarqué que l’autre lui avait pris les poignets. Dap stoppa net son mouvement, effrayé soudain d’être allé trop loin. Il releva le menton de sa trouvaille à base d’omoplate toute douce et chercha d’un œil hagard le regard de l’autre. Il avait clos ses paupières ou tout du moins gardait-il la tête penchée contre le torse de Dap, de sorte que ses boucles cachaient son regard. Sans forcer, il leva les mains de Dap à sa hauteur, hésita, puis articula dans un chuchotement qui ne souffrait d’aucun tremblement :

— Tu l’as toujours ?

— Quoi ? souffla Dap.

— Le préservatif ?

—Ah !

Il comprit sa question. Dap avait les mains ouvertes et le sachet n’était plus en vue. Il désigna la poche de son pantalon du menton. L’autre lui attrapa alors les poignets de la main gauche et s’assura de ses dires en fouaillant sa poche de la main droite. Il poussa un grognement satisfait et sans plus attendre, leva les mains de Dap jusqu’au sommet de la porte.

—Tu peux t’accrocher ?

— Sans problème.

Cette fois, l’autre capta le ton cabotin dans la voix de Dap et croisa enfin son regard. Dap eut l’impression qu’une lame d’acier le coupait en deux, depuis le bout de ses doigts figés sur le bois de la porte jusqu’à ses pieds légèrement écartés sur le carrelage humide.

La sensation s’effaça alors que son partenaire plongeait à nouveau le nez dans son t-shirt, l’attirant en même temps contre la porte. Dap poussa sur la plante de ses pieds, resserra les poings sur le rebord de la porte. Tout son corps se pressa contre l’autre homme. Qui gémit. D’un gémissement qui fit trembler tout le bassin de Dap. Il sentit la peinture s’écailler sous ses ongles. Il avait oublié qui il était, ce qu’il était venu fêter dans ce bar, ce qui l’attendait demain, pourquoi la photo dans son portefeuille lui procurait encore de la peine.

Il ne restait que lui, la porte et la forme chaude et gémissante entre. Dap se décala légèrement car son ventre entrait en contact avec celui de l’autre homme, trouva la courbe de sa hanche et appuya son entrejambe dessus. L’autre le sentit comme lui, à travers les épaisseurs de tissu, et il poussa un autre geignement, plus sourd, satisfait. Dap poussa sur ses pieds, imprima un mouvement à peine perceptible à son bassin avant de retomber en douceur sur ses talons. Il recommença, obnubilé par les réactions de son compagnon qui, de gémissements à peine audibles, se contorsionnait désormais à chacun de ses coups de rein. Dap assurait sa prise sur la porte, ne lâchant pas l’autre du regard jusqu’à ce les paumes tièdes de son compagnon se glissent sous son t-shirt. Ses jambes se figèrent sous la sensation, au point de laisser filer un temps sa concentration juste pour profiter des caresses.

La musique se coupa à l’étage et le brouhaha des clients et des danseurs quittant la piste brisa un instant leur bulle d’intimité. Les mains glissèrent hors du t-shirt de Dap.

— C’est quoi ton nom ?

Il avait à peine ouvert la bouche, espérant presque que l’autre ne l’entende pas. Les boucles s’agitèrent de droite à gauche ce qui eut pour effet d’achever la concentration de Dap. Il entendait très clairement la rumeur des conversations en haut, des rires légers, des verres vidées et abattues sur les tables. Une chaise se renversa dans un lourd fracas. Et surtout il percevait le frottement de leurs tissus entre lesquels ne retentissaient plus une once de gémissement de plaisir. Ses bras lui faisaient mal à rester là-haut comme ça, la musique ne reprenait pas et plongeait cette situation dans la gêne complète.

— Désolé, dit-il entre ses dents, je tiens plus.

— Ok.

Dap baissa les bras mais son partenaire ne le vit pas. Il s’était retourné contre la porte, probablement pour partir, songea Dap avec amertume. Le cliquetis de son ceinturon suivit de la chute de son pantalon sur ses pieds lui indiqua tout le contraire. L’autre se déshabillait à gestes assurés, face à la porte, et dos à un Dap qui n’en croyait pas ses yeux.

L’homme aux cheveux bouclés tendit le bras en arrière, tendant à Dap un minuscule spray (?) de lubrifiant.

— Utilise ça, s’il te plaît. Et la capote, ajouta-t-il.

— Ouais, murmura Dap surpris et ravi. Ouais, t’inquiète.

Il se recula, juste une fraction de seconde. L’autre attendait, les mains à plat sur la porte, les coudes repliés, en mouvement, comme s’il s’apprêtait à faire des pompes à la verticale. Sa chemise pendait jusqu’à la courbe nette d’un sous-vêtement noir trop serré et, juste en-dessous, deux jambes épaisses couvertes de poils aussi noirs et frisés que ses cheveux soutenait sa silhouette nerveuse. Dap l’entendait prendre de grandes inspirations et un reflet de la peinture encore lisse laissait surprendre son regard. C’était dans sa voix et ce regard qu’il cachait que se trouvait son assurance. Le reste de son corps transpirait l’appréhension et beaucoup, beaucoup, d’excitation.

Dap défit son jean, le jeta en boule derrière les toilettes, suivi de son slip. Chaque son, froissement de vêtement, souffle précipité de Dap alors qu’il ouvrait la capote et l’enfilait, décapsulait la bouteille de lubrifiant, chacun d’entre eux faisait trembler l’autre contre la porte. Un temps, Dap eut un geste pour lui enlever sa chemise mais c’était déjà assez incorfortable comme endroit pour baiser, autant leur laisser un peu d’intimité personnelle.

Il se contenta d’abord d’effleurer la nuque de l’autre d’un premier baiser, puis d’un second. En même temps, ses doigts glissèrent sous l’élastique du sous-vêtement de son partenaire. Qui offrit une certaine résistance et ne glissa pas entièrement sur le sol. L’autre ne bougeait pas d’un pouce et ce fut Dap qui se retrouva à le lui baisser, au moins jusqu’aux genoux. Il se retint de rire.

Dap se colla à nouveau contre lui, son genou derrière le sien, son membre pressé contre le bas de son dos. L’autre grinça des dents et Dap comprit qu’il se retenait de pousser un cri de plaisir. Ils étaient repartis. En réponse à leur plaisir retrouvé, la musique reprit à l’étage. Dap s’amusa à suivre le rythme, ses bras tendus contre la porte, parallèles à ceux de son compagnon. Il dut se mordre les joues à son tour et laisser échapper rien qu’un geignement quand l’autre poussa sur ses coudes, glissa son pied entre ses jambes et tendit son bassin en arrière, tout contre Dap. L’émotion manqua de faire perdre l’équilibre au jeune homme qui enroula cette fois son bras contre le torse de son partenaire. Celui-ci accepta l’étreinte, le temps à tous deux de reprendre leur souffle puis il guida de cette même douceur ferme le bras de Dap contre la porte.

Le capuchon du lubrifiant rebondit sur le carrelage. Les mains de Dap tremblaient, sa vision rendue floue par la chaleur et l’excitation mêlée de leurs deux corps. Aussi, mit-il quelques secondes à réaliser sa bourde quand l’autre lui jeta un regard indigné par-dessus son épaule.

— Je… je n’étais pas censé mettre le spray directement à cet endroit hein ?

— Mais… non ! Bien sûr que non ! Ca va sur tes doigts et ensuite, là !

— Désolé, je suis trop con ! Chuchota Dap mortifié et en proie au plus malvenu des fous rires. Tu veux (il reprit sa respiration après une courte lutte contre lui-même) qu’on arrête ?

L’autre tapota des doigts sur la porte. Encore une fois, Dap avait beaucoup de mal à saisir son expression et l’alcool mêlée aux pics de sérotonine qui transperçaient son cerveau n’éclaircissaient pas ses idées. Son compagnon finit par baisser le regard sur Dap et ce fut la seule réponse que saisit ce dernier.

Une seconde ou peut-être dix minutes plus tard, Dap plongeait dans cet illustre inconnu. Il ferma un temps les yeux, les bras ballants, dansant très légèrement d’un pied sur l’autre, à la recherche de son équilibre. Il n’avait pas vraiment plongé, plutôt glissé en douceur, au rythme des mouvements et des grognements d’assentiments de son partenaire. Il avait à peine conscience de ce qui se passait devant lui. Les bruits extérieurs par contre lui parvenaient avec netteté et ce d’autant plus, lorsqu’une cavalcade dans l’escalier retentit et que la porte des toilettes fut poussé. Dap se contenta de garder ses lèvres closes, sans cesser ses vas et vients. Il sentit son compagnon se raidir ce qui n’était pas pour déplaire à Dap. Avec des gestes délicats, il commençait à bien connaître les réactions de l’autre, il posa les mains sur ses hanches pour lui éviter tout geste brusque. Leur voisin de toilette renifla à plusieurs reprises, laissa couler l’eau des lavabos et enclencha le sèche-main. La musique explosa et s’étouffa aussitôt, alors que les toilettes retrouvaient à nouveau leur calme.

Dap sentit la détente de son compagnon contre ses paumes posées sur ses hanches. Il donna un léger coup de rein.

— Ca va ?

— Continue.

Dap obéit, à peine conscient du sourire qui flottait sur ses lèvres. Il était persuadé que le même régnait sur la bouche de l’autre et il regretta qu’il n’ait pas voulu l’embrasser.

— Encore ?

— Tes mains.

— Ca te gêne ?

Un rire, un vrai cette fois, aussitôt interrompu car le son avait résonné jusqu’au fond des autres cabines.

— Remets-les sur la porte.

Il tendit les bras aussi loin qu’il put, ses pieds tellement collés au carrelage qu’il avait l’impression de s’être enraciné. Ses semelles glissèrent d’un centimètre en avant ce qui arracha un gémissement de douleur à l’autre. Dap reprit aussitôt sa position initiale.

— Je peux pas, mec. Si je m’avance encore, je te fais mal.

— Alors, va plus loin, articula l’autre.

Dap ne dit rien. La sensation de flottement délicieuse avait disparu, l’impatience de l’autre commençait à lui gagner les nerfs et la sienne aussi n’allait pas tarder à exploser. Il se força à se concentrer, à revenir aux sensations qui lui plaisaient tant. La sueur chaude de l’autre contre son aine, sa respiration saccadée, les bruits à peine audibles que sa gorge laissaient échapper. Dap exhala son premier râle non contenu et se mordit les lèvres pour le faire taire. l’autre avait beau râlé, pesté sur chacune de ses actions, il s’offrait à Dap avec une facilité déconcertante. C’était à la fois grisant et effrayant, comme s’il était témoin d’une scène gênante alors que lui-même n’était pas dans la meilleure des positions.

Il réalisa qu’il était presque contre la porte. Son t-shirt collait au dos de l’inconnu mêlait leurs deux sueurs. Sans gestes brusques, Dap leva les bras et s’accrocha au montant de la porte. Puis il poussa. Encore. Encore une fois. L’encadrement de la porte émit un craquement tellement sonore que Dap s’arrêta, le coeur au bord des lèvres.

— Ca va ? Répéta-t-il. Je t’écrase pas ?

— Si. T’arrête pas.

— Je…

Dap baissa les yeux, droit sur leurs deux corps emmêlés. Il serra les jointures et poussa le dernier centimètre qu’il restait à son membre pour le pénétrer. L’autre colla sa joue au vernis de la porte, dents sérrés, yeux mi-clos. L’éclat de sa pupille se braqua sur Dap qui retenait son souffle. Dap s’humecta les lèvres et murmura :

— Je… je suis…

— T’arrête pas.

Il plissa la figure, reprit son souffle à deux reprises et dit, un sourire aux lèvres.

— Ca va.

Dap ne lâcha pas la porte. Il sentit très vite les picotements dans ses muscles fatigués à force d’être levés, mais à aucun moment il ne lâcha. Ses épaules se tendaient et se détendaient à chaque coup de rein, lui offrant quelques secondes de soulagement. Il plongeait et ressortait de cet inconnu d’un soir, oubliant parfois de reprendre son souffle. Dap voyait ses épaules raidies, sa nuque couverte de poils noirs qui dégoulinaient de sueur dans sa chemise. Il aurait voulu détacher ses bras ankylosés pour se pencher en avant et lui mordre le cou. Lécher sa sueur. Entourer sa bouche aux dents sérrés de ses lèvres. Un doux râle s’échappa de ces mêmes dents. Aucun d’eux ne retenait leurs gémissements désormais. Dap perçut dans le brouillard de sa pensée la porte des toilettes s’ouvrir avant de se refermer aussitôt sur des rires gênés.

La porte claquait sur son montant. L’autre se pressa un peu plus contre. Il ouvrit soudain les paupières et braqua un œil sur Dap.

— Je vais… sur mon pantalon.

— Attends.

Dap étouffa son propre soupir de soulagement lorsqu’il put enfin reposer son bras. Il le glissa contre le ventre de son partenaire et trouva aussitôt la source de son trouble. La main de Dap se referma délicatement sur son membre dressé, éclatant et humide. Il n’eut à le presser que deux fois. l’inconnu jouit à moitié dans sa main, à moitié sur la porte, évitant ainsi à son pantalon de se retrouver souillé.

—Merci.

— J’y suis presque, dit Dap. At… attends un peu.

L’autre murmura quelque chose et croisa les bras au-dessus de sa tête. Ce faisant, il recula, poussant Dap qui faillit perdre à nouveau l’équilibre. Le jeune homme battit des bras dans les airs avant de retrouver un semblant de bon sens et de comprendre ce que l’homme attendait de lui. Il cala ses mains contre les hanches de l’autre et poussa sur ses orteils. L’homme émit un gémissement étouffé dans ses avant-bras.

Dap perdit la notion du temps. Ses doigts se perdaient dans la chair tendre de l’inconnu, il l’avançait, le reculait contre son aine, ou juste le serrait assez fort pour qu’il ne bouge pas tandis que son bas ventre s’activait contre ses fesses. Leurs peaux claquèrent, d’un son humide et perçant qui devait facilement se faire entendre jusqu’au bar. Il haletait, l’œil perdu au plafond, désireux de jouir enfin entre les jambes de ce charmant inconnu au regard si tranperçant et à la langue si sèche, et en même temps, il voulait juste le baiser jusqu’à la fin des temps. S’enfoncer dans ses chairs. Ressortir. Lui laisser une demi-seconde pour pousser un petit gémissement de répit. Pousser à nouveau son membre jusqu’au fond, jouir dans la capote en espérant qu’elle ne crève pas. J’ai dû la remplir depuis le temps, pensa un coin encore conscient du cerveau de Dap.

—Je veux… je veux jouir en toi, mec. Tu es si bon de l’intérieur.

—M-mec ? hoqueta l’autre dans un rire. C’est… tout ?

—Ah ah. J’aime pas trop insulter, si… c’est ça que tu veux.

—Non. Mec, ça me va.

Dap sourit au plafond. Il démoula sa main de la hanche rouge et humide de son partenaire. Penché en avant, son membre enfoncé jusqu’à l’aine dans l’intimité de l’autre homme, Dap l’aida à se relever. Il le serra dans ses bras, une main contre sa chemise, l’autre perdu entre ses cuisses parsémées de poils. Debout, l’un dans l’autre, ils restèrent à écouter la respiration de l’autre. Dap le serra alors de toutes ses forces, ses reins tremblèrent et ce fut tout.

—Tu veux encore du PQ ?

—Oui. Pour la porte.

Dap déchira une généreuse portion de papier toilettes et le tendit à l’autre homme. Avec les vapeurs de javel, d’alcool et de sexe, la petitesse de la cabane se faisait ressentir et tous deux ne cachaient pas leurs grimaces quand leurs corps couverts de sueur froide s’effleurait.

—Pousse-toi.

Dap se colla au carrelage frais du mur tandis que son compagnon jetait le papier avec lequel il avait essuyé les traces de sperme dans la cuvette des toilettes. Même dans la pénombre, Dap distinguait ses traits rougis par l’effort et chaque perle de sueur dans ses cheveux. Il s’était déjà rhabillé, arrangeant sa chemise dans son pantalon d’une main et arrachant un nouveau morceau de papier toilette de l’autre. L’inconnu s’épongea la figure, visa à nouveau la cuvette et se pencha pour tirer la chasse d’eau.

—Attends. Faut que je pisse.

—Ok, grogna l’homme sans regarder Dap dans les yeux.

Dap avait à peine le dos tourné que le loquet de la porte rebondit et qu’une grande rasade d’air frais se glissa entre ses jambes nues. Il leva un sourcil à l’adresse du mur des toilettes, acheva son affaire et se retourna.

L’autre avait déguerpi, le laissant seul et à moitié nu face au miroir des toilettes.

Dap haussa les épaules et s’habilla sans se presser, la porte de sa cabine grande ouverte.

— Ouais. Y’en a qui perdent vraiment pas leur temps.

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