Sylvestre

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Gardez, Déesse, un cœur outragé par le sang,
Pleurez cette inconstance où se vautre son âme,
Et tirez à vous seule un peu de ce relent,
Celui d’un bois d’été qu’un fâcheux Soleil crame.
Je brûle en tout mon corps, chaque membre me meurt
Pourtant mon œil divague encor sur quelque vue.
J’ai marché cependant pendant ce grand malheur
Où fier d’être néant mon inconscient me tue.
Portons mon faix plus loin : le ciel n’est qu’un barreau,
Sa justice divine est comme véritable :
Là-bas, si nébuleux, tous les dieux immoraux
Font semblant de juger sous couvert d’une table.
Allez, indolent soûl ! Il te reste un devoir.
Marche en reconnaissant qu’ici plus rien ne fâche,
Abîme encor tes yeux qui ne feront que voir
La foule enchanteresse où le destin rabâche.
Faut-il pleurer, Déesse, en priant que ton sein
Fébrile et chevrotant plus acide qu’une ourse
Exprime inespérant moins bourru que l’oursin
Que ton enfant prodigue a tout vidé sa bourse ?
Il est bien revenu, celui qui s’en alla ;
Un habit déchiré, le crâne éteint de cendres ;
Il revint près de toi quand le deuil d’un prélat
Eût suffit à donner quelque envie de se pendre.
L’heure est à l’accueillir, et s’il nous faut fêter
Que la fête soit grosse, et la chère bien grasse :
Il était pauvre et sot, le fils qui promettait
Qu’il reviendrait un jour, que l’ardoise s’efface.
Mais voyons-nous pas l’autre ? Oui, c’est lui, dans un coin :
Il épie son parjure en bavant de colère,
L’écume sous ses dents lui fait serrer les poings,
Son esprit malvolant l’a rendu délétère.
« Père ! » a-t-il crié, mais il s’adressait à toi,
Déesse, et ne voyait le portrait d’une mère
En les traits de ta force, et criait de surcroît :
« Io ! Vt quid me dereliquist’ o mi pater ? »
L’entendais-tu, du moins, le fils affreux, plaintif ?
Tandis qu’on banquetait affairé sur les planches
Il courait au lointain méditant sous les ifs
Et le bois l’accueillit sous une lune franche.
Son haleine était d’or, plus riche que l’éther ;
Il souffla près d’un arbre à l’écorce légère.
De même que le vent qui s’abat sur les mers,
Pousse au loin l’onde frêle et la porte sur terre,
De même il arracha par son souffle puissant
La gangue de son tronc, qui s’écroula, tremblante.
« Qu’ai-je fait ? » disait-il, « De quel lieu, de quel sang
Suis-je né ? » Il se tut, puis une voix charmante
Prit ainsi la parole : « O fils insoupçonné,
Fruit d’un amour sans nom, toi que les dieux protègent
D’un bienfait invisible, écoute résonner
Les oracles divins, et permet qu’on allège
Le fardeau qui t’épuise. » Ainsi parlait la voix.
« Qui es-tu ? Où es-tu ? » répondit-il, et elle :
« Je suis celle qu’on trouve et que jamais l’on voit.
Certains m’appellent Foi par fureur de leur zèle ;
D’autres me nomment Loi et me donnent raison ;
Mais j’ai toujours gardé du jour ma naissance
Jusqu’à l’éternité – ma vie est ma prison –
Ce nom qui, prononcé, fait entendre espérance. »

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