Révolution

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Elle n’était pas venue, mais j’attendais, tout de même.

Dans le cinéma, le feutre un peu marine qui tapissait le sol faisait un doux frou-frou sous mes pieds. Et comme ça sent toujours le pop-corn dans un hall de cinéma, ici, ça sentait aussi le pop-corn, mais je n’avais pas faim. Des affichages repassaient constamment les mêmes bandes-annonces, et je les regardais, muet comme elles l’étaient, « VENEZ VOIR » et « MAI PROCHAIN » se suivant toujours avec des caractères grossissants, explosifs à outrance, entre des visages surpris et tristes, déterminés et mourants d’acteurs tous aussi muets.

Peut-être que j’achetais un ticket à une borne ; je tapotais sûrement l’écran pour faire défiler les films et payer ma place. En tous les cas, quelqu’un se tenait derrière moi. Je le sentais, et aussitôt, je m’étais retourné. Et comme je voulais partir, l’autre se mettait sur mon chemin comme un reflet qui ne me ressemblait pourtant pas, gauche-gauche, droite-droite, jusqu’à ce qu’on se heurte et que, tout près de mon oreille, il me dise : aide-nous. — Pour quoi faire ? je demandais alors. Et il me répondit avec une grande foi que c’était pour faire une révolution. Et je répondais : non, non !

Je voulais m’enfuir d’ici mais, devant la porte, voici que ses compères me bloquent le passage. Leurs visages étaient sales, grimés par le charbon. Leurs habits noirs. Il m’avaient l’air en colère. Je me heurtais à eux, comprenais que nulle issue n’était possible. Alors, je me mis à pleurer, faussement, et je criais même en éclatant de convulsions. Nul ne comprenait, mais rien n’était à comprendre : je me disais simplement que la pitié pouvait me tirer d’affaire, et ça marchait, vraisemblablement. « Ma mère, oh, ma mère, » répétais-je, « ma mère, elle est morte ! » Je sentais bien que plus mes pleurs étaient lourds, que plus mes cris étaient empruntés et plus mon chemin s’ouvrait, plus la masse de corps se divisait. Je parvins à sortir, mais je ne sais comment, précisément.

Puis je me trouvais sous une douche assez boueuse. Il y avait un vieux à côté de moi. Je crois que nous nous trouvions dans un bain turc, mais le vieux ne disait rien et laisser couler l’eau sur son corps tanné. De la boue se mouvait sur les murs, et l’eau était brune.

J’étais nu comme un vers.

J’avais un peu honte, mais puisqu’il fallait bien se laver, je fis couler de l’eau sur ma peau, sur mes cheveux, et je me rendais compte que je n’avais ni crème, ni savon, ni pommade. Alors j’ai emprunté du savon au vieux tanné, qui n’a pas bronché du tout, et j’ai frotté mon corps. Je frottais, je frottais, pendant combien de temps, je ne sais encore.

Puis je retrouvai Paris, en attendant sous un arrêt de bus, de tramway, de voitures. Il y avait grand soleil, beaucoup de gens. Un van des forces de l’ordre passe devant moi, tout blanc, et je reconnais à l’intérieur mes révolutionnaires. Sur les portières, ce n’est pas écrit « POLICE » mais « FOLICE » sans doute pour ne pas nuire aux autorités et j’ai peur, puisqu’ils ont l’air de vouloir ma mort. Et j’ai d’autant plus peur que les autres puissent trouver justice à l’arme pointée sur moi, puisque ces messieurs sont de la Folice, et que j’aurais tout l’air d’un criminel.

Comme le van est passé sans me tuer, je suis un peu soulagé. Mais lorsque le tramway arrive à mon arrêt, je frémis de voir qu’il contient toute la Folice montée sur de petits chevaux si maltraités que j’en ai absolument pitié. Leurs sabots sont immenses et recourbés comme des peaux de crayons. Leur poil est long, blanc et noir, leur crinière tombe négligemment sur leurs yeux, et tous sont terrifiants à voir, horribles à écrire. Je sens bien que je suis, maintenant, entouré de toutes parts, et je me demande ce qu’il me reste à faire.

Puis nous marchons au soleil près du grès des rues, avec mon ami, pour chercher un autre ami destination Sorbonne, où ce dernier saura sûrement quoi faire. On parle un peu théâtre, de pourquoi j’avais perdu mon premier rôle dans un Molière qui, sans explications, était devenu un numéro musical. De toutes manières je ne connaissais jamais mon texte, et j’étais un peu soulagé de voir que la scène s’était passée de moi.

Devant la Sorbonne, qui est grande et brune et rectangulaire, nous attendons l’autre ami qui ne vient pas. On est sur l’herbe verte où les étudiants souvent s’assoient, mais il ne vient pas. Et c’est avec horreur qu’au loin, j’aperçois la Révolution qui marche vers nous deux.

Ils sont venus par dizaines et nous encerclent, et leurs faces sont plus grimées que jamais. Ils viennent tout juste de la mine, où ils ont pris les armes, et respirent le charbon. Ils nous encerclent, et pointent leurs armes vers nous. Nous voilà moribonds. Nous nous couchons sur l’herbe avec grand dramatisme, on ressemblerait presque à un beau Delacroix, et nous présentons nos poitrines nues, affaissées, qui perlent de la sueur des martyres.

Tirez, nous sommes prêts à mourir. Tirez.

C’est alors qu’Elles vinrent, par centaines, par milliers, Elles se jetèrent sur nous avec leurs mains de rose. Elles nous mirent à couvert, mais ne nous mangèrent pas. Toutes, toutes, Elles étaient mères. Toutes firent plus de chaleur que cent astres le peuvent. Elles nous couvrirent tout ensemble, se lièrent autour de nous et nous avions chaud de tant de corps.

Par quel amour, par quel amour s’étaient-Elles jetées sur nous, je me le demandais, tandis que la Révolution cessait sa course et observait le globe de ces mères entrelacées.

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