Le fusil du père

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  Que ne suis-je au moins le gendre de Molière, moi qui ai marié sa langue !

J’ai rêvé que mon père avait un gros fusil.
  Il tirait un coup seul lorsque je l’eus repris :
« Tu es fou » ai-je dit, « range vite cette arme :
tu pourrais d’Angleterre attirer les alarmes »
(car la perfide Albion tenait lieu de décor.)
L’insensé à mes mots ne comprend rien encor ;
il faut, pour terminer, qu’il me tende la bête,
et de dire à quel point - il a perdu la tête -
il veut fort à son fils prêter son grand canon
pour qu’il puisse, à son tour, faire détonation.
Je refuse ; il insiste, et tout autoritaire
Il attire en mes bras cet instrument de guerre.
Je prends le fusil, las, vise et tire au surplus
pas un seul coup, ni deux, mais trois et quatre et plus :
j’enchaîne le vacarme avec force cartouches
et j’envoie dix boulets vers le ciel, que je touche.
Après avoir tiré je réduis l’arme à rien :
je désassemble tout, retire le chien,
dévisse chaque vis, et jette au loin la crosse
dans le courant d'une eau que quelques arbres brossent.
L’autre voyant cela ne fut plus tant joyeux
qu’il était juste avant, dans son délire hideux.
Il se met à pleurer, fait montre qu’il est triste,
achève en s’asseyant indolent sur la piste
(une route passait par l’endroit du récit)
et chaque geste, enfin, d’un naturel précis
mène à ce qu’on remarque ô combien sa grand’peine
fait de lui un autre homme où l’amertume est reine.
Je ne puis plus souffrir ce martyre longtemps,
ses cris, sa voix perdue dans ses gémissements,
et je lui dis tout haut ce qu’a de pathétique
la scène qu’à mes yeux la déraison explique ;
je rouspille un gisant qui s’est déjà couché
à même le goudron que sa langue a léché ;
il ne m’écoute plus, s’il m’écouta encore,
et ne veut rien répondre à ces mots qu’il abhorre :
« Tu me fais honte, dis-je, et me cause chagrin.
Tu sais ce que mon âme en toi cherche de saint ;
mais je n’y trouvai rien qui pût prouver qu’un père
pût de tant de méfaits se faire le repère. »
La route s’offre à moi ; j’abandonne un fardeau
qui ne veut plus rien dire et vais par les cotteaux,
les villages voisins ; je quitte la campagne
avec un sentiment qui déjà m’accompagne
et éclate à la ville, où je pose le pied
-- celui que d’un péché, je me suis expié --

  Comme autre nom, je lui donne celui de liberté.

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