Carrière de poète

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 Je n'entends plus la rime et fais la sourde oreille ;
ce qui plaît à l'ouïe ne me fait plus grand chose.
 La rime et son salut en voyage appareillent ;
ils prennent le grand large et s'éloignent de Prose.
Moi, les voyant partir et devant les rejoindre,
je cours après la nef qui fera mon poème.
 La mer est agitée, je vois quelques vents poindre :
ils viennent pour ma perte en habits de bohèmes
costumés de fantasme ou sertis de licence.
Leur murmure est cruel et me veut tant séduire
que déjà je leur cède, et dans leurs bras me lance.
Ils m'emportent avec eux ; je me laisse conduire
et charmé bois le vin qu'ils me donnent à boire.
C'est un festin de mots ; je fais si bien bombance
que je crache à nouveau, éconduit par les Moires,
tout ce que j'ingurgite et fourre dans ma panse.
Demain est mon réveil à l'aube difficile ;
Mes yeux d'obscurité cherchent encore une ombre.
 Le soleil est le maître en mon âme docile
où sa lumière croît sans donner ses encombres.
Si ma paupière lâche abhorre une percée,
(trait lumineux de grâce, à l'instar des nuages
séparés en un cercle où passe la journée)
si le cristal de vue répugne à l'apanage
d'une vérité pure et de portrait candide,
mon essence, elle, peut se passer du sensible
et produire pour soi sa lumineuse égide.
Rien de notre univers ne lui semble pénible.
Je me réveille ainsi m'en remettant à l'âme,
et de mes hôtes quitte aussitôt la demeure.
 Où me rends-je à présent, me frayant dans les lames
un chemin capricieux ? Je me meurs et me pleure.
Je suis déjà aveugle et de corps et d'esprit,
j'ai perdu de la rime une trace concrète,
et ma raison divague, et mon coeur de dépit
laisse couler mon corps allourdi par mes dettes.
 Je ne suis qu'un poids mort qui pénétrant dans l'onde
rejoindra les trésors qui l'ont rendue féconde.
Suis-je même un trésor ? on dirait une épave
obscurcie par les eaux que les profondeurs gravent,
ce corps qui est le mien ; l'est-il encor ? mystère ;
(j'en parle comme si je n'étais que son père)
Je l'étais en personne, il était mon domaine.
Chaque corps en vigueur est une bonne aubaine
et la vie nous enseigne à le rendre pratique,
tandis que moi, ingrat, le voulais théorique.
 Ma mort est incomplète, et une main tendue
peut encor à ma vie accorder quelques heures ;
mais dans ma couche noire où les ténèbres nues
bercent en émotions mes moments de prime heure,
rien ne peut me sauver, rien que je puisse prendre :
pas un bras, pas un sein, pas une mère tendre.
Il n'y a qu'en moi-même où je me puisse accroître
un espoir aussi vain qu'il me semble acariâtre.
En tout dernier je sens, tout en bas de mes membres
sur la pointe du pied mon amoureuse chambre.
Je touche ma promise en assez bonne terre
et m'enfonce aux genoux dans ma femme-cim(e)tière.
Mais comme tous le font, je m'extirpe et remonte
(de volonté ou non ; il ne sied dans un conte
de parler d'une chose à laquelle l'histoire
ne saurait en tout point convaincre ou faire croire.)
 Je ne suis différent en rien de mes compères ;
touché le fond mon corps sans d'autres se libère :
la lumière revient, dispersée de ses flèches,
tandis que mon oeil s'ouvre et que l'on me repêche.
A moi la belle lune élevée sur les vagues !
Elle s'est réveillée, fine comme une bague
en un croissant frugal prêt à ce qu'on dévore
sa chair, reflet fidèle au Soleil de l'aurore.
Je vois tout sans la brume indécise écartée ;
je vois même au lointain cette nef arrêtée ;
je vois encor des monts et la terre des hommes :
je nage comme un fou (tout chemin mène à Rome
et où que je me presse, où qu'entraîne ma route
je finirai toujours quelque part, somme toute.)




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