début du chapitre 14

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Petit, j’angoissais à l’idée de pénétrer la cave de mon grand-père. Ce n’était pas dans mes habitudes de m’aventurer par simple curiosité dans un tel endroit, bien au contraire, on me forçait à y’aller. Le plus souvent, pour récupérer une bouteille de vin. Je descendais bien vite en courant et ne mettais pas plus d’une minute pour retrouver ce qui m’avait été demandé. Mais au moment où il fallait remonter les escaliers, l’étape la plus difficile de cette escapade, ma peur se manifestait. Entre la première et la dernière marche, le réel et l’imaginaire se côtoyaient. Il n’y avait là aucune différence entre ce que la raison m’indiquait et ce que mon esprit fabriquait. L'effroi me tiraillait en m’imposant une fausse réalité, j’étais persuadé qu’en remontant, quelque chose allait jaillir des endroits les plus sombres de la cave et sauterait sans hésiter sur moi avant même que j’atteigne le sommet. D’une seconde à l’autre, cette chose inconnue qui avait probablement la forme d’un monstre allait m’attraper de telle sorte, que je n’aurais aucune chance de m’y échapper. Chaque marche que je montais était une bataille gagnée. Mais cela ne voulait pas dire qu’à la suivante, je serai sauve, car ma peur grandissait au fur et à mesure que je les atténuais les unes après les autres. Il faut dire que les films d’horreur de l'époque s’accordaient parfaitement avec mes croyances. Une fois là-haut, je me mettais à trembler de tout mon corps avant de réussir d’ouvrir la porte. Celle-ci s’était refermée systématiquement après mon passage. Heureusement pour moi, que je finissais par sortir toujours vainqueur en la claquant bien fort derrière moi. Et sans oublier de laisser exprès la lumière des escaliers allumée, pour être sûre qu’ils n’oseraient pas me rattraper. Je faisais partie de ces enfants qui croyaient que les monstres naissaient dans l’obscurité et s’évanouissaient dans l’éclat de la lumière d’une lampe. 

À chaque fois qu’il me redemandait d’y aller ; hélas, je revivais la même histoire. Les expériences précédentes m’avaient assuré qu’il n’y avait aucune bête dans les parages, mais la peur ne peut être rationnelle. Celle-ci se manifestait de la même intensité. Et si cette fois mon imagination se concrétisait, nul n’est à l’abri ! Le réel peut toujours me trahir en donnant raison à l’impossible.

Maintenant que je me trouvais dans ce monde, je ne pouvais admettre que tout était réalisable. Entre le réel et l’imaginaire, il n’y a qu’un pas. La seule chose qui me réconfortait dans toute cette histoire, c’est que j’étais dans la peau d’une personne qui n’était pas à plaindre. J’avais de l’argent à ne plus compter, des serviteurs à gogo et une place importante dans la société. Je faisais partie des nobles, une famille protestante originaire d’Angleterre. Alors que Sarah était issue d’une famille catholique convertie que très récemment au protestantisme. Les Collins ne bénéficiaient pas vraiment de tous les privilèges que les Driscoll avaient. Encore une fois, elle se trouvait du mauvais côté de la barrière.

Depuis que je l’avais séquestrée dans ma chambre, je ne l’avais plus vraiment croisée hormis les quelques fois où je l’avais aperçue à l’église. J’y étais allé non pas qu’Andrew me forçait à venir, mais parce qu’il m’avait informé de sa présence. Comme je faisais partie des retardataires puisque les cultes religieux n’étaient pas ma tasse de thé, je ne pouvais l’observer que par-derrière. Elle interprétait si bien son rôle, que parfois, je me demandais si je n’avais pas fait erreur sur la personne. Elle lisait à haute voix quand il fallait lire, chantait quand on l'invitait à participer et finissait toujours par aller voir le pasteur en fin de serment pour lui poser davantage de questions. Je gardais souvent mes distances, sans oublier de jeter, de temps en temps, un œil discret sur ses faits et geste. Son soi-disant père venait la plupart du temps me saluer ainsi, le troisième de ses fils, Jacob. Monsieur Collins s’était remis de ses problèmes et paraissait plus jeune qu’avant. Quant à ses deux autres enfants, Ambrose et Alexander, ils faisaient leur possible pour m’éviter. La mère ne me donnait pas plus de l’importance que ses fils, se contentant de hocher la tête de loin. Helena et Matthew, mes invités du moment, se trouvaient la plupart du temps à mes côtés. Ils avaient suscité la curiosité des habitants et notre relation devenait l’un de leurs sujets favoris. Certains regardaient la grande sœur avec beaucoup d’admiration, tandis que d’autres la jalousaient. Sa présence à mes côtés soulevait bien des questions. Quel genre de relation entretenait-elle avec moi ? Les gens avaient souvent un sourire malicieux quand je déclarais que c’était une simple amie. Ils avaient du mal à croire dans l’amitié entre homme et femme. D’ailleurs, deux siècles plus tard, les mentalités n’avaient guère changé. Surtout pas au moyen orient.

Les nouvelles circulaient tellement vite que j’avais reçu après quelques jours, depuis le départ de mes parents, une lettre de ma mère m’exposant toutes ses craintes à ce sujet. Je lui répondis que mon esprit était toujours aussi occupé par la jeune fille que j’avais accidentellement blessé.

Quand il m’arrivait de croiser par hasard à l’église le regard de Sarah, elle détournait le plus souvent sa tête, faisant semblant de ne pas me remarquer. Que pouvait-elle m’offrir de mieux que de dénier mon existence ? J’avais même essayé d’attirer son attention en faisant croire que je n’avais d’yeux que pour Helena, mais ça n’avait pas non plus marché. Les rares fois où elle m’avait longuement contemplé, c’était quand les paroles du pasteur venaient résonner dans son cœur. Celui-ci parlait avec sagesse et sincérité profonde de l’amour de dieu envers ses créatures. À ce moment-là, son regard qui était le plus souvent hostile se radoucissait et cherchait désespérément dans le mien, une complicité réconfortante. Après tout, je n’étais pas aussi insignifiant pour elle.

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