Milieu du chapitre 14

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Helena Connolly avait reçu une lettre de la dame chez qui elle travaillait la priant de bien vouloir reprendre ses fonctions. Je lui suggérai que c’était le moment de négocier avec elle des congés payés. L’idée lui parut étrange en premier puisque ce n’était pas dans les habitudes à cette époque de faire de telles demandes. Mais, elle finit par se laisser convaincre et accepta de proposer le marché. La dame refusa aussitôt les nouvelles conditions en affirmant sèchement dans une lettre : « C’est à prendre ou à laisser ». Helena répondit qu’elle avait vraiment besoin de vacances ; car, elle devait au moins une fois par an rendre visite à sa famille. Mais elle ne reçut aucun retour.

« Il faut que vous soyez patiente, lui dis-je, cette dame ne peut s’en passer de vous ! La preuve en est, après qu’elle vous ait renvoyée, elle vous sollicite de nouveau. Tenez bon dans vos propos !

— Mais ce que j’exige est un peu trop ! me déclara-t-elle d’un ton sincère, elle ne m’a jamais donné de congés. Pourquoi acceptera-t-elle non seulement de me les accorder, mais aussi de me les payer ?

— Patientez et vous verrez ! »

Je n’étais pas non plus sur après toutes ces négociations que madame Fleming acceptait de la reprendre. Pour cela, j’avais suggéré à Cole Collins de lui trouver une place dans une nouvelle famille.

Quelques jours plus tard, une lettre nous parvint de son employeur. Elle consentait à payer les trois quarts de ce que Helena demandait. Nous ne fîmes pas les difficiles et nous approuvons sans plus tarder le marché. Je l’accompagnai avec son petit frère et Andrew à Belfast, où mes parents nous attendaient. Ils nous accueillirent chaleureusement tout en ayant un œil de méfiance sur Les Connolly. Ils n’étaient toujours pas rassurés de ma relation avec Helena, jusqu'au jour où je reçus la visite de Cole Collins. Ce n’était pas vraiment moi qu’il venait voir, mais plutôt Helena. Son intérêt pour elle avait, quelque part, réconfortait mes parents. Cole fut déçu d’apprendre que la dame de compagnie devait reprendre son travail deux jours plus tard. Alors que le bal tenu par les O’Connor allait avoir lieu le samedi suivant. Ce qui voulait dire : qu’elle n’allait pas pouvoir assister. Il essaya tant bien que mal de la convaincre, d’en parler à sa maîtresse. Quant à lui, il ferait le nécessaire pour envoyer les invitations le plus vite possible.

« Madame Fleming ne sort plus vraiment en société ! affirma la jeune femme, elle ne rend visite qu’a ses proches.

Et bien, je ferai en sorte que ses proches se trouvent bien au bal ! répliqua Cole en souriant. »

***

Devant le portail des Fleming, Matthew serait de plus en plus fort sa grande sœur en moment de se quitter. Des larmes coulaient à flots sur ses joues. Elle lui essuya aussitôt avec son mouchoir et lui déposa sur le front un tendre baiser. Ses yeux à elle ne tardèrent pas à rougir, mais elle sut bien vite le cacher. Quant à moi, je me contentai de faire une révérence comme il se devait en ce temps-là, et dans ton calme, je déclarai : « Il est entre de bonnes mains ! Ne craignez rien, mademoiselle Connolly. Je veillerai sur lui.

— Je n’ai aucun doute, monsieur Driscoll. Je ne vous remercierais jamais assez ! »

Je pris Matthew par l’épaule, tandis qu’il regardait sa sœur disparaître de derrière la porte ; puis, nous repartîmes en voiture en direction du centre-ville. Une fois sur place, nous nous dirigeâmes à pied sur les lieux du rendez-vous qu’Andrew nous avait donné. C’était une très grande auberge qui accueillait des artistes venant de toute l’Irlande. Andrew se trouvait déjà à la taverne alors que Cole nous rejoignit un peu plus tard. Nous passâmes la soirée emportée par la musique et le Whisky qu’on buvait. Matthew était sûrement porté par le souvenir du départ de son petit frère et de la récente séparation avec sa sœur. Cole se demandait peut-être si Helena allait réussir à venir au bal. Quant à Andrew, il écoutait sans rien dire. Pour ma part, cette mélodie n’atteignait pas seulement mon oreille musicale, mais aussi elle remuait des ressentis au plus profond de moi-même. L’ivresse avait poussé la symphonie à me chuchoter ce qu’était véritablement l’âme irlandaise. Une joie intense accompagnée d’une immense peine. Une déchirure interne qui remit en question son appartenance religieuse. Une identité qui malgré les perturbations, connaissait très bien son chemin. Une terre, un peuple, une tragédie et enfin un espoir. La musique m’avait enseigné tout ça en un clin d’œil sous l’effet du whisky. Les gens dansaient gracieusement sur les morceaux qui se jouaient. Une joie authentique se reflétait sur leur visage bien qu'ils se trouvaient fatigués par leur laborieuse journée. Les pas s’accordaient délicatement avec le tempo. L’espoir revenait à chaque onde qui me traversait le corps et l’envie de vivre me faisait jouir de plaisir.

« Mon Dieu que j’aime cette musique ! »

Tout ça m’inspirait à vouloir composer. Une joie intense me submergea, quand je réalisais que je n’étais plus limité.

« Je suis, moi-même, capable de créer et je le ferais par amour de l’humanité. »

Dès que je rentrai ce jour-là, je me dirigeai aussitôt vers le piano sans me préoccuper du dérangement que je pouvais causer. Après quelques accordages, je me mis à élaborer ma propre musique. Ma mère vint me tirer de toute cette euphorie en me rappelant qu’il était certainement tard pour jouer. Elle insista par la même occasion sur le fait que je devais me rendre à l’usine de textile le plus tôt possible. Ce n’était surtout pas le moment de parler de mes obligations, car l’envie de composer était plus forte que tout. Je fus frustré, d’avoir été coupé dans mon élan de créateur. Je montai dans ma chambre et pris aussitôt de quoi griffonner quelques notes ; puis, je me couchais.

Dès que je me réveillai le jour suivant, ma mère se trouvait déjà prête. Assise sur le fauteuil de la chambre, elle m’attendait sans rien dire. Je laissai un mot à Andrew en insistant sur le fait, qu’il devait me rejoindre impérativement. J’allais sûrement avoir besoin de ses services. Je n’étais pas non plus sûr que Cole allait pouvoir m’aider. D’ailleurs, rien ne présageait sa venue à l’usine ce matin. Il avait fini sa soirée, alors qu’il n’avait pas arrêté de se vanter de ses nobles sentiments envers Helena, dans les bras d’une jeune femme.

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