La Métamorphose (1/3) 

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Au moment où j’entendis le détonateur, je regrettai déjà mon acte ! Que venais-je de faire ? Avais-je vraiment tiré sur la dernière personne qui restait ? Sa tante m'avait désigné en tant que protecteur, avait-elle choisi par mégarde un bourreau pour sa protégée ? Quelle ironie du sort ! Que vais-je maintenant dire à cette dame qui m'avait accordé sa confiance ? La chance l’avait trahie en lui faisant croire qu'il n’y avait que moi pour protéger sa bien aimée.

« C'est moi le traître ! m’écriais-je avec rage. J’ai détruit cette jeune fille par orgueil…Si Nina ne s'était pas présentée, je n’aurais peut-être pas accordé de l’importance à sa nièce et tout ceci ne serait pas arrivé ! »

Me voilà toujours au même endroit, pas loin de la victime. Accablé par mon geste, je m'écroulai par terre et grattai hystériquement le sol de mes ongles, comme si le fait de remuer un peu de poussière pouvait calmer mon désarroi. Je fermai les yeux en priant à haute voix le seigneur : « Mon dieu faites que ça ne soit pas réel, que tout ceci ne soit qu'un cauchemar dont le réveil est proche ! S’il vous plaît mon dieu, faites que ça ne soit pas réel, que tout ceci ne soit qu'un cauchemar dont le réveil est proche...

Je répétai encore et encore la même phrase en espérant que, en les ouvrant, le cours des choses aurait changé. Stupide que je fusse de rester là, à ne rien faire au lieu d'aller voir si elle était toujours en vie. Seulement, la bizarrerie des événements ne s’arrêta pas là.

Mes yeux étaient toujours fermés. Le silence s’estompait peu à peu. Le chant des oiseaux indiquait que l'aube n'était pas si loin et que la vie reprenait son cours. Des voix d'hommes s’élevèrent au loin. Ils s'exprimèrent dans une langue étrangère mais au fur et à mesure qu'ils parlaient, je commençai à comprendre ce qu’ils disaient. Une voix masculine, assez jeune, s’écria haut et fort : « Père, vous devez faire quelque chose, on ne peut la laisser comme ça !»

Sa voix me fit frémir si bien que j’eus le réflexe de fermer bien vite ma veste comme si le froid en était la cause. Une lumière éblouissante me caressa le visage m'indiquant ainsi que le jour était levé. Il était temps pour moi de rouvrir les yeux et d’affronter cette dure réalité ! Il était temps, d’aller voir si elle était toujours en vie.

Mais en les ouvrant, je compris que tout ce qui s'était passé auparavant n’était qu’un prélude à une réalité encore bien plus compliquée.

Près de Sarah se tenaient trois hommes. Un vieux aux cheveux gris et à la barbe blanche était agenouillé à ses côtés et la tenait dans ses bras. Quant aux deux autres, ils paraissaient beaucoup plus jeunes. D’un air épouvanté, ils se tenaient à l’écart, observant silencieusement la victime. Le vieil homme essuya ses larmes, regarda dans ma direction et marmonna quelques mots. Puis aussitôt, il baissa la tête et lui embrassa fébrilement le front. On aurait dit, qu’il la connaissait. Je m’approchai assez près pour constater par moi-même qu’elle respirait encore. « Dieu merci, elle est toujours vivante. » m’exclamais-je à haut voix. Bien que le sang coulât encore, La blessure n'était pas aussi profonde, la balle avait traversé la partie supérieur de son épaule.

En examinant la blessée, je ne pus m’empêcher de remarquer que sa physionomie avait étrangement changé. Sarah s’était soudainement transformée ! Coiffés en chignon natté, ses cheveux courts, avaient subitement poussé. Sa tenue baba cool de tout à l'heure, avait disparu comme par enchantement, laissant place à une robe en mousseline de coton qui la couvrait jusqu'aux pieds. Je pensai aussitôt à Cendrillon, seulement la métamorphose que Sarah avait subie, était loin de celle d'un conte de fée. Le contraste entre la blancheur de la robe et le rouge du sang, était effrayant. L'innocence venait d’être tachée par l’abus du pouvoir. Le vieil homme me regarda de nouveau et me demanda tout en continuant à essuyer ses larmes : « Pourquoi avez-vous fait ça !

–Je ne sais pas ! répondis-je d’une voix presque éteinte.

–Vous avez délibérément tiré sur ma fille ! Je vous faisais confiance, Kerwan ! »

Pourquoi cet homme m'appelait-il par ce prénom ? Me confondait-il avec quelqu'un d'autre ? Je ne me posai pas la question bien longtemps puisque, tout de suite après, les deux autres jeunes hommes vinrent par derrière et chacun deux son côté m’empoigna le bras. Cela ne m’empêchait pas de me débattre de toutes mes forces jusqu'à ce que, je me sois dégagé et repartis à nouveau près d’elle. Cette fois-ci, j’enlevai la veste et je déchirai un bout de ma chemise pour lui bander l'épaule. Les affaires que je portais n’étaient pas non plus les miennes. « Mais peu importe ! pensai-je, ce qui compte pour le moment, c'est que je réussisse à lui arrêter le sang ! »

Pendant ce temps-là, le vieil homme me regardait faire sans protester. Il caressait le front de sa prétendue fille tout en la réconfortant de belles paroles alors qu’elle se trouvait toujours inconsciente ! Il fit un signe de la tête pour que les deux autres restent à leur place. Je soulevai Sarah dans mes bras pour pouvoir la transporter à l’hôpital mais en regardant cette fois-ci bien autour de moi, je compris que...je n’étais plus en Israël. Autour de nous, s’étendait un énorme pré verdoyant. Le sol formé de dalles blanches du tombeau de la vierge avait lui aussi disparu en laissant place à une pelouse fraichement tondue. Au loin, des arbres de chênes, des saules pleureurs couvraient une petite colline. A son pied, une rivière qui la contournait et descendait en serpentant jusqu’à nous.

Le corps de Sarah était léger comme celui d'un enfant. Son chignon se détacha en laissant pendre ses cheveux qui paraissaient plus clairs qu'avant. Son teint avait pâli, on aurait dit que je tenais dans mes bras une poupée en porcelaine.

Je venais tout juste de remarquer la présence d'un autre jeune homme à mes côtés du nom, d’Andrew. C’était comme ça que les deux autres l’avaient appelé. Lui contrairement à eux, il ne semblait pas m'en vouloir. Il m’accompagnait en me rassurant qu'elle allait survivre. Le vieil homme nous suivit et appela les deux autres par leur prénom : « Ambrose, Alexander venez par ici ! » Ces derniers obéirent sans soulever la moindre objection et m'escortèrent chacun d'un de son côté. A chaque fois que nos regards se croisaient, leurs haine s’exprimaient de façon si explicite envers moi que je ne pouvais leur en vouloir. Une calèche de l’époque conduite par deux chevaux, se trouvait non loin de nous. Tout affolé, le cocher nous ouvrit la porte de la voiture. Puis en s’adressant à moi, il demanda : « Où dois-je vous emmener, monsieur Driscoll ? »

Je mis un temps avant de répondre ; tout le monde semblait connaître mon nom sauf moi.

« À l’hôpital ! » finis-je par dire en posant délicatement Sarah sur l’une des banquettes.

Le jeune cocher qui semblait bien plus perturbé par ma réponse que par la blessée, regarda avec anxiété le vieil homme et moi, tour à tour. Andrew qui avait été plutôt serviable jusqu’à là, sentit la nécessité d’intervenir : « Monsieur Driscoll voulait plutôt dire : chez elle ! Je vais moi même aller sur le champ chercher le Médecin. » Puis en se tournant vers le vieil homme il rajouta : « Qu’en pensez-vous, Monsieur Collins, est-ce la meilleure chose à faire ? » Le vieillard paraissait perdu dans ses pensées mais, après une légère hésitation il acquiesça. Ce jeune homme venait de m'éviter un problème de plus car le passage à l’hôpital aurait soulevé des questions auxquelles je n’aurais pu répondre.

Je m'installai en face du vieil homme qui avait allongé sa fille à ses côtés. Tantôt, il l’embrassait sur le front tantôt, il récitait des prières à peine audibles. En regardant à travers la fenêtre, je me demandais dans quel pays je me trouvais ? Mon étonnement n'alla pas plus loin, comme si ça m'arrivait souvent d’être projeté dans une autre réalité. Je m'en sortais plutôt pas mal pour une première fois. Le sang froid qui m'avait animé était surprenant ! « Le plus important, pensai-je, est de voir Sarah tirée d'affaire. Ensuite je me pencherai sérieusement sur ce qui m'arrive ! »

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