La Métamorphose (2/3)

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Andrew était monté avec le plus jeune des deux frères Alexander sur son cheval et alla au plus vite chercher le médecin. Quant à Ambrose, il avait pris le deuxième cheval et les suivit. D’après ce que j'avais compris, c'était le mien.

En arrivant dans la demeure de Monsieur Collins, les trois hommes qui nous avaient devancés étaient déjà là. Parmi eux, un homme d’un certain âge tenant une trousse médicale entre les mains. À leur côté se tenait aussi la maîtresse de maison et deux servantes. Ces deux dernières étaient habillées de blouses et de coiffes blanches, ce qui me permit de distinguer leur position. Ambrose et Alexander prirent Sarah et l’emmenèrent immédiatement à l’intérieur. La maîtresse de maison qui, par la suite, j’appris que c’était la mère, poussa un cri pudique dès qu’elle vit l'état de sa soi-disant fille. Son mari la prit par le bras et se précipita avec les autres à l’intérieur. Quant à moi, je restai aussi perdu que je l’étais, à contempler leur grande demeure. Celle-ci se trouvait isolée sur le flanc d'une colline.

Le fait de me retrouver seul, me poussa enfin à réfléchir sur ce qui m'arrivait. Je savais que je me trouvais en Europe, mais, où exactement ? Comme s’il ne suffisait pas de m'avoir transféré dans un lieu inconnu, il a fallu aussi me projeter dans une autre époque.

« Le début du XXe siècle, je supposais, ou peut-être un peu plus avant ! »

Andrew revint vers moi : « Kerwan, vous ne devriez pas rester là ! venez, rentrez avec moi, ne soyez pas intimidé par ses frères ! » Il me prit par la main et me força à le suivre. Puis aussitôt après, il ressortit de la maison pour aller voir le cocher et lui demanda d’aller chercher mes parents.

Pendant que nous étions tous à attendre dans le hall où des chaises avaient été mises à notre disposition, le docteur avait insisté pour se retrouver seul avec Sarah. Certains d'entre nous s’assirent alors que d'autres restèrent debout. Je faisais partie de ceux qui s’étaient assis ; le changement de siècle m'avait exténué.

La maîtresse de maison s’exclama à haute voix en direction de son mari : « Pourriez-vous enfin me dire ce qui s’est passé aujourd'hui ? » Le mari ne répondit pas, il se contentait de tenir sa tête entre ses mains. Très frustrée, la dame se tourna vers moi et demanda à nouveau : « Monsieur Driscoll, auriez-vous l’amabilité de m'expliquer ce qui s’est passé entre vous et ma fille ? » Je la regardai sans rien pouvoir dire et lâchai un profond soupir. Qu’aurais-je pu dire ? Il m'était aussi difficile de m’expliquer que si j’avais été en face de la tante de Sarah. En gardant le silence, je ne pus qu’irriter l'un des deux frères qui, soudainement perdit patience en s’écriant : « Mère écoutez-moi ! Monsieur Driscoll, a délibérément tiré sur notre sœur, il comptait avec froideur lui ôter la vie ! » Andrew qui se trouvait assis à mes côtés, se leva de sa chaise et répondit pour ma défense : « Ambrose, vous savez pertinemment que c'est faux ! Kerwan ne pourrait jamais faire une chose pareille ! Il était en train de me montrer son arme quand le coup est parti…c'est un accident !

–Un accident ! s’exclama Ambrose avec colère, vous osez prétendre que c'est un accident, comment pouvez-vous confirmer ça ? ...Père, Alexander et moi, nous avons bien vu ce qu’il s’est passé et cela n'avait pas l'air d’être un accident. »

An assurant ma défense, le jeune homme eu une légère hésitation comme s’il réfléchissait à un argument valable puis en s’aidant d’une grande bouffée d’air, il déclara : « C'est bien Kerwan qui a déchiré sa chemise pour arrêter le sang de votre sœur pendant que vous étiez là…à regarder sans rien faire !

–C'est vraiment injuste d'utiliser ça contre nous, Andrew ! Même s’il s'agit de défendre votre ami, votre devoir avant tout, c'est de dire la vérité.

–Êtes-vous en train de m'accuser de mentir ?

–Oui, vous cherchez seulement à le protéger ! »

Les deux jeunes hommes se mirent à se quereller. Malgré l'intervention de la mère et du plus jeune des frères, Alexander, ils ne s’arrêtèrent pas. Ils continuèrent à se disputer avec une telle courtoisie, qui ne pouvait que me surprendre. Ils ne parlaient jamais en même temps, chacun attendait que l'autre finisse avant de prendre la parole. Le père et moi, nous restâmes assis sur nos chaises sans bouger. Sans doute, nous étions les seuls paralysés par la peur. Il fallait bien que j’observe leur manière de communiquer en restant à l’écart. S'il avait fallu les séparer j'aurais sûrement laissé échapper quelques injures, ce qui, certainement, aurait joué contre moi.

Une servante rentra presque en courant et se dirigea vers la maîtresse de maison en lui annonçant la visite de Monsieur et Madame Driscoll. Ces derniers ne tardèrent pas à faire leur apparition. Cette nouvelle visite, incita les deux jeunes hommes à se calmer. Andrew craignait de ne pouvoir me défendre à lui seul. C’était l'une des raisons pour laquelle, il avait envoyé le cocher les chercher. La femme, qui se trouvait dans cette réalité être ma mère, me regarda et sourit discrètement en ma direction comme pour me rassurer. Mon dieu qu'elle était belle. Ses cheveux auburn étaient à moitié cachés sous un bonnet, que seules les femmes mariées portaient. Ses grands yeux étaient d'un bleu foncé, son nez fin et court, ses pommettes d'un rose naturel, la bouche était la partie la moins jolie puisque la lèvre supérieure était tellement fine qu'on ne la voyait plus. Mais cela ne l’empêchait pas avoir un sourire aussi radieux. Elle avait une voix douce et imposante. Après son discours, ce fut à monsieur Driscoll de faire le sien. Il ne dit qu’une seule phrase qui fit taire tout le monde : « Je vous prie, mes amis, concentrons-nous uniquement sur les prières qui sauveront notre chère enfant, tout le reste n'a pas d'importance ! » Il me semblait que tout ce monde, jouait une pièce de théâtre de début du XXe siècle. Comment aurais-je pu convaincre ma raison que ces gens-là se trouvaient vivant en ce moment même, alors que leurs habits et leurs façons de s’exprimer dataient de l'avant-première guerre mondiale. Ces gens qui n’existaient pour moi qu'à travers les films et les livres d'histoires, se tenaient en chair et en os devant mes yeux.

Le docteur sortit de la chambre, annonçant que tout allait pour le mieux et qu'elle s'était enfin réveillée. Je tressaillis en apprenant la nouvelle. Le vieillard me regarda comme pour me demander de l'accompagner mais je ne le suivis pas. Si son engourdissement l'avait quitté le mien me collait encore. J'appréhendais sa rencontre. Qu’aurais-je pu encore lui dire ? Que j'avais quand même tiré alors qu'elle se trouvait désarmée. « La meilleure décision c'est de partir, oui ! Partir au plus vite. Qu'elle ne se rende même pas compte de ma présence. » Seulement, j'avais une grande envie d'entendre de sa bouche qu'elle aussi ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Qu'elle était aussi perdue que moi. Que tout ceci, n'avait aucun sens. Que nous étions victimes d'une anomalie existentielle. Une sorte de bug de la nature.

Je quittai le hall au plus vite sans regarder derrière moi ! Ce n'était pas seulement la peur de l'affronter qui me fit partir, c'était plutôt...la crainte qu'elle dénigre nos origines, en prétendant faire partie de ce monde. N'avait-elle pas omis de répondre à mes questions quand nous nous trouvâmes à Jérusalem ?

Elle savait très bien que la situation là-bas, n'était pas normale. Pourtant à aucun moment elle n’y fit l’allusion. Elle était là, comme une bouteille à la mer se faisant entraîner par le courant sans intervenir. Mais, je dois dire que sa précédente réaction était plutôt étrange. Ça ne lui ressemblait pas d’accepter aussi facilement une aberration, elle qui se définissait par son caractère rebelle refusant toute forme de soumission. « Ce qui m'amène à supposer que la vraie Sarah n'a pas été transférée comme moi et qu’elle se trouve encore là-bas avec ses semblables dans l'église du Saint Sépulcre. Celle qui m'était apparue, était sortie d'une silhouette d'un chat. Et d’après mon expérience, il ne faut jamais faire confiance aux chats ! » C'était ma conclusion, je ne savais plus si cette dernière avait du sens, en tout cas, c'était ma dernière pensée en descendant l’escalier des Collins.

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