Ma prison dorée

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Allongée sur le lit, je fixe le plafond immaculé. J’ignore depuis combien de temps je suis dans cette chambre, mais je n’ai vu ni entendu personne depuis qu’on m’y a conduite. J’ai tenté en vain de dormir, je suis trop agitée pour cela. J’ai fait le tour des quelques placards de la pièce. J’y ai trouvé quelques vêtements, une serviette de toilette, du savon et une brosse à dent, le tout de couleur blanche. Il y a un lavabo où j’ai pu boire. Maintenant, mon ventre commence à gronder. J’espère qu’ils ne comptent pas m’affamer. J’ignore comment on traite les prisonniers d’habitude, mais c’est certain qu’ils n’ont pas droit à mon luxe, alors je ne peux me faire aucune idée sur mon sort. En attendant qu’il se passe quelque chose, j’ai eu tout le loisir de faire un bilan de ma situation. Et de douter grandement de la transparence du gouvernement. Il y a quelques heures, j’étais une jeune fille prête à dédier ma vie à la nation et faisant une confiance aveugle à ses dirigeants, persuadée que tout allait pour le mieux. Les arrestations étaient rares et les raisons toujours explicitées, on nous disait sans cesse que le gouvernement avait la situation en main, que la personne agissait seule et que nous n’étions aucunement en danger. À l’heure qu’il est, je me pose de nombreuses questions. Si je suis là, c’est que quelque chose de gros échappe au Président, et inquiète assez pour qu’on nous mente.

C’est alors qu’un tintement de clés se fait entendre. Je me redresse brusquement. Je vois le verrou tourner et l’un des deux militaires arrive. Je n’avais jamais prêté attention à autre chose que son uniforme, mais je m’aperçois qu’il est jeune, il doit avoir vingt-deux ans tout au plus. Pourtant il a une mâchoire carrée et des traits anguleux qui lui donnent un air dur, et sa barbe le vieillit sûrement de quelques années.

— C’est l’heure de ton repas, m’annonce-t-il sobrement.

Il n’a pourtant rien dans les mains.

— Lève-toi.

Je m’exécute tandis qu’il se dirige vers la porte et s’arrête juste à l’entrée.

— Vous ne me mettez rien sur les yeux ? m’étonné-je en enfilant mes chaussures.

— Non, répond-il l’air de dire que je n’irai pas loin si je tentais quoi que ce soit.

Sa main tient fermement mon bras tandis que nous empruntons le couloir. Il est morne et triste, dépouillé de toute décoration. Nous passons devant plusieurs portes fermées, puis pénétrons dans une partie de la demeure qui m’apparaît nettement plus chaleureuse. Instinctivement, je lisse mon chemisier froissé par son séjour sur le lit tandis que mes yeux papillonnent sur l’environnement. Ici, la couleur a repris le pas sur la monotonie du décor obstinément blanc de ma chambre. Des tableaux ornent les murs, des fleurs aux teintes vives embaument l’air et la lumière diffusée par les lampes a perdu l’aspect artificiel auquel j’ai eu droit jusqu’à présent. Nous arrivons à une grande salle à manger au milieu de laquelle trône une grande table en bois massif parfaitement vernis. Le tout est recouvert d’une nappe immaculée ainsi que d’un vase rempli de roses rouges. À une extrémité de la table, le couvert est mis pour une personne.

— Assieds-toi.

Donc moi, une supposée criminelle prisonnière, j’ai droit au luxe de l’argenterie ? Quelles surprises me réserve-t-on encore ? Je prends place à la table sous le regard attentif de mon geôlier qui se place légèrement en retrait de moi. Le deuxième militaire fait son apparition, un plat dans les mains. Il le dépose devant moi puis se positionne de façon à me surveiller également. Je mange sous le regard de deux armoires à glace muets comme des tombes. Un silence malaisant plane, seulement perturbé par le bruit de mes couverts dans l’assiette. Je sens sur moi le regard fixe et méfiant de mes deux cerbères. Soudain j’entends des pas sui se rapprochent. Un instant plus tard, le Président fait son apparition dans la salle à manger.

— Mademoiselle Alysée, j’espère que le repas te convient ?

Je hoche vigoureusement la tête, finis hâtivement ma bouchée et demande :

— Monsieur le Président, pourquoi ai-je le droit à tant de privilèges ? Je suis une criminelle, après tout.

Je suis surprise de ma propre audace, je suis plutôt timide, d’ordinaire.

— Je crois t’avoir déjà dit de m’appeler Guillaume.

— Je ne peux pas, c’est trop… étrange, dis-je.

— Connais-tu le proverbe qui dit qu’il faut garder ses amis près de soi et ses ennemis encore plus près ?

— Je ne suis pas votre ennemie. J’ai toujours été loyale et je n’ai jamais douté du gouvernement.

— Tu parles au passé, as-tu donc changé d’avis entre temps ? questionne-t-il.

— C’est plutôt légitime, il me semble.

— En effet, mais sache qu’en restant sagement ici, tu aides la nation plus que quiconque.

— Je ne comprends pas…

— Je sais.

— Vous m’avez dit que nous parlerions de la raison pour laquelle tout le pays prend une innocente pour une dangereuse criminelle, lui rappelé-je. Je pense que ce moment est venu.

— Moi pas.

Je soupire en fixant mon assiette à moitié vide. Cette discussion m’a ôté tout appétit. Je veux comprendre cette injustice et il me nargue. Je titille du bout de mon couteau la viande qui me reste.

— Mange donc.

— Je n’ai plus faim.

Le Président fait signe au militaire qui me l’a apportée de reprendre mon assiette.

— Je voudrais juste comprendre, monsieur. Pourquoi ?

— Tu sais, nous allons cohabiter pendant un moment, tu devrais abandonner tes manières soutenues.

— Je croyais que vous alliez m’exécuter dans deux jours, m’étonné-je.

— C’est effectivement ce que j’ai dit mais je ne pense pas devoir en arriver jusque-là.

Sur ces mots, il tourne les talons, me laissant seule avec le goût amer de l’ignorance sur la langue, et mes questions sans réponse en travers de la gorge.

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